Coutumier des récompenses prestigieuses (deux Oscars du meilleur film en langue étrangère, un Grand Prix à Cannes en 2021 pour Un héros, un Ours d’or en 2011 pour Une séparation…), Asghar Farhadi, 51 ans, vient de terminer le scénario de son prochain long-métrage, qui sera tourné à New York, en anglais, et produit par une société américaine. A l’occasion d’une rencontre aux Arcs (Savoie) en décembre 2023, où il présidait le jury de la quinzième édition des Arcs Film Festival, consacrée au cinéma indépendant européen, le réalisateur a confié ses réticences à tourner désormais en Iran, le pays où il vit.
Je ne serais pas arrivé là si…
… si je n’avais pas eu une structure familiale au sens presque géographique du terme. Nous vivions dans une petite ville en périphérie d’Ispahan. Notre maison était la dernière d’une longue impasse où habitait toute ma famille, y compris mes oncles et tantes. Nous étions de nombreux cousins à nous retrouver dehors, dans cette impasse, pour jouer et nous parler. Petit dernier de ce groupe d’enfants, j’ai grandi en écoutant des histoires.
Quelles étaient ces histoires ?
Il y avait tout ce que les grands avaient le droit de faire et qu’ils venaient nous raconter. Notamment leurs virées, en cachette des parents, au cinéma d’Ispahan. Très souvent, les fins d’après-midi étaient consacrées à ces films. Inutile de vous dire qu’il ne s’agissait pas d’un récit littéral : ils inventaient des chapitres, des personnages… Je ne serais pas arrivé là si je n’avais pas écouté mes aînés conter les films qu’ils avaient vus. Aujourd’hui, ils me disent tous : « Sache que c’est grâce à nous que tu es devenu cinéaste. »
Quelle a été votre première véritable expérience du cinéma ?
Lorsque j’ai enfin réussi à convaincre un de ces grands de m’associer à son escapade. C’était un secret, bien sûr. On a pris le bus et, arrivés au cinéma, le film avait déjà commencé. On ne pouvait pas se permettre d’attendre la séance suivante, sinon on allait revenir trop tard à la maison. Alors on est entrés en plein milieu de la projection. J’ai aimé l’atmosphère de la salle. J’étais fasciné par ce faisceau lumineux qui sortait du projecteur, toute cette poussière suspendue.
Quant au film, dont je ne me rappelle plus le titre – sans doute un film d’Europe de l’Est –, l’un des personnages était un enfant d’une dizaine d’années. Je me suis immédiatement identifié à lui. Tout le trajet du retour et les jours qui ont suivi, je les ai consacrés à imaginer la première partie de l’histoire, qu’on avait ratée. C’est là que je suis devenu cinéaste : j’étais capable à mon tour de raconter dans notre rue cette première moitié de film, d’avoir mon auditoire.
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