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En Israël, l’extrême droite rêve tout haut à la recolonisation de Gaza

Le gouvernement israélien maintient le flou sur l'après-guerre dans la bande de Gaza, mais des ministres plaident sans détour pour l'annexion du territoire palestinien et le rétablissement des colonies, démantelées il y a près de 20 ans.

Des drapeaux israéliens flottent au vent derrière des fils barbelés.

Photo d'archives montrant des drapeaux israéliens flottant au vent derrière une clôture de barbelés lors d'une cérémonie marquant la fin de la présence militaire israélienne dans la bande de Gaza, dans une base militaire évacuée près de l'ancienne colonie de Neve Dekalim, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 septembre 2005.

Photo : Getty Images / AFP/DAVID FURST

« Une maison au bord de la mer, ce n’est pas un rêve! » Ce slogan promotionnel d’une agence immobilière aurait pu passer inaperçu si ce n’est du visuel qui l’accompagne.

L’image, partagée sur le compte Instagram de l’entreprise Harei Zahav, spécialisée dans la construction de logements dans les colonies israéliennes en Cisjordanie, montre des plans d’habitations modernes surplombant des ruines sur le littoral de Gaza.

Nous travaillons sur le déblaiement des débris et l’expulsion des squatteurs. Nous espérons que, dans un proche avenir, […] nous pourrons commencer la construction dans la région du Goush Katif, indique un texte en hébreu en bas du visuel.

Une image montrant des ruines et des plans de maisons en bord de mer avec des textes en hébreu.

L'entreprise immobilière israélienne a publié sur Instagram ce visuel montrant des plans de logements modernes juxtaposés aux ruines de Gaza. Les comptes Instagram et Twitter de l'entreprise ont été supprimés quelques jours après cette publication.

Photo : Instagram/Harei Zahav

Goush Katif fait référence à l’ancien bloc de colonies implanté dans la bande de Gaza pendant 38 ans, entre 1967 et 2005. Le 11 septembre 2005, le gouvernement d’Ariel Sharon avait achevé le retrait de ses troupes et des 8000 colons qui vivaient dans ce territoire palestinien.

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Des faucons s'expriment

Au-delà de son caractère anecdotique, cette campagne publicitaire, qui a été plus tard effacée, reflète une position partagée par plusieurs politiciens, dont des députés et des ministres au sein du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, le gouvernement le plus à droite de l’histoire d'Israël, issu d'une alliance avec des partis ultraorthodoxes et d'extrême droite.

Le ministre du Patrimoine, Amichai Eliyahu, est l’un de ces faucons. Membre du parti d'extrême droite Otzma Yehudit, il a récemment déclaré qu'Israël doit entièrement réoccuper la bande de Gaza après la guerre, affirmant que les Palestiniens sont incapables de contrôler le territoire sans en faire un foyer de terrorisme.

Une synagogue en forme d'étoile de David.

Photo d'archives datant du 13 septembre 2005 sur laquelle on voit des Palestiniens autour d'une synagogue abandonnée dans l'ancienne colonie israélienne de Neve Dekalim, dans le sud de la bande de Gaza, après son démantèlement.

Photo : Getty Images / AFP/PEDRO UGARTE

Ce même ministre avait fait la une des journaux en novembre lorsqu’il a évoqué la possibilité de larguer une bombe nucléaire sur la bande de Gaza pour en finir avec le Hamas. Interrogé sur le sort de la population palestinienne, il a déclaré : Ils peuvent aller en Irlande ou dans le désert; les monstres de Gaza devraient trouver une solution par eux-mêmes.

Ses commentaires ont été rapidement désavoués par M. Nétanyahou, qui a temporairement suspendu la participation du ministre aux réunions de son Cabinet.

Quelques jours après le début de la guerre, les ministres de l’Éducation, Yoav Kisch, et des Transports, Miri Regev, ont tous deux accusé les politiciens à l’origine du démantèlement des colonies dans la bande de Gaza d’être responsables de l’attaque sanglante du Hamas du 7 octobre dernier.

Des enfants jouent sur un terrain de sable devant des blocs d'immeubles.

Des enfants jouent à côté de bâtiments abandonnés dans l'ancienne colonie juive de Ganei Tal, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 août 2015. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / AFP/SAID KHATIB

Ce jour-là, le mouvement islamiste palestinien a lancé une attaque inédite en sol israélien à partir de la bande de Gaza, faisant au moins 1140 morts, la plupart des civils.

Quelque 250 personnes ont par ailleurs été prises en otage lors de cette attaque. Depuis, une centaine d'entre elles ont été libérées dans le cadre d’une trêve, à la fin de novembre, en échange de 240 prisonniers palestiniens.

En représailles, Israël a juré d'anéantir le Hamas, pilonnant le territoire palestinien, l'assiégeant et menant une vaste opération terrestre depuis le 27 octobre. Plus de 20 000 personnes ont été tuées dans les bombardements israéliens, majoritairement des femmes, des enfants et des adolescents, selon le ministère de la Santé du Hamas.

Une épaisse fumée se dégage du nord de Gaza, vue du côté israélien de la frontière, le 21 décembre 2023.

Une épaisse fumée se dégage du nord de Gaza, vue du côté israélien de la frontière, le 21 décembre 2023.

Photo : Getty Images / Maja Hitij

Cette guerre, c’est la Nakba de Gaza 2023, a dit le ministre de l’Agriculture, Avi Dichter, à la télévision israélienne, le 12 novembre. La Nakba, qui veut dire catastrophe en arabe, fait référence à l'appellation dans le monde arabe de la création de l'État d'Israël, en 1948, et de l'exode des Palestiniens qui s'en est suivi.

À ce jour, 1,9 million de personnes, soit 85 % de la population palestinienne, ont été déplacées par la guerre, selon l'ONU.

Après avoir ordonné l’évacuation du nord de la bande de Gaza au début de l’offensive, forçant le déplacement de plus d’un million de Palestiniens, Israël a de nouveau lancé jeudi un appel à évacuer une vaste zone de Khan Younès, la plus grande ville du sud du territoire.

Bezalel Smotrich, colon et ministre des Finances, parle de migration volontaire des Palestiniens de Gaza, affirmant que c’est la bonne solution humanitaire pour l’enclave assiégée et pour la région, une position que l’Autorité palestinienne qualifie de soutien au nettoyage ethnique.

Vue générale d'un camp de fortune.

Des Palestiniens réfugiés dans des tentes, le 21 décembre 2023, à Al-Mawasi, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Photo : Getty Images / Ahmad Hasaballah

Le ministre d’extrême droite a fait ces déclarations à la mi-novembre à la suite de la publication d’un article dans le Wall Street Journal par deux députés israéliens, dont l’ancien ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, appelant les pays occidentaux à accueillir une partie de la population palestinienne de Gaza.

Un vieux rêve ravivé

Les appels pour la réoccupation de la bande de Gaza ne datent pas d’hier, mais l’attaque du Hamas du 7 octobre a ravivé ce vieux rêve chez l’extrême droite israélienne.

En mai, soit cinq mois avant l’assaut meurtrier du Hamas, M. Smotrich et le ministre des Missions nationales, Orit Strock, du parti d’extrême droite Sionisme religieux, avaient séparément lancé un appel à la reconquête de l’enclave par Israël pour en finir avec les attaques répétées des groupes armés palestiniens dans le territoire.

Le moment viendra probablement de retourner à Gaza, de démanteler le Hamas et de démilitariser Gaza, a dit M. Smotrich dans une entrevue à la télévision israélienne. Je crois que le moment viendra où il n’y aura plus d’autre choix que de reconquérir Gaza.

Deux femmes pleurent, la tête sortant d'un trou dans le toit d'une maison.

L'une des images marquantes du démantèlement des colonies juives de la bande de Gaza en 2005. Deux Israéliennes pleurent d'un trou dans le toit de leur maison quelques instants avant d'être évacuées de la colonie de Goush Katif, dans le sud de la bande de Gaza.

Photo : Getty Images / AFP/ROBERTO SCHMIDT

Le 11 décembre, une coalition de mouvements de colons a tenu une conférence pour discuter d’un plan pratique pour le rétablissement des colonies juives à Gaza. Selon le quotidien israélien Haaretz, la conférence a attiré quelque 200 personnes et les organisateurs ont déjà dressé une liste de familles qui se sont engagées à s’installer dans un éventuel projet de colonies à Gaza.

Après [le 7 octobre], tout le monde comprend que les colonies sont synonymes de sécurité, et là où il n'y a pas de colonies, il y a la terreur, les massacres et l'Holocauste, a déclaré Yossi Dagan, chef du Conseil régional des colonies de Samarie, dans le nord de la Cisjordanie, dans une récente entrevue accordée à la chaîne israélienne 14, une chaîne de droite.

Appelé à réagir, le consul général d'Israël à Montréal, Paul Hirschson, a minimisé les propos des ministres de l’extrême droite, affirmant qu’ils ne représentent qu’une frange de la société israélienne.

Les opinions les plus extrêmes attirent plus d’attention qu’elles ne le méritent, dit-il à Radio-Canada. Je ne dis pas que ces opinions n’existent pas. Elles existent, mais elles n’ont aucune influence.

Une murale sur laquelle des palmiers ont été peints est à terre.

Photo d'archives montrant une murale démolie après le démantèlement de l'ancienne colonie juive de Morag, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 1er mars 2007.

Photo : Getty Images / Abid Katib

Selon lui, il est encore trop tôt pour avancer des hypothèses sur l’avenir de la bande de Gaza, mais quelques certitudes semblent se dégager : On ne sait pas encore qui va diriger la bande de Gaza, mais une chose est sûre, ça ne sera ni le Hamas ni Israël.

Je pense qu’il y a consensus en Israël sur le fait que le Hamas ne sera plus présent dans la bande de Gaza [après la guerre]. Il y a aussi un consensus sur le fait qu'Israël ne sera pas là non plus. Je pense qu’il y aussi un consensus sur le fait que le territoire sera démilitarisé et qu’Israël exercera un certain rôle pour assurer le maintien de sa propre sécurité.

Une citation de Paul Hirschson, consul général d'Israël à Montréal

Il explique que la raison pour laquelle il n’y a pas plus de clarté sur les scénarios de l’après-guerre, c’est parce qu’il y a un besoin d'unité nationale à l'heure actuelle en Israël. Nous devons maintenir ce sentiment d’unité alors qu’on est encore en pleine guerre, dit-il.

Un sondage mené au début de décembre par l'Université hébraïque de Jérusalem révèle que plus de la moitié des Israéliens (56 %) s’opposent à l’annexion de la bande de Gaza et au rétablissement des colonies démantelées en 2005, contre 33 % qui s'y disent favorables et 11 % qui sont toujours incertains.

Des milliers de personnes rassemblées autour d'une maquette en feu.

Des militants du Hamas mettant le feu à l'effigie d'une colonie israélienne lors d'un rassemblement organisé le 16 septembre 2005 dans l'ancienne colonie juive de Neve Dekalim, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / AFP/SAID KHATIB

« Comme des objets inanimés »

Encore une fois, ce sont les Israéliens qui vont décider du sort des Palestiniens, déplore Yakov Rabkin, professeur émérite à l’Université de Montréal et spécialiste de l’histoire juive contemporaine. On ne demande pas l’avis des Palestiniens de Gaza. On parle d’eux comme s’ils étaient des objets inanimés, dit-il à Radio-Canada.

Tant et aussi longtemps qu'on n'admet pas l'égalité des droits des [Palestiniens], on va s'appuyer uniquement sur la force militaire, ce qui ne va pas augmenter la sécurité d'Israël ni celle des Palestiniens, bien entendu.

Une citation de Yakov Rabkin, professeur émérite à l’Université de Montréal

Je crois que tout historien vous dira la même chose : supposons qu’Israël éradique le Hamas jusqu'au dernier combattant. D'ici quelques années, il y aura un autre mouvement qui le remplacera. Ça, c'est inévitable, explique M. Rabkin.

Une population colonisée va se révolter, c'est clair. [...] Tant et aussi longtemps que les Palestiniens vivent dans ces conditions colonisées, il y aura un mouvement de résistance.

Avec les informations de l’Agence France-Presse, Reuters, Washington Times, Al-Jazeera, Times of Israel, Haaretz, Ynet et NBC News.

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