Un agent de Frontex en Finlande, à la frontière avec la Russie, en janvier 2024. Crédit : Reuters
Un agent de Frontex en Finlande, à la frontière avec la Russie, en janvier 2024. Crédit : Reuters

En 2023, l'agence de surveillance des frontières européennes a comptabilisé 380 000 entrées irrégulières dans l'Union européenne. Des chiffres en augmentation, qui prennent en compte les entrées nettes : une même personne qui tente de franchir une frontière à plusieurs reprises est donc comptabilisée autant de fois.

Le nombre d'entrées irrégulières dans l'Union européenne (UE) a augmenté en 2023 de 17% par rapport à l'année précédente, atteignant le niveau le plus élevé depuis 2016, a annoncé mardi 16 janvier l'agence européenne de surveillance des frontières (Frontex). L’organisation, basée à Varsovie, a comptabilisé 380 000 entrées irrégulières en 2023, dont 41% via la Méditerranée centrale. Les deux autres routes migratoires les plus fréquentées cette année-là sont les Balkans occidentaux (26%) et la Méditerranée orientale (16%).

Ces données annuelles confirment "une tendance à la hausse constante au cours des trois dernières années", constate l'agence dans un communiqué.

Les chiffres rendus publics par Frontex font régulièrement l’objet de critiques car leur présentation est trompeuse. Ils annoncent des entrées nettes dans l'UE, or, dans une zone comme les Balkans, il est très courant que des exilés franchissent à plusieurs reprises la même frontière - à cause des "pushbacks", aussi appelés refoulements, dans les zones frontalières. La même personne est alors comptabilisée autant de fois, pointent les spécialistes de la question. À titre de comparaison, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) compte, elle, 286 292 entrées dans toute l'UE en 2023.

Le chiffre qui marque clairement cette différence de méthodologie est celui de la frontière franco-britannique. En 2023, Frontex compte "plus de 62 000 tentatives de traversées réussies", soit une baisse de 12 % par rapport à l'année précédente. Le ministère de l'Intérieur britannique parle, lui, de 29 437, soit deux fois moins.

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Le comptage des franchissements irréguliers est donc plus fiable sur les routes migratoires maritimes telles que celle de la Méditerranée centrale et d’Afrique de l’Ouest, menant aux Canaries, les exilés pouvant difficilement faire des allers-retours en mer.

Thomas Lacroix, géographe au CNRS affilié au centre de recherches internationales de Sciences-Po, interrogé par InfoMigrants en juin dernier, expliquait aussi que "l’augmentation des détections [des franchissements irréguliers de frontières] [était] la conséquence de l'augmentation de budget de Frontex". En clair, plus les contrôles se multiplient, plus les franchissements de frontières sont détectés. En diffusant des chiffres à la hausse, Frontex s'assure d'un financement futur.

Les Syriens en tête

Toujours d’après les dernières statistiques publiées par l’agence, "les Syriens ont représenté plus de 100 000 passages irréguliers l'année dernière, soit le nombre le plus élevé parmi toutes les nationalités", suivis par les Guinéens et les Afghans, précise Frontex. "Ces trois premières nationalités représentaient 37% de toutes les détections", selon le communiqué.

L'agence note aussi "une augmentation notable des migrants africains, notamment en provenance d’Afrique de l’Ouest", qui représentent désormais près de la moitié (47 %) de tous les migrants détectés.

Environ 10% des entrées irrégulières ont par ailleurs été effectuées par des femmes et quasi autant par des mineurs.

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"Les chiffres présentés aujourd'hui montrent l'évolution des défis auxquels nous sommes confrontés dans la gestion des frontières extérieures de l'UE", a déclaré Hans Leijtens, directeur de Frontex. "Nous restons déterminés à garantir la sécurité et l'intégrité des frontières de l'UE. Il est tout aussi crucial d’aborder les aspects humanitaires de la migration. Ces chiffres ne représentent pas seulement des statistiques mais des personnes réelles".

Complicité dans les refoulements de migrants

Près de 2 500 agents sont actuellement déployés aux frontières extérieures de l'UE "pour aider les États membres et les pays tiers à gérer les flux migratoires" et "pour contribuer à détecter et prévenir la criminalité transfrontalière, telle que le trafic de migrants, la traite des êtres humains et le terrorisme", affirme l’organisation.

D’ici 2027, les moyens humains de Frontex devrait se multiplier, avec le déploiement de 10 000 garde-frontières. En avril 2022, l’ONG State Watch avait révélé que l’agence européenne prévoyait également de modifier l’armement de ses membres et notamment de les doter d’armes "létales et non-létales".

Une décision inquiétante pour les ONG, qui dénoncent régulièrement les exactions de l’agence. Frontex a, ces dernières années, été plusieurs fois accusée de complicité dans les refoulements de migrants de la Grèce vers la Turquie. En Méditerranée centrale aussi, l'institution est aussi pointée du doigt pour son rôle dans les interceptions de canots par les garde-côtes libyens.

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Le dernier rappel à l’ordre en date a été opéré par la médiatrice européenne Emily O’Reilly en juillet 2023. Cette dernière a ouvert une enquête pour "clarifier le rôle" de Frontex dans le naufrage d’un bateau de migrants à Pylos, au large de la Grèce. "Il a été signalé que Frontex avait bien alerté les autorités grecques de la présence du navire et proposé son assistance, a indiqué Emily O’Reilly. Mais ce qui n'est pas clair, c'est ce qu'elle aurait pu ou aurait dû faire d'autre".

La nuit du naufrage, du 13 au 14 juin 2023, seules 104 personnes ont pu être secourues, sur les 750 passagers que comptait l'embarcation à son départ des côtes libyennes.

 

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