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Des images montrent un civil palestinien, mains en l’air, abattu près de Khan Younès, dans la bande de Gaza

La guerre entre le Hamas et Israëldossier
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L’armée israélienne se refuse à commenter une séquence diffusée par la télévision britannique, montrant un homme désarmé abattu, arguant que les images avaient fait l’objet d’un montage. «CheckNews» a eu accès à des images établissant que l’homme avait bien les mains en l’air au moment des tirs mortels.
par Florian Gouthière et Alexandre Horn
publié le 24 janvier 2024 à 19h00

Depuis hier soir, une vidéo suscite un vif émoi sur les réseaux sociaux. Diffusée par la chaîne britannique ITV, elle montre un groupe de civils palestiniens, mains en l’air et drapeau blanc, avancer lentement dans une rue vide du sud Gaza. L’un d’eux, interviewé quelques instants auparavant, est abattu à côté de positions israéliennes. Sans toutefois que l’auteur des coups de feu ne soit visible. Interrogée à propos de cette scène, l’armée israélienne a expliqué «ne pas être au courant de cet incident» en soulignant que «la vidéo est clairement éditée». CheckNews a retrouvé et authentifié une autre vidéo, montrant dans sa continuité la scène, où ce civil non armé, Ramzi Abu Khaled Sahloul, est abattu.

La scène, diffusée ce 23 janvier, remonte à lundi. Dans un plan large de la vidéo, on aperçoit tout d’abord cinq hommes rassemblés sur le trottoir d’une avenue largement déserte à l’ouest de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Leurs mains sont levées, paumes ouvertes. L’un d’eux tient un drapeau blanc. Le montage donne ensuite à voir un plan plus serré des membres du groupe. L’un d’eux – un homme d’une cinquantaine d’années, avec des lunettes et des cheveux courts – est interrogé par le journaliste : «Ma mère et mon frère sont là-bas, avec entre 50 et 70 personnes déplacées dans une autre maison», explique-t-il. «Les Israéliens sont venus et nous ont demandé d’évacuer, mais ils n’ont pas laissé mon frère sortir. Nous voulons y aller et essayer de les récupérer, si Dieu le veut.»

Drapeau blanc couvert de sang

Des chars israéliens sont visibles dans la vidéo du média britannique (et dans d’autres séquences consultées par CheckNews) sur le bord de la route où s’aventurent les civils. Le reporter baisse sa caméra et s’éloigne. La séquence suivante, filmée de plus loin, montre le même groupe de cinq hommes remonter la rue en marchant. A cette distance, on peut voir que les bras d’au moins deux des hommes sont levés à hauteur de leurs visages. Un coup de feu retentit alors, et l’ensemble du groupe fait alors demi-tour. La séquence est alors coupée. Les images suivantes sont filmées du même endroit : l’un des membres du groupe est au sol.

Il s’agit de l’individu interviewé quelques instants plus tôt. Deux des hommes restent près du corps, et le couvrent partiellement avec un drapeau blanc. Dans le plan suivant, la victime est déplacée par un groupe de sept hommes (suivi par un huitième, portant un plastron avec écrit le mot «press», un journaliste dont l’identité a pu être établie par CheckNews). Le drapeau blanc se couvre de sang. Sur le plan suivant, un jeune homme constate la mort de l’homme, avant que de nouveaux coups de feu ne retentissent.

Dans des hommages diffusés sur les réseaux sociaux, les neveux et cousins de la victime ont rendu public son nom et son âge : Ramzi Abu Khaled Sahloul (ou Ramzi Abu Sahloul), 51 ans.

Le sud de l’enclave a pendant longtemps été pointé par l’armée israélienne comme un lieu où les populations du nord devaient évacuer, tout en bombardant massivement la zone. Mais depuis le début de la semaine, les opérations au sol se sont ajoutées au pilonnage, alors que l’armée israélienne annonçait le siège de Khan Younès, où des centaines de milliers de réfugiés du nord de Gaza avaient été déplacés. Le village de Al-Mawasi, où Abu Sahloul a été abattu, est appelé «zone humanitaire» à destination des populations déplacées par Tsahal depuis le mois d’octobre. C’est dans cette même zone que Tsahal ordonnait le 23 janvier, soit le lendemain de sa mort, à des civils du centre de Khan Younès de se rendre. Comme le rapportait le New York Times, les chars et les bulldozers de l’Etat hébreu ont commencé à assiéger certains quartiers de la ville, notamment des hôpitaux. Différents témoins rapportent au quotidien américain des affrontements entre les forces et les hommes du Hamas, ainsi que des tirs de sniper ciblant les civils.

Mains en l’air au moment du tir

La mention, en début de reportage, de la proximité avec le village d’Al-Mawasi, ainsi que de nombreux éléments présents à l’image nous ont permis de localiser très précisément l’évènement. La scène se déroule sur la route principale entre Khan Younès et Al-Mawasi, le long de mur longeant l’université Aqsa Khan. Cette géolocalisation, également effectuée par divers comptes sur le réseau social X (anciennement Twitter), a été communiquée aux forces armées israéliennes afin d’obtenir de plus amples informations sur la scène filmée par ITV.

La réponse qui nous a été faite par Tsahal est identique à celle donnée, la veille, à nos confrères britanniques : «Les Forces de défense israéliennes ne sont pas au courant de cet incident. La vidéo est clairement éditée, et nous n’avons [donc] pas moyen de commenter.»

Toutefois, CheckNews a pu avoir accès à d’autres images (transmises par l’ONG Euro-Med Human Right Monitor) captées, au même moment, à l’aide de téléphones mobiles, par un autre témoin de la scène, qui permettent d’établir plusieurs faits. Premièrement, quatre des cinq hommes du groupe – parmi lesquelles la victime – avaient les deux mains levées au niveau de leur visage un instant avant le coup de feu. Le cinquième homme, qui porte le drapeau blanc, a le bras gauche le long du corps, à distance de la jambe. Les coups de feu (deux ou trois) sont tirés en rafale une seconde après que l’un des hommes (le plus près du mur, vêtu d’un sweat-shirt clair) ait baissé sa main droite, dans un mouvement qui, toutefois, ne semble aucunement menaçant.

Ces images (non éditées) montrent également que moins de sept secondes séparent le coup de feu et l’instant où la victime finit par s’écrouler, et qu’aucun autre coup de feu n’a retenti. Ces éléments permettent de dissiper tout doute lié au montage de la séquence diffusée par ITV : l’homme abattu avait bien les mains en l’air au moment du tir, seul tir ayant retenti avant que cette victime ne tombe au sol.

Sollicitées au sujet de ces nouvelles informations, les forces armées confirment «ne pas être au courant d’un tel incident» ayant impliqué un soldat israélien. La présence de troupes israéliennes aux abords de l’université Aqsa Khan le 21 janvier est confirmée par plusieurs sources journalistiques (comme la chaîne saoudienne Al-Hadath), ainsi que par plusieurs vidéos authentifiées diffusées sur les réseaux sociaux.

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