Logo vl

Scandale

Des nourrissons vendus par des membres de l’Eglise de Belgique

Les révélations se multiplient autour d’un trafic qui aurait concerné 30.000 enfants et généré d’importantes sommes d’argent.

Le primat de Belgique Luc Terlinden, a évoqué les «enfants victimes d’abus sexuels ou d’une adoption forcée» à Noël, lors de la messe de minuit.
Le primat de Belgique Luc Terlinden, a évoqué les «enfants victimes d’abus sexuels ou d’une adoption forcée» à Noël, lors de la messe de minuit. © PHOTO: DR

Il y a cette enfant vendue à des parents adoptifs pour un million de francs belges de l’époque (25.000 euros). Et cette jeune femme qui servit de mère biologique et dut, dit-elle, renoncer à sa fille pour 100.000 francs (2.500 euros). Depuis trois semaines, le quotidien flamand Het Laatste Nieuws multiplie les révélations sur un commerce d’enfants dans lequel l’Eglise a joué un rôle central. 

Lire aussi :

Les faits se sont déroulés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 80. En tout, 30.000 nourrissons auraient été soustraits à leur mère biologique et vendus à des familles d’adoption, pour des sommes oscillant entre 10.000 et 30.000 francs belges de l’époque, voire davantage. 

Le calvaire des «filles-mères»

Durant ces quatre décennies, il ne faisait pas bon d’être «fille-mère» en Belgique. Les familles reléguaient les jeunes femmes célibataires enceintes au secret des institutions religieuses où elles accouchaient à l’abri des regards. La plupart des accouchements avaient lieu sous césarienne, donc sous anesthésie. Le bébé était alors «confié» à des tierces personnes contre de l’argent. Le tout s’accompagnait parfois de maltraitance, d’humiliations et de violences. Des cas de stérilisation forcée ont été rapportés.

Het Laatste Nieuws précise encore que l’argent s’est retrouvé dans différentes institutions religieuses, en Belgique mais aussi à l’étranger, aux mains de nonnes qui connaissaient les tenants et aboutissants de ce trafic. C’est en tout cas ce qu’affirme une victime.

Ces nouvelles révélations frappent de plein fouet l’Eglise catholique de Belgique, laquelle digère à peine le rappel médiatique d’affaires de pédophilie anciennes. God Vergeten », le documentaire de la chaîne publique flamande Canvas VRT, a montré cet automne comment des prêtres abuseurs avaient continué à vivre tranquillement en dépit de leurs crimes et de leurs condamnations. 

Compassion et enquête

A nouveau, face au scandale du trafic d’enfants, les évêques belges expriment leur compassion. L’Eglise plaide pour une enquête indépendante autour de ces adoptions. Si les faits sont avérés, une éventuelle indemnisation pourra être envisagée.

Lors de la fête de Noël, le primat de Belgique, Mgr Luc Terlinden, est revenu sur l’affaire. «Comment ne pas penser également aux enfants victimes d’abus sexuels ou d’une adoption forcée, une réalité douloureuse qui est revenue au grand jour ces dernières semaines suite aux témoignages poignants de victimes. Ceux-ci nous invitent non seulement à la compassion mais aussi à un engagement résolu pour le respect de la dignité de toute personne humaine, à commencer par les plus petits et les plus vulnérables, comme les enfants», a affirmé l’archevêque de Malines-Bruxelles lors de la messe de minuit qui se tenait en la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule.

Il reste à savoir comment instruire ce passé, moment où l’Eglise catholique de Belgique faisait figure d’ «Etat dans l’Etat», particulièrement en Flandre où elle pouvait compter sur le puissant parti CVP chrétien-démocrate, l’actuel CD&V. Et comment faire la part des choses entre les archaïsmes criminels dénoncés et l’Eglise actuelle qui joue la carte de la transparence ? L’archevêché publie désormais un rapport annuel où sont mentionnées les plaintes pour abus sexuels.

Honte et politique du silence

L’historienne Els Witte explique dans les colonnes du Soir que, «jusque dans les années 70, dans certains milieux, la honte et la politique du silence prévalaient sur certaines questions, dont celle des femmes enceintes hors mariage». «Après, continue-t-elle, les mentalités ont changé, on a connu une certaine libéralisation des mœurs qui a fini par déboucher sur la loi de dépénalisation de l’avortement - en 1991.» L’historienne insiste pour ne pas mouiller toute l’Eglise, ce labyrinthe complexe fait d’institutions et d’ordres où d’aucuns ont pu abuser d’enfants en toute opacité.

En décembre, le Parlement fédéral s’est saisi du dossier, comme il s’était saisi à l’automne de l’affaire «God Vergeten». Le Premier ministre Alexander De Croo avait alors mis tout son poids dans la balance. L’Eglise pourrait perdre beaucoup d’argent au terme de la réforme du financement des cultes reconnus par l’Etat à laquelle appellent plusieurs partis politiques.

«Cette page ne peut être tournée»

Dans le cadre du dossier des enfants vendus, quatre prêtres ont été suspendus et retirés par l’Eglise de la liste des ministres du Culte rémunérés par le ministère de la Justice. Une enquête est toujours en cours pour quatre autres prêtres qui pourraient être impliqués dans ces adoptions, a précisé le nouveau ministre de la Justice, le libéral flamand Paul Van Tigchelt. Il a ajouté : «Cette page ne peut pas être tournée. L’Eglise et la société doivent prendre leurs responsabilités en reconnaissant les victimes : elles veulent savoir ce qu’il s’est passé et qui est responsable. Je ne veux pas créer de fausses attentes ou espoir : il se pourrait que dans la plupart des cas les faits soient prescrits. Il faut aider les victimes, fournir des réponses, sortir du tabou. La commission parlementaire doit pouvoir répondre à ces questions.»

Ce nouveau scandale intervient alors qu’une visite du pape est attendue en septembre en Belgique. Le voyage papal est programmé dans le cadre des festivités du 600e anniversaire de la KULeuven et de l’UCLouvain.

Sur le même sujet