En homme expérimenté par quinze années de pouvoir, le président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, semble avoir décidé de rééditer le scénario de sa réélection en 2019. Le déroulement du scrutin présidentiel, dimanche 14 janvier, où 340 000 électeurs étaient appelés aux urnes, a été, comme cinq ans plus tôt, marqué par une accumulation de fraudes, selon l’opposition.
« Il n’y a pas eu d’élection », accusait avant la fin du vote, le candidat Mouigni Baraka, dans une déclaration commune aux cinq opposants. Des irrégularités ont été signalées dans les trois îles de l’archipel avant la clôture des bureaux. Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des bourrages d’urnes. Un cas s’est même déroulé sous les yeux d’une équipe d’observateurs internationaux, dans le nord de l’île de la Grande Comore. Le candidat Mouigni Baraka a également dénoncé des fraudes où « l’armée a ramassé des urnes et les a amenées dans les casernes de la gendarmerie nationale, dans plusieurs localités, surtout sur l’île d’Anjouan », où se trouve plus d’un tiers des électeurs
C’est sur cette île qu’à la mi-journée, un autre candidat de l’opposition, l’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Daoud Kiki, a intercepté un camion militaire transportant une dizaine d’urnes. « Des militaires ont interrompu le vote, c’est inacceptable », s’est-il insurgé, au milieu de la route, dans le village de Mramani, devant un barrage dressé par ses partisans. Ces quelques urnes sont finalement retournées dans les bureaux de vote.
« Si on gagne dès le premier tour, on gagne du temps et de l’argent »
L’ensemble de ces dénonciations ne semblent guère embarrasser le président sortant, Azali Assoumani, qui affiche sa confiance dans une victoire au premier tour, comme en 2019. « C’est Dieu qui décidera et le peuple comorien. Si on gagne dès le premier tour, on gagne du temps et de l’argent », estimait-il au moment du vote, tout en se réjouissant de « l’ancrage de la démocratie » dans son pays.
Son camp s’est en revanche chargé de contre-attaquer en son nom. « Il ne peut pas y avoir de bourrages d’urnes », assène Houmed Msaidie, le porte-parole du gouvernement, prévenant dans le même temps que « l’Etat ne laissera pas faire les nervis de l’opposition » qui compteraient se rassembler pour contester le scrutin. En 2019, trois morts avaient été recensés après le déploiement des forces de sécurité.
La Commission électorale nationale indépendante (CENI) s’est pour sa part félicitée d’un scrutin qui s’est déroulé, « dans le calme et la transparence, gage de crédibilité et de confiance. » Mais les anomalies dans le processus électoral ont débuté bien avant le vote, relate un observateur étranger sous couvert d’anonymat, pointant notamment un « deux poids, deux mesures » dans l’attribution des autorisations à observer le scrutin.
Les candidats de l’opposition ont, par exemple, dû attendre le dernier moment pour pouvoir accréditer leurs assesseurs. Une lenteur dont a en revanche été épargnée la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC), le parti d’Azali Assoumani. Les présidents de bureaux de vote, tous issus du CRC, n’ont en certains cas pas empêché l’expulsion des assesseurs de l’opposition, en particulier lors du dépouillement.
« On sait très bien qu’à la fin, c’est Azali qui va gagner »
Quant à la majorité des observateurs de la société civile, ils n’ont pu effectuer leur mission, faute d’accréditations. Ils les avaient pourtant réclamées des semaines plus tôt, avec l’appui de l’Union européenne. « De manière générale, les problèmes se concentrent au sein de la CENI. Elle est ni incompétente, ni négligente, elle manque juste de partialité », estime Fahardin Amada, chargé du suivi du scrutin pour l’Observatoire des Elections des Comores (Obselec).
Dans ce contexte, Moroni semblait dimanche avoir largement pris le parti de l’abstention. Dans le quartier de Coulée, dans le nord de la capitale, en milieu de matinée, la queue devant la boulangerie dépassait celle devant le bureau de vote. « Moi, je viens chercher mon pain, je ne veux pas participer à l’idhihaka (la mascarade en langue shikomori) », lance Aboubakar, entouré d’une dizaine d’autres abstentionnistes.
Abi, un jeune boulanger, lui ne compte pas quitter ses fours pour se rendre aux urnes. « Je ne vote pas. Ce n’est pas par manque d’espoir mais c’est parce que vote ou pas vote, on sait très bien qu’à la fin, c’est Azali qui va gagner », justifie-t-il. Il attend, sans excitation, les résultats provisoires qui doivent être communiqués à partir de lundi. Un second tour, prévu le 25 février, serait le seul antidote à sa résignation, l’opposition ayant promis de s’allier le cas échéant derrière un candidat unique. Une éventualité à laquelle Azali Assoumani ne semble pas s’être préparé.
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