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Comment nos excréments contaminent les huîtres

Une contamination aux norovirus présents dans l’eau affecte les huîtres d'Arcachon, du Calvados, de la Manche, des Landes et de la Vendée.

Arcachon, Calvados... À cause du débordement des eaux usées, les huîtres, contaminées par un virus, sont interdites de vente. Des ostréiculteurs ont saisi la justice pour que le réseau d’assainissement soit enfin adapté.

« Il faut trouver une solution. On ne peut pas continuer comme ça ! » clamait Philippe Le Gal, au téléphone, le 5 janvier. Le président du Comité national de la conchyliculture (CNC) est sur le pont, enchaînant réunions et interventions dans les médias. La tension reste à son comble chez les éleveurs d’huîtres et d’autres coquillages. Depuis une dizaine de jours, les mesures d’interdiction de vente tombent les unes après les autres. La cause ? Une contamination aux norovirus présents dans l’eau. D’abord, à Arcachon, le 27 décembre, où le préfet de Gironde a ordonné l’arrêt de la commercialisation des huîtres du Bassin jusqu’au 19 janvier ; puis dans le Calvados, la Manche, les Landes, la Vendée.

Les huîtres filtrent ces eaux polluées, puis contaminent les humains qui les mangent, déclenchant vomissements, diarrhées, crampes abdominales... Les symptômes habituels de la gastro-entérite. Plusieurs centaines de personnes sont tombées malades pendant et après les fêtes. Par exemple, dans les Hauts-de-France, l’Autorité régionale de santé (ARS) comptabilisait, au 4 janvier, onze toxi-infections alimentaires collectives (Tiac) liées à la consommation d’huîtres avec « plusieurs dizaines de cas de gastro-entérite aiguë ».

Un réseau d’assainissement inadapté

Si cette crise fait du bruit dans les médias, elle ne surprend personne à Arcachon. Les ostréiculteurs et les associations de riverains alertaient depuis plusieurs semaines. « Dès le 24 novembre, les palourdes et les coques, plus sensibles que les huîtres, avaient été interdites de commercialisation », note Clarisse Holik, présidente de l’association de protection de la nature Le Bétey, plage boisée à sauvegarder.

La cause de la contamination des mollusques bivalves est limpide : les pluies diluviennes ont entraîné le débordement du réseau des eaux usées. Ces dernières ont dispersé dans le Bassin des virus très présents dans les excréments en cette saison hivernale. « Les eaux des toilettes contaminées contaminent les huîtres, qui contaminent à leur tour les humains. C’est un cercle vicieux », résume le Comité régional de la conchyliculture (CRC) Arcachon-Aquitaine.

Les pluies diluviennes ont entraîné le débordement du réseau des eaux usées. Ces dernières ont dispersé dans le Bassin des virus très présents dans les excréments humains. Flickr / CC BY-NC-SA 2.0 Deed / Bernard Blanc (recadré)

Riverains, associations de défense de la nature et ostréiculteurs dénoncent depuis quelques années un réseau d’assainissement mal adapté et mal entretenu. « Il faut se souvenir que le bassin d’Arcachon est un ancien marécage. On a planté des pins maritimes pour drainer le terrain, dit Clarisse Holik. Un seul pin absorbe 150 litres d’eau par jour. À l’époque, les maisons étaient aussi entourées de fossés, ou des « crastes » comme on dit ici, qui permettaient d’évacuer l’eau et de faire des échanges avec la nappe phréatique, affleurante l’hiver. »

Avec l’urbanisation effrénée, de très nombreux fossés ont été comblés, remplacés par des tuyaux incapables de jouer un rôle de régulation avec la nappe, constate Mme Holik. Le réseau est par ailleurs équipé de regards pour la ventilation. Mais ceux-ci ne sont pas assez élevés. L’eau de pluie s’y engouffre dès qu’elle atteint plus de 3 cm sur la chaussée, saturant tout le réseau.

Les fossés, ou crastes, permettaient d’absorber l’eau. Ils ont peu à peu été comblés. Wikimedia / CC BY-SA 4.0 / Jibi44

Une configuration qui n’est plus viable et que l’Association de défense des eaux du bassin (Adeba), créée par des ostréiculteurs, dénonce depuis des années : « Il est clair que l’épisode que nous avons connu de mi-octobre à début novembre 2023, soit vingt-quatre jours consécutifs de “situation inhabituelle” avec une moyenne de 18 mm/jour [de pluie] durant cette période, surclasse de très loin tout ce qu’on avait pu connaître ces dix dernières années », écrit-elle sur son site.

Des pluies torrentielles bientôt habituelles ?

Or, tous s’inquiètent : ces pluies « inhabituelles » ne cessent d’augmenter et risquent fort de devenir plus fréquentes avec le dérèglement climatique. Le Syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon (Siba), en charge du réseau, envisagerait de rehausser les regards. Selon Clarisse Holik, seul le doublement du circuit d’assainissement par un réseau dédié aux eaux pluviales pourrait régler le problème. « Il s’agit d’un énorme investissement », reconnaît-elle. Mais la situation risque encore de s’aggraver : le projet de schéma de cohérence territoriale (Scot) prévoit en effet l’artificialisation de 800 hectares de terres supplémentaires d’ici 2030.

À ce réseau mal adapté s’ajoutent des problèmes d’entretien. Une brèche a ainsi été découverte dans le bassin de rétention de Titoune à Lanton. « Dès novembre, avec l’arrivée de fortes pluies, il a commencé à déborder dans la forêt. Les eaux usées ont gagné le Massurat, ruisseau qui rejoint directement le bassin d’Arcachon. Malgré les alertes des associations, rien n’a été fait », déplore Clarisse Holik.

Les ostréiculteurs saisissent la justice

Face à ces critiques, le Siba a refusé de nous répondre : « Nous ne souhaitons plus nous exprimer sur le sujet suite au dépôt de plainte de l’Adeba. » L’association créée par les ostréiculteurs a, en effet, porté l’affaire en justice le 29 décembre. Elle n’est pas la seule. Car ce problème des effluents dans le bassin d’Arcachon n’est pas un cas isolé. Dans différentes régions de France, des ostréiculteurs ulcérés par les contaminations à répétition ont également lancé des procédures.
C’est le cas de ceux de l’Étang de Thau qui ont déposé une plainte contre Sète agglopôle Méditerranée, en janvier 2023, pour « atteinte à l’environnement sur la base des articles L. 216-6 et L. 432-2, concernant le délit de pollution des eaux ».

Le Comité de la conchyliculture des Pays de la Loire devrait, à son tour, saisir la justice cette semaine à la suite de l’interdiction de vente des coquillages de Bouin, en Vendée. Des procédures identiques avaient été lancées il y a trois ans à Auray et Morlaix. Le juge a confirmé la responsabilité des réseaux d’assainissement dans les pollutions, rapporte Philippe Le Gal. Ce dernier réclame au secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, d’organiser une réunion nationale face à ces crises à répétition.

L’État a déjà annoncé un certain nombre de mesures aux ostréiculteurs d’Arcachon : chômage partiel, pas de pénalités en cas de retard de paiements des charges. Mais la profession réclame une indemnisation du préjudice subi – évalué à 7 millions d’euros de pertes de chiffre d’affaires dans le bassin d’Arcachon.

« L’État doit mettre la pression sur les collectivités »

Philippe Le Gal porte d’autres revendications, en particulier une aide pour que les ostréiculteurs puissent s’équiper en bassins de purification fonctionnant en circuit fermé. « Ces bassins, dans lesquels certains ont déjà investi, permettent de conserver les huîtres, dans les dernières semaines d’élevage, en dehors de tout contact avec les eaux polluées », dit le président du CNC.

Surtout, il souhaite que « l’État mette la pression sur les collectivités » pour qu’elles règlent ces problèmes de réseaux. Il constate que le secteur d’Auray, dans le Morbihan, n’a pas été victime de contaminations cette année « alors qu’il s’agissait jusqu’à récemment encore d’un point noir, qui était tout le temps fermé » Un concours de circonstances ? Ou bien le résultat des travaux engagés ces derniers mois par la collectivité ? L’agglomération a débloqué plus de 7 millions d’euros pour rénover la station d’épuration. « Les circuits d’assainissement situés en bord de littoral ont aussi été refaits », se félicite le président du CNC qui souhaite que cet exemple soit démultiplié.

Les tuiles chaulées destinées au captage du naissain. L’une des solutions à la pollution serait d’installer des bassins de purification fonctionnant en circuit fermé pour y placer les huîtres dans les dernières semaines d’élevage. Flickr / CC BY-NC-SA 2.0 Deed / Bernard Blanc (recadré)

Le message semble avoir été entendu. Dans une interview donnée le 31 décembre à Ouest-France, Hervé Berville assurait que « l’enjeu numéro un est en effet l’investissement des collectivités locales dans les systèmes de traitement [des eaux usées]. Nous ferons des points avec les collectivités pour accélérer les investissements là où c’est nécessaire, car la conchyliculture est un secteur essentiel pour l’économie locale ».

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