La tuberculose, une maladie virtuellement éradiquée en Occident, a connu une année record dans le Grand Nord du Québec en 2023.

En date de la fin décembre, 81 personnes avaient reçu un diagnostic de tuberculose pulmonaire, le plus grand nombre de cas depuis au moins 1990.

« C’est l’un des plus élevés des dernières décennies », explique Yassen Tcholakov, chef clinique en maladies infectieuses à la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik. Il convient d’ailleurs volontiers que les 81 diagnostics ne représentent pas la totalité des cas dans la région, puisque la tuberculose peut être asymptomatique pendant des années et qu’il s’agit d’une maladie « extrêmement compliquée à diagnostiquer ».

Et ce n’est pas fini, précise le médecin en entrevue téléphonique. Après une baisse de régime sur le plan du dépistage pendant la pandémie, la Santé publique locale a repris ses efforts et détecte donc davantage les éclosions.

On est sur une trajectoire comme ça, où l’on va avoir beaucoup de cas [en 2024]. J’espère qu’on en aura moins, mais on va bien voir. Ce n’est pas une bonne chose qu’il y ait des cas, mais c’est une bonne chose qu’on finisse par les trouver et qu’on puisse offrir des traitements aux gens.

Yassen Tcholakov, chef clinique en maladies infectieuses à la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik

Salluit, un village de 1700 personnes à l’extrémité nord du Québec, a notamment connu une éclosion majeure de tuberculose. Un important rendez-vous culturel, le Salluit Spring Music Festival, a été annulé. L’enfant chérie de la communauté, Elisapie, devait s’y produire.

La tuberculose a fait un « très petit nombre » de morts en 2023, mais le DTcholakov a refusé d’indiquer combien, étant donnée la petitesse des communautés au Nunavik.

« Manque de ressources humaines »

La tuberculose est une maladie pulmonaire virtuellement éradiquée dans le sud du Canada : la grande majorité des gens qui y sont traités ont été infectés dans des pays en voie de développement, où elle est encore bien présente et tue plus d’un million de personnes par année.

Chez les Inuits du Canada, toutefois, la tuberculose est loin d’avoir disparu. Sa prévalence est plusieurs centaines de fois plus élevée que dans le reste de la population.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Larry Morgan respire une solution le poussant à cracher, afin de récolter un échantillon pour un test de tuberculose, à Kangiqsualujjuaq.

Les experts pointent le manque criant et persistant de logements dans le Grand Nord pour expliquer la situation. Les maisons existantes, en très grande majorité du logement social, sont surpeuplées. Ce qui favorise la transmission de la maladie.

Et la région est mal armée pour faire face à ces flambées de tuberculose. Depuis le début de l’été dernier, la pénurie de personnel a entraîné la fermeture temporaire de plusieurs dispensaires de la région, freinant le dépistage et l’approfondissement des enquêtes de transmission.

« Les services de santé sont en souffrance. Il y a un manque de ressources humaines, c’est le cas partout, mais la situation au Nunavik est plus criante qu’ailleurs parce qu’on fonctionne avec un effectif moindre, dit Yassen Tcholakov. Les gens ont beaucoup de difficulté à avoir des soins au moment opportun. »

Maladie à traitement obligatoire

La tuberculose s’attrape par contact avec un malade qui tousse ou éternue — des symptômes fréquents. Elle est toutefois la seule maladie à « traitement obligatoire » au Québec : un malade doit absolument se soumettre aux traitements médicaux, sous peine d’y être forcé par la justice.

L’accès aux soins est toutefois beaucoup plus difficile au Nunavik, où les 14 villages sont accessibles uniquement en avion. Seules deux collectivités disposent d’un hôpital.

Contrairement à la COVID-19, la tuberculose ne se contracte qu’en cas d’exposition prolongée. Elle peut être mortelle si elle n’est pas traitée rapidement.

Depuis le début 2023, les nouveau-nés de la région reçoivent un vaccin qui protège contre les formes graves de la tuberculose. L’injection doit toutefois attendre la confirmation de l’absence de problèmes immunitaires chez les bébés, ce qui complique la distribution.