Accéder au contenu principal
Témoignages

«Ce qui nous garde vivantes, c’est d’espérer que nous serons libres»: l'apartheid de genre, une persécution systématique des femmes

En cette journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, ce 25 novembre, plusieurs collectifs pointent du doigt l'intense répression que celles-ci subissent dans certains pays, notamment en Iran et en Afghanistan, où les femmes sont « exclues de tout espace public ». De plus en plus fortes, ces voix s'élèvent et dénoncent un « apartheid de genre ».

Depuis décembre 2022, les femmes afghanes sont interdites de travailler dans de nombreux secteurs et universités, les limitant au domicile ou à des métiers manuels. Ici, une Afghane tisse un tapis traditionnel à Kaboul, le 6 mars 2023.
Depuis décembre 2022, les femmes afghanes sont interdites de travailler dans de nombreux secteurs et universités, les limitant au domicile ou à des métiers manuels. Ici, une Afghane tisse un tapis traditionnel à Kaboul, le 6 mars 2023. © Ebrahim Noroozi / AP
Publicité

En Iran, les femmes risquent jusqu’à dix ans de prison pour un voile mal porté. Il leur est interdit de faire des choses aussi simples que danser en public, faire du vélo ou encore assister à des matchs dans les stades. De l’autre côté de la frontière, sous le joug des talibans, les Afghanes sont privées d’éducation et n’ont pas le droit d’accéder aux bains publics, aux parcs et aux gymnases. Au Soudan ou en Arabie saoudite, seuls les hommes bénéficient du droit inconditionnel de demander le divorce.

La liste des interdictions imposées aux femmes est écrasante. Dans plusieurs pays, celles-ci sont soumises à une violence quotidienne, systémique, parfois même inscrite jusque dans les textes de loi. Face à cette exclusion qui ne dit pas son nom, certaines ONG et collectifs d’avocats plaident pour la reconnaissance d’un « apartheid de genre ».

Un terme vieux de quarante ans

1992, Barcelone. L’Afrique du Sud signe son grand retour aux Jeux olympiques après vingt-huit ans d’absence. L'abolition officielle de l'apartheid en juin 1991 permet la levée des interdictions qui minaient le pays, à nouveau invité à participer aux Jeux. Tout le monde se réjouit de leur délégation multiraciale, promesse d’un évènement enfin universel… Ou presque. Trente-cinq délégations ne sont composées que d’hommes. Téhéran, qui envoie quarante sportifs, a même refusé la règle de la cérémonie d’ouverture voulant que ce soit une femme qui porte la pancarte « Iran » précédant sa délégation.

« Les Noirs sont absents, c’est un scandale, et ce, à juste titre. Les femmes sont absentes, personne n’en parle. C’est ce que j’appelle du machisme ordinaire », peste Linda Weil-Curiel, responsable de la Ligue du droit international des femmes et l’une des premières à faire l’analogie entre l’apartheid fondé sur la race et celui fondé sur le genre. Pour elle, le parallèle est inévitable : dans les deux cas, une ségrégation systématique est imposée, par la séparation spatiale d’abord, l’inégalité et la soumission ensuite. Le mot, qui signifie « séparation » en afrikaans (langue des colons sud-africains dérivée du Néerlandais), est associé au genre dès 1992 – non sans remous. « Ce n’est pas nouveau, mais il aura fallu attendre la mort de Mahsa Amini pour que la communauté internationale comprenne l’analogie », estime l’avocate.

En Afghanistan, la « peur du fouet ou d’être lapidées »

Une analogie qui prend selon elle tout son sens lorsque l’on se penche sur le cas de l’Afghanistan, où les talibans ont repris le contrôle du pays en déchiquetant un à un les droits des femmes. Sous la menace constante de la violence, celles-ci se retrouvent muselées et opprimées par les fondamentalistes islamistes.

Belgheis Jafari, réfugiée afghane depuis février 2019, tente de recueillir leurs témoignages. « Toutes les femmes que je connais me confient qu’elles se sentent enfermées », soupire-t-elle en mentionnant une poétesse contrainte d’arrêter d’enseigner par peur que l’un des soldats talibans qui fréquentent l’école la force au mariage. « Cette atmosphère liberticide pèse beaucoup sur les femmes, qui sont interdites de vivre et remarquent l’influence du discours taliban sur leurs proches. »

Dans le pays, les restrictions imposées aux femmes continuent à se multiplier, décret après décret. Assignées à résidence, les femmes afghanes ne peuvent plus quitter leur domicile sans être accompagnées par un homme. En juillet 2023, les autorités talibanes ont ordonné la fermeture des salons de beauté, l’un des derniers lieux de liberté et de socialisation ouverts aux femmes. « Quand je parle avec ces femmes-là, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un cauchemar. C'est vraiment un système généralisé de discrimination et d'exclusion des femmes de tout espace public, qui vise à les enfermer à l'intérieur des maisons, les laisser dépendantes de l’ordre des hommes et les réprimer au nom de la religion », décrit Belgheis, qui utilise elle aussi régulièrement le terme d’« apartheid de genre ».

À lire aussiFace au régime taliban, quelle place pour les femmes afghanes?

Depuis Paris, le cœur encore à Kaboul, l’Afghane s’évertue à faire entendre les voix de ses concitoyennes et à les aider à quitter le pays. « Quand je parle avec mes amies restées là-bas, elles me disent "ce qui nous garde vivantes, c’est d’espérer qu’un jour les talibans partent et que nous serons libres". Pour elles, peu importe où elles vont, tant qu’elles peuvent vivre sans avoir peur du fouet ou d’être lapidées. »

Emprisonnée pour des poèmes, battue pour un hijab

Mahtab Ghorbani recouvre ses cheveux d’un voile pour la première fois à l’âge de six ans. La même année, son père, fervent opposant au régime, est emprisonné. Née en 1983 à Téhéran, elle n’a connu que la République islamique d’Iran, où l’ayatollah Khomeini dirige le pays d’une main de fer et scelle la loi de la charia dans le sang. Elle assiste avec des yeux innocents aux violences systématiques envers les femmes, tandis que sa mère l’éduque dans l’intimité de sa maison à une pensée progressiste. « En Iran, c’est impossible pour les femmes de travailler, si elles disent quelque chose contre le régime, elles vont en prison, elles doivent seulement se contenter d’être des mères et de porter le voile », raconte-t-elle.

Des membres de la communauté iranienne brandissent des pancartes lors d'une manifestation sur la place du Trocadéro pour montrer leur solidarité avec les femmes iraniennes et les manifestants en Iran.
Des membres de la communauté iranienne brandissent des pancartes lors d'une manifestation sur la place du Trocadéro pour montrer leur solidarité avec les femmes iraniennes et les manifestants en Iran. AP - Michel Euler

Expulsée de l’université et arrêtée à trois reprises pour avoir écrit et lutté pour les droits des femmes, Mahtab a passé plus de quatre années en prison. La poétesse finit par fuir son pays en 2016 après qu’un gardien de la révolution l’a battue parce qu’elle ne portait pas de hijab. « C’était impossible pour moi de rester », confie-t-elle, la voix tremblante, se rappelant cette scène traumatisante à laquelle sa fille, âgée de cinq ans à l’époque, a assisté. « J’essayais vraiment d’apprendre à ma fille que le vrai monde n’était pas comme ça, que ce n’était que le monde islamique des mollahs », se remémore-t-elle.

Depuis, Mahtab met sa plume au service d’un roman sur les femmes prisonnières politiques en Iran, écrit au terme de 300 entretiens. Ses livres, contestataires, sont vendus clandestinement sous le régime islamique. « Je suis une survivante, j’ai toujours cru que j’allais mourir comme Mahsa Amini. Je dois témoigner de ce qu’il se passe dans mon pays », affirme la poétesse, décidée à continuer de protester contre le régime iranien, même à des milliers de kilomètres. « Il y a un an que le monde entier entend notre voix, mais ça fait quarante-quatre ans que les femmes subissent un apartheid de genre dans le pays. »

« On ne peut pas changer ce que l’on n’a pas nommé »

Dans ces pays où les femmes sont relayées au statut de « citoyennes de seconde zone », le régime postule « qu’une femme vaut la moitié d’un homme et l’inscrit dans la loi, de la même manière que le régime sud-africain le faisait avec les Noirs », soutient Lilas Pakzad. Pour la créatrice du collectif « This is a revolution », il est nécessaire d’encourager les condamnations publiques de ces systèmes de répression. Une mise au placard qui passe, selon l’exilée iranienne, par l'élargissement de la définition d’apartheid pour y inclure la dimension de genre. « On ne peut pas changer ce que l’on n’a pas nommé. Il faut qualifier cette persécution extrême et systématique et les régimes qui la commettent », veut croire celle qui compile des sons émanant du mouvement « Femme, vie, liberté » qui secoue l’Iran.

À lire aussiIran: un an après la mort de Mahsa Amini, la diaspora toujours mobilisée malgré ses divergences

Si l’étendue des violences liées au genre en Iran ou en Afghanistan ont déjà été pointées du doigt par la communauté internationale, le terme « apartheid de genre » n’a jamais franchi les lèvres d’un quelconque organe des Nations unies. En protestation, Lilas ne cesse de partager sur ses réseaux sociaux la campagne numérique « End gender apartheid today », qui exhorte les pays membres de l’ONU à reconnaître le crime d’apartheid de genre. Plusieurs professionnels du droit, dont Linda Weil-Curiel, suggèrent dans les colonnes du quotidien Le Monde de compléter l’article 2 de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973.

En y incluant la ségrégation fondée sur le genre, qui n’est reconnue par aucun traité international ou juridiction nationale, « la convention qualifierait l’apartheid sexuel comme crime contre l’humanité et imposerait des sanctions contraignantes contre ces pays », explique Linda Weil-Curiel.

Cet outil, qui s’apparente à une marque au fer rouge dans la chair du banni, a été un levier essentiel pour l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud. « Toute collaboration avec le pays était interdite. À cette époque, j’étais en Afrique du Sud, et ils en étaient meurtris ! », insiste l’avocate. Selon elle, si l’apartheid de genre était, lui aussi, codifié pénalement, l’Iran et l’Afghanistan seraient renvoyés au statut de parias, mis à part à leur tour.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.