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D’inquiétantes caméras chinoises dans une cinquantaine de villes, ministères et hôpitaux québécois

La compagnie Hikvision a fait l’objet de mesures d’exclusion aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie

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Une cinquantaine d’organismes publics québécois utilisent des caméras de surveillance de la controversée compagnie chinoise Hikvision, soupçonnée de poser un risque en matière de sécurité nationale et de participer à la répression de la minorité ouïghoure en Chine.

• À lire aussi: L’entreprise de Pierre Fitzgibbon se distancie d’une société chinoise

Ville de Montréal, ministère des Transports, centres de services scolaires, universités, centres intégrés de santé et de services sociaux et même futures maisons des aînés; les caméras bon marché d’Hikvision se retrouvent un peu partout dans le réseau public, révèlent plus d’une centaine de requêtes et demandes d’accès à l’information envoyées par notre Bureau d’enquête. 

Pourtant, la compagnie Hangzhou Hikvision Digital Technology a mauvaise presse depuis des années. En 2019, l’organisme Human Rights Watch sonnait l’alarme en révélant qu’elle avait créé un outil de reconnaissance faciale qui servirait à la surveillance de la minorité ouïghoure en Chine. Le scandale avait eu des échos jusqu’au Québec; la Caisse de dépôt et placement du Québec avait alors décidé de se départir de ses actions dans la compagnie. 

L’entreprise inquiète aussi sur le plan de la sécurité nationale, d’autant plus qu’une loi oblige depuis 2017 les entreprises chinoises à collaborer et fournir des renseignements sur demande au gouvernement chinois. 

L’hiver dernier, l’Australie a retiré toutes les caméras de compagnies chinoises, incluant Hikvision, de son ministère de la Défense et de ses sites sensibles. Le Royaume-Unis a également emboîté le pas en annonçant il y a quelques mois le bannissement d’Hikvision de tous ses sites gouvernementaux sensibles.

Aux États-Unis, la vente de tout nouvel équipement de la compagnie est carrément interdite depuis l’an dernier pour des raisons de sécurité nationale. 

Les États-Unis et le Royaume-Uni ont restreint l’installation d’équipements de la firme chinoise à partir de 2022. Captures d’écran des sites web de CNN et The Wall Street Journal

Des problématiques connues

Au cours des dernières années, plusieurs vulnérabilités ont été découvertes dans les caméras Hikvision. Un groupe de chercheurs américains experts en vidéosurveillance, IPVM, recense même dans une carte interactive en temps réel les milliers de caméras Hikvision vulnérables ou carrément piratées en Europe et aux États-Unis. 

IPVM recense dans une carte interactive les milliers de caméras Hikvision vulnérables ou carrément piratées en Europe et aux États-Unis. Photo courtoisie, IPVM

Pourtant, le niveau de risque est jugé «acceptable» par la Ville de Montréal, puisque les caméras ne sont pas branchées au réseau de la ville. «Toutefois, les allégations concernant les liens entre Hikvision et la répression du gouvernement chinois, et concernant la confidentialité des données, soulèvent des inquiétudes», a commenté le porte-parole Gonzalo Nunez. 

Une vérification a été entreprise par la Ville à la suite de la demande d’entrevue de notre Bureau d’enquête, mais il a été impossible d’en connaître la conclusion pour des «raisons de sécurité». 

À d’autres endroits, le recours à Hikvision est complètement décomplexé. Le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais nous a indiqué n’avoir «pratiquement que du Hikvision dans ses installations». 

Sur leurs gardes

D’autres institutions qui possèdent ces caméras se disent conscientes des risques liés à leur utilisation. 

Par exemple, au Centre de services scolaire des Navigateurs, à Lévis, on affirme avoir bloqué tous les échanges informatiques de ces caméras avec l’extérieur «par mesure de sécurité». 

Hydro-Québec, qui possède encore quelques caméras Hikvision pour des «besoins d’exploitation complémentaire» a, paradoxalement, exclu carrément la compagnie chinoise de son catalogue d’achats. 

La Ville de Saguenay, qui possède aussi des caméras Hikvision, nous a indiqué ne pas avoir acheté d’autres caméra de cette marque depuis plus de sept ans pour des raisons de sécurité. 

«Lorsque les préoccupations autour de compagnies chinoises, comme Huawei, ont émergé, nous avons cessé d’utiliser leurs équipements. Depuis déjà quatre ou cinq ans, les questions de qualité et de risques ont fait en sorte que les ressources informationnelles s’éloignent des produits chinois dans ce type d’achats», a indiqué le porte-parole Dominic Arseneau. 

Même approche du côté du Centre universitaire de santé McGill. «Depuis plusieurs années, nous n’achetons plus de caméras Hikvision parce qu’elles ne respectent pas les normes en vigueur», a indiqué la porte-parole Fabienne Landry, en faisant référence au bannissement américain. 

Pas une «menace»

De son côté, la compagnie Hikvision jure n’avoir rien à se reprocher. Elle affirme qu’une enquête interne, réalisée au cours des dernières années à sa demande par un ancien ambassadeur américain, a prouvé qu’elle ne s’était pas impliquée dans des projets dans des provinces chinoises dans le but de sciemment violer les droits de la personne. 

«L’analyse technique des produits Hikvision n’a jamais indiqué qu’ils constituaient une menace pour les intérêts de la sécurité nationale. Les produits Hikvision sont soumis à des exigences de sécurité strictes et sont conformes aux lois et réglementations applicables dans chaque pays», a également indiqué la compagnie par courriel. 

4000 caméras Hikvision au ministère des Transports

Le ministère des Transports possède 4000 caméras de marque Hikvision, acquises en 2022 alors que les États-Unis avaient déjà placé la compagnie chinoise sur une liste noire. 

En mars 2021, la Commission fédérale des communications annonçait qu’elle considérait cinq compagnies chinoises, dont Hangzhou Hikvision Digital Technology, comme posant un risque à la sécurité nationale des États-Unis. 

C’est l’année suivante que le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) a acquis ses caméras Hikvision pour les utiliser essentiellement à des fins de vidéoconférence. 

Questionné à ce sujet, le MTMD nous a affirmé que ces caméras étaient sécuritaires et qu’il s’assurait de suivre les orientations du ministère de la Cybersécurité numérique (MCN) en ce domaine. 

«À ce jour, le MTMD n’a pas reçu de directives ou d’orientations du MCN par rapport aux caméras de marque Hikvision», nous a indiqué le porte-parole Louis-André Bertrand. 

Dans le noir

Le ministère de la Cybersécurité numérique juge-t-il les caméras Hikvision sécuritaires? Est-ce que les institutions publiques devraient continuer de les employer? Impossible de le savoir. 

Le MCN nous a d’abord indiqué n’avoir émis «aucune directive ou recommandation spécifique aux caméras Hikvision». Après plusieurs échanges de courriels, le ministère nous a finalement indiqué avoir fait des «analyses», mais nous a dirigés vers l’accès à l’information, une procédure qui peut prendre plusieurs semaines, pour en connaître les conclusions.   

Or, le ministère devrait interdire ou «au minimum» encadrer le recours à ces caméras pour qu’elles soient utilisées sans jamais être connectées au web, croit l’expert en cybersécurité et cofondateur du Hackfest, Patrick Mathieu. 

«Si ces caméras sont utilisées pour faire des réunions, c’est sûr que la réunion est connectée au cloud d’une certaine manière, donc c’est nécessairement possible pour la Chine d’accéder à ça. Ce n’est pas nécessairement ce qu’elle fait, mais c’est possible», explique-t-il. 

«Même si l’entreprise se dit indépendante, elle ne l’est pas parce qu’elle vient de la Chine. Même si elle ne fait rien [de mal] présentement, ça ne veut pas dire qu’elle ne fera rien demain matin parce que la Chine l’y obligera. Par défaut, c’est un danger. Pas parce qu’il s’est passé quelque chose nécessairement, mais parce que ça peut être dangereux», dit M. Mathieu. 


ILS ONT DES CAMÉRAS HIKVISION:

  • Ministère des Transports du Québec;
  • Hydro-Québec;
  • Ville de Montréal;
  • Ville et service de police de Gatineau;
  • Ville de Laval (les caméras seront remplacées prochainement);
  • Ville de Terrebonne;
  • Ville de Saguenay;
  • Des sociétés de transport comme celles de Trois-Rivières et de Laval;
  • 14 centres intégrés de santé et de services sociaux, dont tous ceux de l’île de Montréal, de Laval, de l’Estrie, de l’Outaouais et des Laurentides;
  • Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM); 
  • Institut de Cardiologie de Montréal;
  • Des universités comme HEC Montréal et l’Université du Québec à Rimouski;
  • 23 centres de services scolaires, dont celui de la Capitale et de Laval. 
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