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“9 000 dollars” : ce que les Palestiniens doivent verser à des intermédiaires pour quitter Gaza

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, des Palestiniens essaient désespérément de quitter la bande de Gaza via le poste-frontière de Rafah avec l’Égypte. Mais les autorisations pour quitter l’enclave sont distribuées au compte-gouttes et il faut “payer des pots-de-vin” à des intermédiaires qui ont des connexions avec les autorités égyptiennes, selon des témoignages récoltés par notre rédaction.

Capture d'écran d'un site Internet où des centaines de Gazaouis ont lancé des cagnottes pour pouvoir quitter la bande de Gaza.
Capture d'écran d'un site Internet où des centaines de Gazaouis ont lancé des cagnottes pour pouvoir quitter la bande de Gaza. © gofundme
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“Il faut payer 9 000 dollars (8 000 euros environ) par personne pour voir son nom figurer dans la liste des gens autorisés à quitter Gaza”, assure une habitante de l'enclave, jointe par la rédaction des Observateurs de France 24 (via le service de messagerie WhatsApp). Comme elle, des centaines de personnes ont lancé une cagnotte en ligne dans l’espoir d’amasser la somme nécessaire pour pouvoir obtenir le fameux sésame.

À noter que le salaire moyen à Gaza se situe entre 500 et 600 dollars (entre 460 et 550 euros). 

À qui est versé cet argent ? À des intermédiaires qui, selon des témoignages, réclament des sommes de plus en plus importantes depuis le début de la guerre. 

Ce système, bien rodé, s’appelle “al-tansikat al-misriya” (les coordinations égyptiennes). 

“Si vous en parlez, votre nom est placé sur une liste noire”

Mohannad Sabry, un journaliste d’investigation égyptien qui a travaillé sur le sujet, dénonce une “corruption à grande échelle”. 

Ce sont les gens les plus vulnérables qui sont obligés de passer par ces intermédiaires, ces marchands de malheur. Les blessés, les personnes atteintes de maladies graves, comme les cancéreux, ce sont eux qui cherchent à quitter Gaza le plus rapidement possible. 

Ces intermédiaires se trouvent là où la population est entassée dans le sud de la bande de Gaza, notamment à Khan Younes et Rafah. 

Si vous payez, votre nom est publié sur les listes diffusées par le poste-frontière de Rafah relativement rapidement. 

Différents corps sont concernés par cette pratique : le service des passeports et de l’immigration, l’armée, les services de renseignements, entre autres. 

Cette pratique est connue de tous. Et en même temps, il y a une omerta, car si vous en parlez, votre nom est mis sur une liste noire de personnes interdites de quitter Gaza. 

Depuis le début de la guerre, environ 6 000 Palestiniens ont pu quitter la bande de Gaza [la rédaction des Observateurs n’a pas pu vérifier cette information de source indépendante, NDLR]. . 

Le poste-frontière de Rafah publie régulièrement sur son site Internet des listes de personnes autorisées à quitter l’enclave

Il s’agit essentiellement de Palestiniens binationaux rapatriés grâce à l'intervention de leurs pays respectifs, et de blessés graves qui nécessitent des soins urgents. 

Quant à ceux qui possèdent uniquement la nationalité palestinienne, ils seraient donc contraints de payer ces réseaux d’intermédiaires. Leurs noms sont ensuite publiés à leur tour sur le site Internet du poste-frontière de Rafah, précisément sur les listes des évacuations des citoyens égyptiens, selon des témoignages de Gazaouis.  

Cette pratique n’est pas récente : elle daterait  du siège de Gaza de 2007, explique un ressortissant palestinien originaire de la bande de Gaza, aujourd'hui installé en Europe : 

J’ai un ami qui a quitté Gaza en 2017, parce qu'il a eu une bourse d’étude à l’étranger. À cette époque, si vous vouliez sortir, il fallait faire une demande auprès du ministère palestinien de l’Intérieur. Mais la procédure pouvait durer plusieurs mois. Et comme il était pressé, il a opté pour le marché noir. 

Cela passait par le bouche-à-oreille. Il est allé voir un intermédiaire qui avait des liens avec les services de renseignement égyptiens. Il a pris une photo de son passeport, puis il l’a renvoyée à ses contacts. Et en quelques semaines, son nom est apparu dans les listes établies par le poste-frontière de Rafah des personnes autorisées à sortir.

En 2017, cette “autorisation” de sortie coûtait entre 2 000 et 3 000 dollars [entre 1 800 et 2 700 euros].

En 2020, la pratique était tellement répandue que des agences de “tourisme” proposaient ce service. Elles avaient pignon sur rue à Gaza et au Caire, en Égypte, et proposaient de “faciliter” les déplacements des Palestiniens souhaitant quitter l’enclave.           

Mais depuis le début de la guerre, ces agences ont fermé. 

En parallèle, les prix des “coordinations” ont considérablement augmenté, atteignant 9 000 dollars [8 000 euros environ] par personne.

La rédaction des Observateurs a contacté plusieurs personnes parmi les Gazaouis ou leurs proches qui ont lancé une cagnotte en ligne. Mais elles n’ont pas souhaité témoigner, assurant que si la pratique venait à être médiatisée, elle serait suspendue et ils verraient les espoirs d’évacuation de leurs proches s'évaporer.  

“Il y a des intermédiaires en Europe aussi “

Contacté par la rédaction des Observateurs, un Gazaoui installé en France qui essaye de faire sortir sa mère bloquée à Gaza, se dit partagé : 

D’une part, on a envie de dénoncer cette pratique, et d'autre part, on a peur qu’elle s’arrête, car cela nous pénaliserait. 

Personnellement, j’ai payé un intermédiaire en France, car oui il y a des intermédiaires en Europe aussi. Il faut payer en liquide, car ça ne laisse pas de trace.  

Mais je m'inquiète car il semblerait que les évacuations des Palestiniens aient été suspendues depuis que cette pratique a été révélée par des médias, notamment le Guardian.  

La page Facebook de l’organisme qui gère le poste-frontière de Rafah n’a publié aucune liste depuis le 11 janvier, alors qu’il en publiait quasi quotidiennement. 

La rédaction des Observateurs a tenté de joindre l'Organisme Général de l'Information, rattaché à la présidence égyptienne, pour en savoir davantage sur ces accusations. 

Dans la bande de Gaza, plus de 24 000 personnes ont été tuées par les bombardements et opérations militaires israéliennes, en grande majorité des femmes, des enfants et des adolescents, selon le ministère de la Santé du Hamas, mouvement au pouvoir à Gaza.

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