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Les forêts tropicales, trésors de biodiversité, sont encore plus menacées que prévu

Une étude pionnière publiée ce jeudi 11 janvier dans la revue «Science» montre que plus de 80 % des espèces d’arbres endémiques d’une des forêts tropicales les plus riches du monde sont menacées d’extinction, principalement à cause de la déforestation. Ses auteurs alertent sur une sous-évaluation de ce risque à travers la planète.
par Margaux Lacroux
publié le 11 janvier 2024 à 19h00

A l’heure de l’effondrement de la biodiversité, tout l’enjeu est de protéger en priorité les espèces les plus menacées. Mais encore faut-il savoir quelles zones sont les plus mal en point. Une étude publiée ce jeudi 11 janvier dans la prestigieuse revue Science affirme que les forêts tropicales, qui abritent l’écrasante majorité des espèces d’arbres du monde, sont particulièrement en danger. «Les niveaux de menace ont été gravement sous-estimés» et «l’état de conservation des forêts tropicales dans le monde est pire que précédemment rapporté», avertissent les scientifiques. «Le tableau d’ensemble est très inquiétant», déclare dans un communiqué le Brésilien Renato Lima, professeur à l’université de São Paulo qui a dirigé l’étude.

Pour en venir à ces conclusions, l’équipe internationale de chercheurs s’est d’abord intéressée à la forêt atlantique, en Amérique du Sud. Moins connue que l’imposante Amazonie située sur le même continent, elle s’étend du sud du Brésil jusqu’au Paraguay, en passant par l’Argentine. C’est une des zones de la planète les plus riches en flore. On y recense 150 arbres différents par hectare, contre une dizaine dans les forêts européennes, par exemple. «Ce grand massif forestier tropical est ce qu’on appelle un “point chaud de biodiversité, c’est-à-dire une région où l’on retrouve énormément d’espèces endémiques. Environ 50 % des arbres qu’on y observe ne sont présents que dans cette zone-là», explique Gilles Dauby, biologiste français à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et coauteur de l’étude.

Pour la première fois, les scientifiques ont évalué les menaces qui pèsent sur la totalité des espèces présentes dans cette forêt, soit près 5 000 au total. Pour plus de 1 000 d’entre elles, les risques d’extinction n’avaient jusqu’ici pas été pesés. A l’issue de ce travail, le constat est «effrayant» : deux tiers des espèces d’arbres sont menacées dans la forêt atlantique, dont 82 % d’espèces endémiques. Les estimations précédentes faisaient état d’environ un tiers. «Avec notre évaluation plus exhaustive, cette forêt est passée de moyennement menacée à très menacée», précise auprès de Libération Renato Lima.

«Connaissance beaucoup plus fine et complète»

Les chercheurs sont parvenus à évaluer l’intégralité des espèces présentes sur le territoire en regroupant des travaux épars et en développant une méthodologie permettant d’aller plus vite dans l’analyse des données. «Comme la forêt atlantique est vaste et s’étend sur plusieurs pays, les données existantes ont été collectées par de nombreux experts issus de divers groupes de recherche. Il a donc fallu mettre en commun ces informations très hétérogènes et dispersées, précise Gilles Dauby. Cela a permis d’avoir une connaissance beaucoup plus fine et complète des risques d’extinction qui pèsent sur les arbres, en particulier endémiques, sur cette région-là. C’est un grand pas en avant.»

«Le message est que la forêt atlantique du Brésil n’est pas en bon état. On le savait déjà car il ne reste que 12 % de sa superficie. Mais cette étude est importante parce que pour la première fois, on ne mesure pas seulement la présence d’espèces mais aussi leur abondance, pour savoir si elles sont rares ou pas. On se rend compte que beaucoup d’espèces, mal connues, entrent dans la classe “à risque d’extinction”», commente Jérôme Chave, spécialiste de l’écologie tropicale du CNRS qui n’a pas participé à l’étude.

Pour évaluer au mieux la menace, plusieurs critères définis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), référence internationale en la matière, ont été pris en compte. Un seul critère est souvent utilisé pour jauger le risque : celui de la répartition géographique des espèces. Cette fois-ci, les scientifiques ont combiné plusieurs paramètres, dont celui de la déforestation, principale cause de déclin des forêts tropicales. «Si nous avions utilisé moins de critères de l’UICN dans cette évaluation, comme c’est actuellement généralement le cas, nous aurions détecté six fois moins d’espèces menacées», précise Renato Lima. Cependant, les auteurs n’ont pas pris en compte la dégradation et la fragmentation de la forêt, moins visibles que les zones déboisées, ni les effets du changement climatique, qui accélère le dépérissement de certaines espèces. «Il est donc fort probable que ces résultats déjà très préoccupants soient en deçà de la réalité», en conclut Gilles Dauby.

Ces résultats disent-ils quelque chose de la situation des forêts tropicales en général ? «La forêt atlantique est un des pires cas, elle a été très fortement dégradée, mais il y a d’autres cas similaires, en Afrique et en Asie du Sud-Est notamment, où la situation est probablement tout aussi préoccupante», complète Gilles Dauby. L’équipe de chercheurs a appliqué sa technique d’évaluation rapide à 18 autres forêts tropicales de la planète. Les résultats de ces extrapolations sont là aussi alarmants. Alors que l’on estimait jusqu’ici que 30 % des espèces d’arbres étaient à risque d’extinction, «les projections suggèrent qu’entre 35 et 50 % des espèces d’arbres de la planète pourraient être menacées seulement à cause de la déforestation», détaille un autre auteur de l’étude, Hans ter Steege, basé aux Pays-Bas. Les scientifiques appellent à «inverser le terrible scénario» en ciblant mieux les espèces le plus menacées dans les projets de restauration des forêts.

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