« Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie » : à Paris, la double peine de l’hiver pour les jeunes migrants dans les campements de fortune

Sous le pont Charles-de-Gaulle, entre les gares de Lyon et d’Austerlitz, une quarantaine de tentes permettent à Isaac, Camara, et des dizaines d’autres migrants de dormir à l’abri du vent, emmitouflés dans des plaids.

Sous le pont Charles-de-Gaulle, entre les gares de Lyon et d’Austerlitz, une quarantaine de tentes permettent à Isaac, Camara, et des dizaines d’autres migrants de dormir à l’abri du vent, emmitouflés dans des plaids. M.L. / L’OBS

Reportage  Depuis deux jours, l’Hexagone connaît des températures négatives. Sous le pont Charles-de-Gaulle, à quelques minutes de la gare de Lyon à Paris, quelques dizaines de jeunes migrants vivent sous des tentes. Et ne peuvent compter que sur les associations pour faire face à l’hiver.

A la descente des marches menant sur les quais de la Seine, une odeur âcre d’urine se mêle aux effluves portuaires. Sous le pont Charles-de-Gaulle situé entre la gare de Lyon et celle d’Austerlitz, une quarantaine de tentes vertes, bleues, noires et roses sont posées sur les pavés entre quelques rochers dissuasifs. Le campement, traversé par une piste cyclable, semble désert.

Quelques jeunes discutent entre eux. « C’est trop dur », lâche Isaac, 20 ans. Ce Soudanais, équipé d’un manteau bleu, d’un bonnet et d’un masque chirurgical sous le menton, s’exprime dans un anglais fluide. Il vit sous ce pont depuis près d’un mois. Comme lui, les personnes présentes sont, pour la plupart, adolescents ou jeunes adultes tout au plus. A leur arrivée en France, ils n’ont pas été reconnus comme mineurs et ont déposé un recours. Ni mineurs ni officiellement majeurs, ils se retrouvent dans un flou juridique et ne peuvent compter que sur l’aide des associations. Une situation qui, en 2023, a concerné au moins 3 000 jeunes, selon l’association Utopia 56.

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« Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie », confie Isaac. Le jeune homme a pourtant vécu sur les routes pendant plusieurs mois, avec un passage par la Tunisie avant de rejoindre l’Europe. Là-bas, il avait été hébergé dans un abri en dur. Aujourd’hui, pour se protéger de cette vague de froid, il n’a qu’une toile de tente, fournie par Utopia 56, et quelques couvertures amassées tout au long de son périple.

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Le vent glacial fouette les abris de fortune tandis qu’en arrière-plan le fleuve s’écoule paisiblement. Isaac tourne la tête, un cycliste vient de s’arrêter sous le pont. Très vite, des dizaines de jeunes l’entourent. Le cycliste, Rémi, âgé de 60 ans, sort de son sac à dos quelques paires de gants qu’il distribue allégrement. « Il y en a une tonne qui traîne sur les pistes cyclables avec l’hiver, raconte ce réalisateur de film documentaire. Je les ramasse et les garde dans mon sac. Ensuite, soit je les donne à mon fils qui fait des maraudes, soit je les dépose ici quand je passe. »

Du « chauffage pour sauver notre vie »

Le cycliste reprend sa route, le calme revient sur le campement quand une épaisse fumée vient s’imprégner dans les tentes et les vêtements. Devant la Seine, Camara, Eric et Doumbouya sont assis autour d’un feu de camp improvisé, à même le sol pour certains ou sur une valise bon marché pour un autre. « La journée, je me balade, je vais à l’accueil de jour pour un bon repas chaud », raconte en grelottant Camara, 16 ans, qui a quitté la Guinée en avril dernier. Son bonnet en laine vert lui tombe sur les yeux lorsque l’adolescent montre ses genoux et ses articulations engourdies par le froid.

Camara, Eric et Doumbouya sont assis autour d’un feu de camp improvisé au bord de la Seine, sous le pont Charles de Gaulle, dans le 13e arrondissement de Paris

Camara, Eric et Doumbouya sont assis autour d’un feu de camp improvisé au bord de la Seine, sous le pont Charles de Gaulle, dans le 13e arrondissement de Paris M.L. / L’OBS

« On veut rester près du chauffage pour sauver notre vie », renchérit Doumbouya, 32 ans. Le Guinéen est venu se réchauffer autour du feu auprès de ses compatriotes après un passage à l’accueil de jour d’Austerlitz. Mais il vit dans la rue depuis bien plus longtemps, il dort parfois à même le sol, parfois dans le métro. Depuis qu’il a quitté son pays, il y a quinze ans, Doumbouya a traversé le Sénégal, le Kenya, l’Algérie, le Maroc, la Libye et l’Italie avant d’arriver en France. « J’ai demandé l’asile, mais on ne me l’a pas accordé. Depuis 2021, je me débrouille seul. A part moi, je sais bien que personne ne va venir à mon secours », répète-t-il d’un air las. Ses yeux tristes éclairent son visage emmitouflé dans une capuche. « Je veux juste être comme tout le monde, je veux travailler, avoir une maison, payer mes impôts », soupire-t-il.

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« Ces jeunes sont laissés à l’abandon »

Le plus dur, c’est la nuit. « Je n’ai pas dormi, confie Camara. On a essayé d’appeler [le SAMU Social, NDLR] mais ils ont refusé de nous prendre et on a dû rester ici », ajoute-t-il. Camara se trouve dans une situation particulière : à son arrivée en France, son âge a été estimé à plus de 18 ans. Il n’a donc pas été pris en charge par l’Etat et, en attendant son recours, il a été mis à la rue. C’est le cas de 60 % des jeunes exilés qui arrivent sur le territoire français, estime Yann Manzi, cofondateur de l’association Utopia 56. « Ces jeunes sont laissés à l’abandon, explique celui qui est également délégué général bénévole de l’association. Ils ne sont pas considérés comme mineurs, donc pas pris en charge par l’Etat et le 115 n’intervient que pour les personnes majeures. Et ils ne sont pas considérés comme majeurs non plus. »

« Ma voix est malade », constate Eric, 16 ans, ado originaire de Guinée

« Ma voix est malade », constate Eric, 16 ans, ado originaire de Guinée

Utopia 56 a quelques solutions d’urgence, qui ne peuvent pas être pérennes. « Des citoyens offrent leur canapé. On travaille aussi avec des paroisses et des entreprises qui prêtent des lieux alternatifs », détaille Yann Manzi.

Le plan grand froid a été lancé ce lundi par l’ensemble des préfectures de métropole. Il vise à ouvrir des places d’hébergements temporairement en plus des 203 000 déjà existantes. Mais ce n’est pas assez selon les associations d’aide aux personnes sans domicile fixe. En colère, le cofondateur de l’association ajoute, en appelant à la réquisition des bâtiments vides, qu’il est « indécent de faire croire qu’il n’y a pas de places, pas d’argent et de voir ces milliers de mètres carrés vides ».

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Une demande appuyée par plusieurs personnalités politiques de gauche, dont le sénateur communiste Ian Brossat. « Des températures glaciales. Des milliers de personnes dehors. Et pourtant, des bâtiments sont vides. Je demande la réquisition de ces bâtiments », a écrit sur X l’ex-adjoint d’Anne Hidalgo au Logement. L’élu a appuyé sa demande en lançant une pétition qui demande « à ce que le gouvernement permette à la Ville de Paris de réquisitionner ».

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« Remis à la rue après avoir passé la nuit à l’hôpital »

La santé des habitants des campements de fortune se détériore aussi fortement avec la vague de froid. « J’ai mal aux jambes, à la tête… Et nous n’avons aucun médicament », regrette Camara. « Je suis enrhumé, ma voix est malade », renchérit Eric, 16 ans. Cet autre adolescent originaire de Guinée également se plaint de douleurs articulaires liées au froid intense. « Comme toutes les nuits, les équipes ont fait des maraudes, distribuées du matériel. Ce matin [mercredi, NDLR] plusieurs jeunes ont été remis à la rue après avoir passé la nuit à l’hôpital », rapporte le cofondateur d’Utopia 56.

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En attendant, dans le camp sous le pont Charles-de-Gaulle, les jeunes exilés tentent de survivre au jour le jour. Tout en gardant espoir, comme Camara : « J’espère qu’un jour ça ira mieux. »

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