Près de Rouen, ils se mobilisent pour leur jeune boulanger menacé d’expulsion
C’était le 14 décembre 2021. Sékou Keita n’a pas oublié la date. Il la murmure, forçant sa timidité. Ce jour-là, Jacques et Rosamé Ferreira l’accueillent au sein de leur boulangerie O Grain d’Or, à Saint-Étienne-du-Rouvray. « Mon boulanger partait, j’ai appelé le CFA Simone-Veil, je leur ai demandé s’ils avaient un apprenti. Ils m’ont répondu oui, mais il est Malien. Et alors ? », s’offusque Jacques Ferreira.
À l’époque, Sékou Keita est un mineur pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Un an plus tôt, il a fui le Mali. À 15 ans. Près de huit mois de voyage. Sans réelle destination. Il se retrouve en Espagne, puis à Rouen. Personne pour l’héberger. À part la rue. L’association CAPS l’en sortira.
Soutien des élus locaux
Chez O Grain d’Or, il a trouvé une famille. « On le considère comme tel, confirme Jacques Ferreira. Ici, tout le monde pourrait être nos enfants. » La situation de Sékou Keita fait écho à la sienne, lui fils d’immigrés portugais.
Un jour de 2022, une éducatrice de l’ASE est venue voir le couple. Pour les prévenir. Sékou Keita est devenu majeur. La préfecture de Seine-Maritime refuse de lui délivrer un titre de séjour. Il est visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « Elle nous a dit « vous pouvez le virer », tout en nous alertant sur ce que l’on risquait à le garder, se souvient Rosamé Ferreira. Mais nous, on ne se voyait pas dire à Sékou : tu as une OQTF alors on te met dehors. »
Le couple ne comprend pas. « Ça se passe bien, il travaille en France, consomme en France. Pourquoi venir l’embêter ? » Aidé par Hubert Pouleau, de l’association Réseau éducation sans frontières, soutenu par le maire de Saint-Étienne-du-Rouvray Joachim Moyse et le député de Seine-Maritime Hubert Wulfranc, Sékou Keita conteste l’arrêté de la préfecture devant le tribunal administratif. Dans sa décision du 20 juin 2023, le tribunal donne raison à l’apprenti. Et somme la préfecture de lui délivrer un titre de séjour, qu’il obtient dans la foulée.
Appel de la préfecture
« Quand on a reçu le courrier du tribunal, c’était l’euphorie, confie Rosamé Ferreira. Puis on a relu toutes les petites lignes. » Car la préfecture a fait appel de la décision. Elle estime que les papiers d’identité de Sékou Keita ne sont pas authentiques. Ce flou qui entoure son avenir, l’apprenti le vit « très mal ». En attendant que la cour d’appel de Douai se prononce, ses employeurs mobilisent à tout va. Une pétition qui a recueilli 200 signatures en magasin et plus de 600 en ligne. Un article du journal de la Ville placardé sur la vitrine de la boulangerie. Une lettre adressée au préfet. Le couple veut croire à une fin heureuse. « Sékou va passer son CAP. Après, on veut continuer l’aventure avec lui, le tirer vers le haut, se battre pour lui. »