Découverte

L’étonnante histoire du Cupidon caché dans un Vermeer

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Tant de mystères dans une si petite toile ! La Liseuse à la fenêtre est l’une des plus célèbres œuvres de Vermeer et l’un des trésors de la Gemäldegalerie Alte Meister de Dresde. Elle vient pourtant de délivrer un surprenant secret : un tableau dans le tableau, représentant Cupidon, jusque là caché sous des couches de vernis. C’est le travail acharné d’une équipe de restaurateurs qui a récemment permis de restituer les couleurs originales de l’œuvre mais surtout de révéler ce détail… de taille.
Johannes Vermeer, La Liseuse à la fenêtre (après restauration)
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Johannes Vermeer, La Liseuse à la fenêtre (après restauration), 1657-1659

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huile sur toile • 83 x 64,5 cm • Coll. Gemäldegalerie alte meister, Dresde • © Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Gemäldegalerie Alte Meister / Wolfgang Kreische

Elle est debout, tout absorbée à sa lecture et profitant des rais lumineux pour achever de parcourir la lettre. Sur la fenêtre, son reflet tel un double indiscret perçoit ces lignes mais nous, spectateurs, restons dans le mystère le plus total. Un mystère propre à Vermeer, peintre de l’intimité et du « dedans du dedans », pour reprendre les mots de l’historien de l’art Daniel Arasse. Du traitement délicat des ombres et de la lumière à la sobriété du décor, partout transparaît le génie du maître de Delft dans La Liseuse à la fenêtre. L’identité de la jeune fille et la nature de la lettre ne sont pas les seuls secrets bien gardés : une restauration entamée en 2017 à la Gemäldegalerie de Dresde a dévoilé sous un fond qu’on croyait nu la présence d’un Cupidon, lourd de sens…

Revenons quelque trois siècles et demi en arrière. Nous voilà en 1675, Vermeer vient de mourir et sa veuve croulant sous les dettes doit liquider ses biens. On perd la trace de La Liseuse. L’œuvre refait surface en 1742 : August III, roi de Pologne, acquiert 30 œuvres au Prince de Carignan à Paris et en remerciement, ce dernier lui offre ce petit tableau. Les écoles du Nord sont encore mal connues et c’est d’abord comme peint « à la manière de Rembrandt » qu’est décrite la Liseuse, avant qu’on ne l’attribue en 1826 à Pieter de Hooch, grand inspirateur de Vermeer.

Atelier de restauration de la Gemäldegalerie alte meister, Dresde
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Atelier de restauration de la Gemäldegalerie alte meister, Dresde

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Les vernis ont été retirés sur la partie gauche de La Liseuse à la lettre révélant les teintes originelles.

© Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Gemäldegalerie Alte Meister / Wolfgang Kreische

Une analyse aux rayons X révèle la présence d’un « tableau dans le tableau » : un cadre avec un Cupidon debout dissimulé sous des couches de peinture et de vernis.

Il faut attendre 1859 pour que lumière soit faite. Le critique d’art français Théophile Thoré-Burger est le véritable (re)découvreur du maître, travaillant à un catalogue raisonné de son œuvre. Au fait des débats sur l’attribution de la toile, il confirme l’hypothèse de Gustav Waagen en rendant La Liseuse à « Van der Meer de Delft ». Le tableau est daté des alentours de 1657–1659, soit une œuvre des débuts du peintre et contemporaine à La Laitière. La nature morte fouillée du plan intermédiaire, avec cette coupe de fruits renversée et ce tapis oriental, sont en effet typiques de cette période alors que dans La Femme en bleu lisant une lettre peinte au début des années 1660, l’économie de décor est plus totale. Stephan Koja, Uta Neidhardt et Arthur Wheelock, commissaires de l’exposition « Johannes Vermeer. On Reflection » actuellement présentée à Dresde, ont replacé la toile parmi neuf productions du maître afin de rendre lisible cette progression.

D’un destin mouvementé, La Liseuse aurait pu ne jamais nous parvenir. Nombre de toiles ont en effet disparu durant le bombardement de Dresde par les alliés en février 1945. Heureusement, La Liseuse faisait partie des trésors cachés en prévention dans la forteresse de Köningstein, près de la frontière avec la Tchécoslovaquie. À l’heure de la victoire, l’Armée rouge saisit la toile pour l’importer à Moscou avec d’autres chefs-d’œuvre, en guise de réparation de guerre. L’URSS restitue dix ans plus tard La Liseuse à l’Allemagne de l’Est alors communiste, en gage d’amitié.

La Liseuse à la fenêtre, avant et pendant restauration (le Cupidon est en parti révélé dans l’arrière-plan)
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La Liseuse à la fenêtre, avant et pendant restauration (le Cupidon est en parti révélé dans l’arrière-plan)

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© Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Gemäldegalerie Alte Meister / Wolfgang Kreische

Nouveau rebondissement dans l’histoire du tableau en 1979. Une analyse aux rayons X révèle la présence d’un « tableau dans le tableau » : un cadre avec un Cupidon debout dissimulé sous des couches de peinture et de vernis. Une figure mythologique qui ne serait pas due à la main de Vermeer, selon les experts de l’époque, et qui était déjà cachée en 1742. Qui en est donc l’auteur ? On l’ignore mais le modèle pourrait être une peinture disparue de Caesar Van Everdingen. Un remploi de toile ancienne n’aurait rien d’extraordinaire et longtemps, on a pensé que le recouvrement du fond était dû à Vermeer lui-même !

Détail de la restauration du tableau
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Détail de la restauration du tableau

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© Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Gemäldegalerie Alte Meister / Wolfgang Kreische

En 2017, la Gemäldegalerie Alte Meister entreprend une restauration minutieuse du chef-d’œuvre. La campagne permet de restituer l’éclat original des teintes, mais surtout, l’analyse chimique des couches de vernis est formelle : celles de l’arrière-plan, qui recouvrent le Cupidon, n’ont pas 360 ans. La retouche date de plusieurs décennies après la mort du peintre. Peut-être pour favoriser une vente ? Au pinceau et au scalpel, une équipe de restaurateurs dirigée par le conservateur Christoph Schölzel, composée de professionnels de Dresde mais aussi de Munich, Amsterdam et Londres, a avancé pas à pas, « grattant » la surface à raison d’1 cm² par jour pendant près de quatre ans !

C’est un nouveau regard, tant sur Vermeer que sur La Liseuse que nous offre la restauration. Vermeer assumait la présence d’un tableau (de grande taille) allégorique dans la scène. Cupidon se retrouve d’ailleurs figuré dans deux autres toiles présentées actuellement dans l’exposition consacrée à La Liseuse : La Leçon de musique interrompue et Femme debout au virginal. La présence du putto, connu pour le pouvoir de ses flèches, donne-t-elle des clés de lecture pour percer le mystère de la lettre ? La liseuse est-elle amoureuse ? Son amour, à l’instar de celui de sa cousine en bleu, aurait-il porté ses fruits ? Autant d’interprétations qui restent aujourd’hui des spéculations car, pour le bonheur de tous, La Liseuse n’a pas fini de nous réserver des surprises.

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Johannes Vermeer. On Reflection

Du 10 septembre 2021 au 2 janvier 2022

gemaeldegalerie.skd.museum

Retrouvez dans l’Encyclo : Johannes Vermeer

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