Les Européens s'entendent pour mieux gérer ensemble l'asile et les migrations
Les Vingt-Sept ont finalisé un ensemble de mesures destiné à restreindre et mieux gérer les flux migratoires vers l'Union européenne, ainsi que les demandes d'asile. La Hongrie annonce qu'elle refusera d'accueillir des migrants, mais elle ne peut pas bloquer l'adoption des nouvelles règles européennes.
Par Vincent Collen
Il aura fallu plus de trois ans pour parvenir à un accord, tant les négociations ont été tendues. C'est chose faite. Mercredi matin à Bruxelles, les Vingt-Sept ont annoncé la finalisation du pacte sur l'asile et les migrations, un ensemble de mesures proposées par la Commission de Bruxelles en 2020 afin de restreindre et mieux gérer les flux migratoires vers l'Union européenne, ainsi que les demandes d'asile.
Le Parlement européen et les Etats membres sont parvenus à s'entendre à l'issue d'un « trilogue » marathon de deux jours et deux nuits entre les institutions européennes. La présidente du Parlement, la Maltaise Roberta Metsola, a salué « une journée historique » pour ce qui est, selon elle, « probablement l'accord législatif le plus important de cette mandature ».
« Des solutions européennes »
Le compromis est le reflet d'une hostilité croissante envers les flux migratoires dans la plupart des pays du Vieux Continent, sur fond de montée de l'extrême droite. L'UE a enregistré 255.000 arrivées irrégulières en 2023, un record depuis la crise syrienne de 2015 où plus d'un million d'entrées avaient été recensées.
Quant aux demandes d'asile, elles ont frôlé le million l'an dernier, Syriens et Afghans en tête. « La migration est un défi européen qui requiert des solutions européennes », a déclaré la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. L'ONU a salué « une étape très positive ». En France, Gérald Darmanin s'est félicité d'une « réponse ferme et solidaire contre l'immigration irrégulière et les réseaux de passeurs ».
Le pacte prévoit un contrôle renforcé des arrivées de migrants et des centres fermés près des frontières, pour renvoyer plus rapidement ceux qui n'obtiennent pas le droit à l'asile. Quelque 30.000 places doivent être créées, ce qui permettrait d'accueillir jusqu'à 120.000 migrants par an.
Relocalisations
La règle actuelle reste en vigueur : ce sont les pays d'arrivée des migrants qui doivent gérer les dossiers. Mais un mécanisme de solidarité obligatoire est instauré entre les pays européens pour soulager les Etats en première ligne, comme l'Italie, l'Espagne, la Grèce, Malte ou Chypre.
Sont prévues des relocalisations dans d'autres pays (au moins 30.000 demandeurs d'asile par an) ou un soutien financier (20.000 euros par demandeur d'asile refusé). Ce point a été rejeté l'été dernier par la Pologne et la Hongrie, qui refusent d'accueillir des migrants sur leur territoire.
« Nous rejetons ce pacte migratoire avec force, a déclaré mercredi le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto. Nous ne laisserons entrer personne contre notre volonté ». Mais le pacte ne requiert pas l'unanimité des Etats membres, il peut donc être adopté à la majorité qualifiée.
« Avec ces textes, les Européens actent un resserrement de tous les critères d'acceptation et d'entrée sur le territoire de l'Union, et facilitent le retour des personnes dont la demande d'asile n'est pas acceptée, commente Jérôme Vignon, expert à l'Institut Jacques-Delors. L'ensemble est très restrictif. »
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Le « paquet » adopté mercredi vise aussi à mieux gérer les situations de crise, comme l'arrivée soudaine et massive de migrants sur l'île italienne de Lampedusa l'été dernier, ainsi que les secours en mer. Des mesures dérogatoires sont alors prévues. Il comporte également un volet visant à décourager les arrivées, en renforçant la coopération avec les pays d'origine ou de transit pour qu'ils empêchent les départs.
Accord controversé avec la Tunisie
Un accord avec la Tunisie, signé cette année, est très controversé et n'a pas eu de conséquences tangibles pour l'instant. « Le gouvernement tunisien essaie de bloquer l'exil de ses propres ressortissants, mais il n'a aucun intérêt à empêcher les départs vers l'Europe des migrants non-tunisiens qui transitent sur son territoire », explique Jérôme Vignon.
Le pacte est issu d'un large accord entre les trois plus grands partis du Parlement européen, PPE (droite), Renew (centre) et S&D (gauche). Il est aussi soutenu par le gouvernement nationaliste et conservateur de Giorgia Meloni. L'Italie se sent « moins seule », a déclaré le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Piantedosi, saluant « un grand succès ».
Le paquet législatif est en revanche décrié par beaucoup d'ONG. Cinquante d'entre elles, dont Amnesty International, Oxfam, Caritas et Save the Children ont dénoncé « un système mal conçu, coûteux et cruel ». Pour entrer en vigueur, les textes doivent encore être formellement adoptés par le Conseil et le Parlement européens en début d'année prochaine. Juste à temps pour les élections européennes de juin, pour lesquelles les sondages prédisent une nette progression des partis d'extrême droite.
Vincent Collen