Quand l’ONU invite l’Iran à palabrer sur les droits de l’homme

Le chef de la diplomatie iranienne a été convié à Genève pour s’exprimer sur le futur des droits humains mais a fini par privilégier une réunion sur Gaza.

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Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, est l’un des invités d’une grand-messe pour les droits de l’homme qui se tient à l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, est l’un des invités d’une grand-messe pour les droits de l’homme qui se tient à l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. © FABRICE COFFRINI / AFP

Temps de lecture : 6 min

Sa présence à Genève est pour le moins surprenante. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, devait être ce mardi l'un des nombreux invités de marque d'une grand-messe pour les droits de l'homme qui se tenait depuis lundi en Suisse à l'occasion du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. Organisé par le Haut-Commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme (HCDH) au Palais des Nations, siège historique de la Société des Nations jusqu'en 1946, « l'événement à haut niveau » devait voir le chef de la diplomatie iranienne participer mardi après-midi à une table ronde consacrée au « Futur des droits de l'homme, de l'environnement et du climat ».

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À LIRE AUSSI Narges Mohammadi, Prix Nobel de la paix 2023 : « La lutte contre le voile obligatoire n'est pas qu'une affaire de femmes » À cette occasion, Hossein Amir Abdollahian avait trois minutes pour exposer ses « recommandations concrètes pour faire face à la triple crise planétaire à travers le prisme des droits de l'homme, et par le biais de mesures visant à faire respecter ces droits comme voie vers des solutions », explique le document de travail fourni par le HCDH. « L'invitation a été adressée à tous les États membres et l'Iran nous a répondu positivement en nous indiquant qu'il serait représenté par son ministre des Affaires étrangères, explique Ravina Shamdasani, porte-parole en chef du Haut-Commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme. Il est important d'obtenir un engagement large sur la question des droits de l'homme et de maintenir un dialogue ouvert avec chaque pays. »

« Comme si on avait invité un dirigeant sud-africain du temps de l'apartheid »

La perspective de voir le représentant de la République islamique délivrer ses conseils en matière de droits de l'homme, alors que la République islamique a exécuté plus de 600 personnes depuis le début de l'année, a suscité la colère des spécialistes de la question. « La seule place d'un officiel iranien dans une telle réunion devrait être sur le banc des accusés, vu les très sérieuses violations des droits de l'homme qui ont lieu en Iran, dont certaines sont équivalentes à des crimes contre l'humanité », pointe Mahmoud Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG de référence Iran Human Rights, basée à Oslo. « Depuis le mois de janvier, au moins deux personnes sont exécutées chaque jour, un chiffre qui est passé à trois par jour au cours des deux derniers mois. Plus de 530 manifestants ont été tués depuis septembre 2022, et au moins 123 personnes ont été blessées au visage, notamment des femmes. »

À LIRE AUSSI « Ce prix Nobel de la paix récompense la résistance à l'intérieur de l'Iran » D'après nos informations, il n'était pourtant pas prévu que le ministre iranien des Affaires étrangères soit interrogé sur le bilan de son pays en matière de droits de l'homme. « Même si je comprends parfaitement la nécessité pour les Nations unies d'impliquer chaque pays dans ces événements, il y a une différence entre inviter un pays et lui donner la parole », dénonce l'humanitaire belge Olivier Vandecasteele, qui a été arbitrairement détenu 455 jours en Iran avant d'être libéré en mai dernier, en échange d'un diplomate-espion iranien condamné en Belgique pour terrorisme. « Cela peut paraître amer pour les défenseurs iraniens des droits humains encore détenus, pour les étrangers retenus en otage, ainsi que leur famille et amis. J'espère que les participants à ces conférences prononceront leur nom haut et fort. »

Plainte pour crime contre l'humanité

L'instance onusienne a pourtant peut-être échappé à pire camouflet. En effet, la délégation iranienne à Genève devait au départ être conduite par le président iranien en personne, Ebrahim Raïssi. La présence de l'ancien juge ultraconservateur, accusé d'avoir joué un rôle de premier plan dans l'exécution de milliers de prisonniers politiques en 1988, avait été confirmée au Forum mondial sur les réfugiés organisé à Genève par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) qui doit débuter mercredi 13 décembre, l'Iran étant l'un des pays accueillant le plus de réfugiés au monde. Mais le dépôt lundi en Suisse d'une plainte pour « crime contre l'humanité » par trois anciens prisonniers iraniens appelant à l'arrestation et à l'inculpation d'Ebrahim Raïssi a sûrement dissuadé le chef de l'exécutif iranien de faire le voyage.

À LIRE AUSSI Mitra Hejazipour : paria en Iran, reine en France Les Nations unies sont déjà sous le feu des critiques pour avoir confié à la République islamique d'Iran la présidence de l'édition 2023 du Forum social du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, qui s'est déroulée les 2 et 3 novembre à Genève. « À cette occasion, les responsables iraniens étaient allés jusqu'à couper le micro d'ONG critiques, instaurant de fait une censure à l'intérieur même des enceintes de l'ONU », se souvient Mahmoud Amiry-Moghaddam. Aux Nations unies, on rappelle que la République islamique a fait l'objet de plusieurs déclarations publiques du Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour dénoncer les exécutions capitales, la situation des femmes ou les entraves au droit de manifester.

Paradoxe occidental

Hasard du calendrier, le chef de la diplomatie iranienne a atterri à Genève le jour même où le Parlement européen a attribué son prix Sakharov pour la liberté de pensée à Mahsa Amini, jeune Iranienne de 22 ans décédée en septembre 2022 aux mains de la police des mœurs. Dimanche, c'est la militante iranienne des droits de l'homme Narges Mohammadi qui a reçu le prix Nobel de la paix 2023. Mais du fait de son emprisonnement depuis plus de deux ans dans le centre de détention Evin de Téhéran, ce sont ses enfants Kiana et Ali Rahmani qui ont récupéré son prix à Oslo et ont lu un discours en son nom.

À LIRE AUSSI « Femme, vie, liberté » : en Iran, la révolution quotidienne des femmes « Cette séquence met au jour le paradoxe occidental : les Iraniennes sont récompensées pour la paix et les droits humains qui font office de caution morale, tandis que leurs dirigeants gagnent haut la main la palme de la realpolitik, de la guerre et du chaos : en Iran, au Proche-Orient et en Ukraine, déplore l'avocate franco-iranienne Chirinne Ardakani. En réalité, le régime iranien, qui maîtrise parfaitement les rouages des institutions, déploie une diplomatie des droits humains inversée : en empêchant les Iraniens récipiendaires de prix de circuler, il leur refuse une tribune internationale dont il se sert à l'envi pour maîtriser son récit et imposer son rapport de force. » Ainsi, les propres parents de Mahsa Amini, devenue l'icône du mouvement de révolte « Femme, vie, liberté » en Iran, ont-ils été interdits de quitter la République islamique pour récupérer le prix de leur défunte fille, alors qu'ils s'apprêtaient à embarquer pour la France.

Absence

Pourtant, à la surprise générale, Hossein Amir Abdollahian a fini par ne pas se présenter à la table ronde de mardi après-midi sur les droits de l'homme, lui préférant une réunion organisée au même moment par la Mission permanente de Palestine à Genève en faveur de la population de Gaza. Le chef de la diplomatie iranienne a profité de l'occasion pour retourner exactement contre les États-Unis et Israël les accusations dont l'Iran fait l'objet, en estimant que « la crédibilité des organes des Nations unies est affectée par la mise en œuvre sélective du droit international » sur la question israélo-palestinienne. En revanche, il participera bien à partir de mercredi au Forum mondial sur les réfugiés, en lieu et place du président iranien Ebrahim Raïssi.

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Commentaires (12)

  • atmos77

    En Iran, les Droits de l’Homme, ils sont experts. Les hommes ont tous les Droits !
    C’est vraiment le pays des Droits de l’Homme !

    Par contre le Droit des Femmes, comment dire ?

  • MC33

    L'ONU aurait bien tort de se priver de ces plaisantes excentricités... L'occident est tellement lâche qu'on peut le piétiner sans qu'il proteste. Au contraire, il en redemande. J'aurais bien écrit "mou", au lieu de "lâche", mais il me semble que ça ne plaise pas à tout le monde.

  • labretagnedebout

    En Iran, les hommes ont tous les droits. Les femmes beaucoup moins