Marseille 1943 : la rafle oubliée

Dimanche 29 janvier 2023 : commémoration des 80 ans de la rafle de Marseille ©Maxppp - PENNANT Franck
Dimanche 29 janvier 2023 : commémoration des 80 ans de la rafle de Marseille ©Maxppp - PENNANT Franck
Dimanche 29 janvier 2023 : commémoration des 80 ans de la rafle de Marseille ©Maxppp - PENNANT Franck
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Alors que la rafle du Vél d'Hiv figure dans tous les livres d'histoire contemporaine, rares sont les récits de guerre qui font mention de celle de Marseille. D'une ampleur moindre, elle a eu lieu sur le Vieux-Port, du 22 au 24 janvier 1943. Rencontre avec des rescapés.

En novembre 1942, Marseille est la dernière grande ville de la zone libre, dans le sud de la France. Mais avec sa population cosmopolite et son accès à la mer, elle est en train de devenir alors une menace pour le régime de Vichy. Quand les Alliés débarquent en Afrique du Nord, à la fin de l’année 1942, les Allemands décident de prendre le contrôle de la ville. "Ils arrivent en novembre 1942. Et à l’époque, il y a déjà des rapports de la Wehrmacht qui font de Marseille une ville où règne la pègre", raconte Luc Graldon, guide au musée d’Histoire de Marseille : "C’est un repère de prostituées, de migrants, de bandits internationaux… On a le fantasme de souterrains qui permettraient de relier entre elles les maisons de trafiquants. On a aussi toutes ces ruelles qui sont difficilement accessibles…"

Et au tout début du mois de janvier 1943, l’attentat du Splendide, un hôtel tout près de la gare Saint-Charles, va servir de prétexte pour prendre des mesures drastiques. Karl Oberg, le chef de la Gestapo en France, reçoit des ordres d’Himmler pour détruire Marseille "par la mine et par le feu".

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Reproduction d'une photographie de René Bousquet entouré de chefs SS à Marseille
Reproduction d'une photographie de René Bousquet entouré de chefs SS à Marseille
© Maxppp - La Provence

Le "nettoyage" des vieux quartiers

Le 12 janvier 1943, Karl Oberg se rend donc à Marseille en compagnie de René Bousquet, le chef de la police de Vichy. Les vieux quartiers sont bouclés à partir du 23 janvier et le 24 au soir commence ce que les autorités françaises appellent "une évacuation" : près de 2 000 personnes sont priées de quitter leur domicile.

"Mes parents m’ont réveillé avec des visages décomposés par la peur", se souvient Antoine Mignemi, issu d’une famille d’immigrés siciliens installés sur le Vieux-Port. Il avait tout juste cinq ans au moment de la rafle. "Ils m’ont dit vite : habille-toi ! La police française est venue nous dire qu’il fallait quitter le logement immédiatement !"

Ses parents préparent alors quelques vêtements chauds et un peu de nourriture, pour tenir ce qui devait à priori durer 48 heures, le temps de faire "le nettoyage". Antoine Mignemi, ses parents et tout le voisinage de la rue Saint-Laurent sont embarqués dans des tramways en stationnement sur le port, puis conduits jusqu’à Fréjus. "On nous a mis dans ces baraquements infects", raconte Antoine Mignemi, "tellement infects, avec cette paille souillée, que même les bêtes ne pouvaient pas y rester. Elles risquaient de mourir." Les déportés du Vieux-Port restent dans ce camps de Fréjus une semaine avant d’être triés et reconduits, pour une partie d'entre eux, à Marseille.

Le port dynamité

Mais à leur retour, la ville a bien changé de visage. Le port a été dynamité sur une surface de 14 hectares. cette zone détruite correspond au plan d’urbanisme présenté par Eugène Baudoin - grand architecte, à l’origine de nombreux programmes pendant les Trente Glorieuses - en 1941.

"Comme le dit Louis Gillet dans la revue Marseille : la pègre gangrénée jusqu’aux pierres", détaille Luc Graldon, le guide du musée d’histoire : "Il faut s’en débarrasser physiquement pour reconstruire des habitats plus aérés, des voies plus grandes et mettre en valeur, pour les yeux amoureux de Marseille, des bâtiments historiques comme l’hôtel de ville, l’hôtel de Cabre et la Maison Diamantée".

Destruction du Vieux-Port, janvier 1943
Destruction du Vieux-Port, janvier 1943
© Maxppp - La Provence

Les familles, de retour à Marseille, sont donc hébergées par des connaissances, puis relogées ailleurs dans la ville. Mais le plus étonnant, c’est que cette rafle a comme été effacée de la mémoire collective. Plusieurs années après la Libération, nombreux sont ceux qui pensaient par exemple que le port avait été bombardé pendant la guerre. Or, il n’en est rien. En 2019, un collectif s’est formé pour rétablir vérité et mémoire et une plainte pour crime contre l’humanité a été déposée par Pascal Luongo, avocat du barreau de Marseille et lui-même petit-fils de déporté : "Pendant longtemps, les gens qui ont vécu cela se sont vus comme les évacués du Vieux-Port", explique-t-il. "Evacuation, c’est le terme qui a été choisi par le régime de Vichy et l’occupant Nazi, pour qualifier leur geste et la manière dont cela s’est passé. Or, il ne correspond pas du tout à la réalité ! Quand les gendarmes, manu militari, vous délogent, contrôlent vos identités, puis vous mettent dans des trains en direction de Fréjus… ce sont des rafles !".

En déposant cette plainte pour crime contre l’humanité, Pascal Luongo veut changer le regard de l’Histoire sur ces faits et la manière dont ils sont racontés : "Le but, c’est d’arriver à ce que dans les livres scolaires de nos enfants figure la page Marseille 1943".

Dans cette démarche de réhabilitation, plusieurs événements ont été mis en place par la ville de Marseille, tout au long de l’année : des conférences, des projections, une cérémonie... et notamment une exposition photographique, sur le Vieux-Port, qui retrace les événements de ce mois de janvier 1943.

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