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Voilà qui va ébranler les sacro-saintes discrétion et douceur angevines. Le tribunal s'apprête à passer au crible les agissements de Saïd Chabane, ex-président du Angers SCO, âgé de 59 ans. La tranquille préfecture du Maine-et-Loire, chère à Julien Gracq, vit depuis l'hiver 2020 sous les secousses et autres remous dans lesquels semble englué l'homme d'affaires qui a fait fortune dans la charcuterie, à la tête du groupe Cosnelle, qu'il a créé en 1997.
Comme le conte de fées semble loin lorsque, le mercredi 5 février 2020, l'homme d'affaires d'origine algérienne sort à la nuit tombée du tribunal de justice pour s'engouffrer dans une voiture noire. Il vient d'être mis en examen pour « agressions sexuelles aggravées par personne abusant de sa fonction ».
Trois femmes, auxquelles s'est jointe dans la journée une quatrième, âgées de 25 à 30 ans et travaillant ou ayant travaillé au club de football d'Angers accusent le quinquagénaire de caresses « très appuyées » sur les parties intimes.
De la gloire en Ligue 1 à la chute
Dans un communiqué, le procureur de la République d'Angers, Éric Bouillard, déclare qu'il « existe des charges relativement sérieuses […], les trois plaintes […] concordent sur le mode opératoire utilisé par l'auteur. Il s'agit tout simplement de l'usage de la surprise et d'une certaine contrainte, parce que c'est quelqu'un qui inspire un certain respect […], qui va surprendre ses victimes pour leur toucher les parties intimes ». L'intéressé et ses avocats contestent. En ce mercredi 5 février, Saïd Chabane est placé sous contrôle judiciaire.
Un mois et demi plus tôt, le notable était élu dirigeant de l'année 2019 par le magazine France Football. Ses pairs reconnaissaient le travail accompli depuis son accession à la tête du club, en 2011. Le Kabyle, arrivé en France à l'âge de 23 ans et diplômé de Polytechnique, a réussi à redonner des couleurs au SCO en participant activement, en 2015, à la remontée des Angevins en Ligue 1. En 2017, la modeste mais tenace équipe échoue de peu en finale de la Coupe de France contre le PSG. Qu'importe, c'est un perdant tombé avec les honneurs.
Des femmes qui ne se connaissent pas, n’ont jamais été en contact, font état des mêmes comportements.Me Rasmia Harouna
« La gestion de Saïd Chabane était citée en exemple pour les équipes qui montaient dans l'élite car il avait réussi à structurer et stabiliser l'équipe tout en gagnant de l'argent grâce à la vente de joueurs », rapporte Gildas Crozon, journaliste sportif au Courrier de l'Ouest et bon connaisseur du Angers SCO. Ce serait pendant cette même période, celle de la gloire, des lumières, des bons résultats sportifs, que le polytechnicien s'en serait pris à des femmes.
Lorsque Saïd Chabane est mis une première fois en examen, en février 2020, comme en écho, les résultats sportifs du club commencent à se ternir. L'ambiance à la Baumette, le centre d'entraînement, devient pesante. Saïd Chabane s'emmure. Un climat paranoïaque souffle des vestiaires du stade aux bureaux de Cosnelle, le siège de sa société, installé à La Ferté-Bernard, dans la Sarthe. « Il a toujours assumé le fait de ne pas aimer déléguer. D'ailleurs, lorsqu'il est arrivé à la tête du club, il a prévenu qu'il s'occuperait de tout sauf du papier toilette. Après sa mise en examen, il y a une bascule. Tout a commencé à exploser à partir de là. Il se sépare de ses proches, étend ses prérogatives, se met à s'occuper vraiment de tout, comme la cellule de recrutement », rapporte le journaliste.
Rien n'y fait : le SCO est relégué en Ligue 2, fin avril 2023. Deux mois plus tôt, Saïd Chabane a laissé les clés du club à son fils. Pendant ce temps, les ennuis judiciaires de l'homme d'entreprise se poursuivent. Le sportif et l'extrasportif s'embourbent dans le même marasme. Nouveau coup de massue en septembre 2021 : le juge chargé de l'instruction ajoute deux mises en examen supplétives après le témoignage de deux jeunes femmes.
Un procès pour blanchiment en bande organisée en mars 2024
Ce n'est pas tout. L'homme d'affaires est placé une nouvelle fois en garde à vue en avril 2023 dans le cadre d'une enquête pour « blanchiment en bande organisée ». Il sera jugé devant le tribunal correctionnel de Bobigny fin mars 2024 pour « exercice illégal de l'activité d'agent sportif et blanchiment en bande organisée ». Enfin, c'est sans oublier les nombreuses affaires aux prud'hommes. « Il y en aurait une quinzaine », détaille Gildas Crozon.
Lundi, Saïd Chabane fera face à sept femmes. Le procès s'annonce mouvementé. Les avocats de Saïd Chabane ont prévenu qu'ils comptaient appeler comme témoin Abdel Bouhazama, éphémère entraîneur du SCO qui avait dû démissionner en mars 2023 après avoir pris la défense de son joueur Ilyes Chetti, mis en cause dans une affaire d'agression sexuelle : « C'est pas méchant, on a tous déjà touché des filles. »
« Nous sommes sereins. Nous serons là pour confirmer ce qui a toujours été dit », déclare maître Guillaume Sergent, avocat de l'une des parties civiles, au Point. « Ma cliente est très stressée, elle ne sera pas présente », relève de son côté maître Rasmia Harouna, qui défend une victime ayant travaillé au sein de la société Cosnelle. L'avocate ajoute que « des femmes qui ne se connaissent pas, n'ont jamais été en contact, font état des mêmes comportements ». Saïd Chabane continue de nier les accusations et bénéficie de la présomption d'innocence. Contactés par Le Point, les avocats de Saïd Chabane n'ont pas donné suite. Probablement est-ce dû à la discrétion angevine.
Avoir fait fortune dans la charcuterie n'est pas suffisant pour justifier de se conduire comme un cochon...