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Lutte contre les clandestins : la Cour des comptes étrille l'exécutif

Des policiers encadrent un migrant détenu au centre de rétention administrative de Vincennes, le 2 novembre.
Des policiers encadrent un migrant détenu au centre de rétention administrative de Vincennes, le 2 novembre. MIGUEL MEDINA/AFP

Elle pointe les failles de la gestion des frontières et des éloignements. Darmanin se défend.

En matière de communication, cela s'appelle un contrefeu… Alors que la Cour des comptes devait publier, ce jeudi, un rapport incendiaire, dont le gouvernement n'ignorait rien, sur « la politique de la lutte contre l'immigration irrégulière », le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a diffusé, le même jour et à la même heure, des informations qui attestent, selon lui, de la fermeté du gouvernement face aux « étrangers délinquants ».

Selon Beauvau, un total de 4686 étrangers délinquants ont été expulsés en 2023, en hausse de 30 % par rapport à 2022 - ils étaient 3 615 cette année-là et 1 800 en 2021, a précisé le ministère. Les principales zones de destination des personnes expulsées sont, dans l'ordre, le Maghreb, l'Afrique subsaharienne et l'Europe centrale. Ces chiffres correspondent aux « éloignements effectifs à la sortie de centre de rétention administrative et aux mises à exécution des arrêtés ministériels d'expulsion », précisent les autorités.

Effet de loupe

Pour donner un peu de pompe à l'« événement », le premier flic de France avait réuni, le matin même, ses préfets à l'hôtel de Beauvau, et, en leur présence, « s'est félicité de ce premier bilan », leur demandant « d'accélérer encore en la matière, notamment grâce aux apports de la loi immigration dès lors que celle-ci sera promulguée ».

« Méchant avec les méchants », Gérald Darmanin ? Il faut bien reconnaître que sa circulaire du 3 août 2022, priorisant l'éloignement forcé des illégaux qui présentent une menace pour l'ordre public, a été appliquée avec zèle par les préfets. Aux obligations de quitter le territoire français (OQTF) prises par ces grands commis contre ce public ciblé dans les départements, se sont ajoutés les arrêtés ministériels d'expulsion (AME) parfois pris par le ministre lui-même.

Pour cette procédure spécifique, la menace est évaluée par l'administration en fonction du comportement : violence, trafic de drogue, incitation au terrorisme, etc. Il n'est même pas nécessaire d'avoir fait l'objet d'une condamnation pénale, même si les sortants de prisons sont largement concernés. Pour faire bon poids, le ministère a donc choisi d'ajouter à ces « AME », les « méchants » sous OQTF, pour atteindre donc 4 686 étrangers délinquants expulsés.

Mais c'est un effet de loupe, qui ne saurait masquer le cadre général, dont la Cour des comptes s'est faite l'analyste scrupuleuse, pour dépeindre, au final, une situation dantesque. Si « singulière » que le premier président de la cour, l'ancien ministre socialiste Pierre Moscovici, a préféré retarder la publication du rapport de ses magistrats, qui devait avoir lieu, en principe, le 13 décembre dernier, soit deux jours après le rejet à l'Assemblée nationale du projet de loi immigration du gouvernement… « Je ne souhaitais pas que cette publication puisse interférer en quoi que ce soit avec le débat politique », a-t-il déclaré, ce jeudi.

«Un soutien réduit»

On se pince, il est vrai, en lisant ce qu'écrivent les sages de la Rue Cambon. Sur la gestion des frontières : « Les contrôles opérés sont très limités. La police aux frontières ne relève que l'identité déclarée des personnes interpellées, sans l'intégrer dans un système d'information national. Les empreintes des étrangers interpellés ne sont pas prises, en l'absence de cadre légal. »

Ils poursuivent : « Leurs documents d'identité ne sont pas scannés, alors qu'ils seraient utiles ultérieurement en vue d'un éloignement (si la personne réussit finalement à passer la frontière) ». Ce n'est pas tout : « Les personnes interpellées ne font pas, sauf exception, l'objet de vérifications avec les fichiers de police ». Et la cour de recommander urgemment de « recueillir et conserver les données d'identité des étrangers interceptés ». La France a prononcé « près de 240.000 refus d'entrées à ses frontières intérieures entre 2018 et 2022. Malgré cela, le nombre global d'entrées irrégulières sur le territoire national s'accroît depuis 2015 », déplore la Cour. Selon elle, l'agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, « apporte un soutien réduit ».

La saturation des administrations et des juridictions chargées de ce public et de ce contentieux est totale. « Entre 2019 et 2022, les préfets ont prononcé 447 257 OQTF, y compris outre-mer. La moitié d'entre elles émanait de dix préfectures, tandis que 50 départements représentaient moins de 10 % des mesures prononcées ».

« Contentieux de masse »

« Sur les cinq dernières années, le nombre d'OQTF délivrées a augmenté de 60 % alors que les effectifs préfectoraux consacrés à l'éloignement et au contentieux des étrangers a crû de 9 % ». Ainsi, « la plupart des préfectures sont surchargées, commettant régulièrement des erreurs de droit face à un cadre juridique particulièrement complexe, et rencontrent des difficultés à respecter les délais légaux ». Pire : « Elles n'assurent quasiment plus la défense contentieuse de leurs décisions devant les juridictions administratives. » Celles-ci sont également noyées sous « ce contentieux de masse qui a représenté 41 % des affaires des juridictions administratives en 2021 ».

Le bilan de l'éloignement n'est guère plus reluisant. La cour écrit, concernant le chiffre désormais connu de 10 % d'expulsions d'illégaux réellement réalisées en France : « Ce découplage entre le nombre de mesures d'éloignement prononcées et leur exécution effective démontre les difficultés de l'État à faire appliquer, y compris sous la contrainte, ses décisions particulièrement nombreuses. Il envoie un mauvais signal.» Selon ces magistrats, en effet, « plus les éloignements forcés sont nombreux, plus les étrangers en situation irrégulière sollicitent l'aide au retour volontaire, car la menace d'un éloignement forcé est crédible ». Ainsi, « avec 4 979 retours aidés exécutés en 2022, la France accuse un retard notable par rapport à ses voisins européens (26 545 en Allemagne en 2022) ». Encore faut-il se donner les moyens de s'assurer que les personnes ne reviennent pas pointer à ce généreux guichet, même si la cour rappelle qu'un départ aidé (jusqu'à 2500 euros actuellement) coûte toujours moins cher qu'un retour forcé, sachant que « le coût d'une journée de rétention s'élève à 602 euros, tandis que l'éloignement forcé effectif coûte en moyenne 4 414 euros ».

Elle évalue le coût total de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière à « 1,8 milliard par an, porté à 90 % par le ministère de l'Intérieur ». Celui-ci affecte à cette mission 10 % des effectifs de la police nationale.Bien sûr, corriger certaines des lacunes pointées dans ce rapport était précisément le but du projet immigration. Après le séisme de la motion de rejet du 11 décembre, le gouvernement a d'ailleurs été contraint de prendre en compte les propositions de durcissement du texte faites par la droite au Sénat et à l'Assemblée.

Quand la Cour des comptes préconise de donner à la police les pouvoir renforcés des douaniers en matière de fouille des véhicules à la frontière, cela figure déjà dans le projet Darmanin. Idem pour la simplification des procédures, l'interconnexion de fichiers. S'y ajoutent des mesures pour faire tomber les protections dont bénéficient les étrangers délinquants arrivés en France avant l'âge de 13 ans. À condition que les laissez-passer consulaires suivent.

Pour l'heure, le flux des clandestins ne cesse de croître. Ceux touchant l'aide médicale d'État (AME), que la droite veut restreindre, sont 439.000 bénéficiaires en juin 2023, selon la Cour. Qui se garde d'estimer le nombre le plus plausible d'illégaux. Le ministre de l'Intérieur l'avait esquissé, lui, devant le Sénat, en novembre, annonçant une fourchette « entre 600.000 et 900.000 » personnes. Pour jamais plus de 35.000 départs à l'année au total, toutes catégories confondues (spontanés, aidés, forcés). Les chiffres sont impitoyables.

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299 commentaires
  • MOUTON REFLECHI

    le

    Être méchant avec l’éméchant ne suffit pas : il faut prioriser le peu de logements qui se libèrent pour les gens déjà en France ; ainsi que les emplois car il est plus facile de former un Français à n’importe quel travail en tension. et même si certains refusent, il y en a qui acceptent et accepteront s’ils risquent de perdre leur allocation chômage !…..i

  • Danielle DEAR

    le

    "Un total de 4686 étrangers délinquants ont été expulsés en 2023, en hausse de 30 % par rapport à 2022": pour quoi un si faible taux d'expulsion réalisé ???
    Et combien sont entrés illégalement ?

  • Bob44

    le

    Fabius fait partie du Conseil Constitutionnel. On pourrait en loger quelques uns dans l'appartement parisien à 7 millions et demi d'euros, acheté par son fils qui à ma connaissance ne payait pas d'impôts sur le revenu.

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