Au fond de la Seine, il y a des trésors… Archéologie d'un fleuve

En l’an 358, Julien, alors César en Gaule et futur empereur romain, regarde couler les eaux et écrit : "J'étais alors en quartier d'hiver auprès de ma chère Lutèce : les Celtes appellent ainsi la petite ville des Parisii : c'est un îlot jeté sur le fleuve qui l'enveloppe de toutes parts : des ponts de bois y conduisent de deux côtés : le fleuve diminue ou grossit rarement : il est presque toujours au même niveau été comme hiver : l'eau qu'il fournit est très agréable et très limpide à voir et à qui veut boire." Julien, dit Julien l’Apostat, ce formidable barbu, a-t-il jeté quelques objets dans le fleuve, un vieux bidule dont il ne se sert plus ou une petite chose qui lui tient à cœur ? Au fond de la Seine, il y a des trésors. Archéologie d'un fleuve.

Raconter l’histoire de la Seine à travers l’archéologie

"Au fond de la Seine, il y a de l'or, des bateaux rouillés, des bijoux, des armes", écrit le poète Maurice Magre dans sa Complainte de la Seine. À cet inventaire, nous pourrions ajouter des silex, des céramiques, des ex-voto, des clés, de la dinette… C’est ce bric-à-brac millénaire que la Crypte archéologique de l’Île de la Cité à Paris entreprend de mettre en scène dans son exposition "Objets trouvés de la Préhistoire à nos jours".

"Nous présentons des objets qui proviennent de deux sources très différentes", explique Sylvie Robin, commissaire scientifique de l'exposition. Certains objets proviennent de fouilles archéologiques scientifiques anciennes ou récentes. Ils sont "précis dans leur contexte et dans leur datation. On peut (les) exploiter pour en savoir le plus possible sur les gens qui les ont utilisés, à quel moment ils ont vécu et dans quelles conditions." D'autres vestiges viennent de dragages et de découvertes aléatoires. "Ces objets sont porteurs d'autres informations, statistiques par exemple."

D'ailleurs, les fouilles scientifiques ont elles-mêmes une histoire. "C'est vers la deuxième moitié du 19e siècle, avec les travaux haussmanniens, que l'on commence à dégager des vestiges d'une antiquité beaucoup plus ancienne que l'antiquité romaine classique, qui est déjà connue", raconte Nathan Schlanger, professeur d'archéologie à l'École nationale des Chartes. L'archéologie fluviale s'emploie alors à plonger dans la Seine, mais aussi à regarder ses berges et la manière dont elles sont exploitées.

Pour une archéologie du quotidien

Le fleuve, qui a façonné Paris depuis les premières installations humaines, a reçu quantité d’objets tombés, jetés, perdus ou déplacés par les courants. Tous témoignent de l’histoire de la Seine, de l'évolution de son cours et de ses paysages. "La Seine avait un certain nombre de méandres, de cours secondaires qui, à des moments de crue, pouvaient se retrouver en eau et (former) des petits monts d'alluvions accumulés (...) où l'on pouvait s'installer et construire un habitat", décrit l'archéologue Jean-François Goret. "Les fluctuations de la rivière déterminent la façon dont les gens vont vivre autour de ce cours d'eau."

Dès lors, les objets trouvés tracent l'histoire des populations successives de la Seine. Des outils pour aménager la nature, chasser ou se battre, aux objets magiques qui s’adressent à la bienveillance de la Seine, deux récits se croisent. Celui de l’interprétation scientifique et celui de l’imaginaire. "On peut inventer des histoires à partir d'une clé rouillée trouvée au fond de la Seine", déclare Sylvie Robin. "On peut se demander qui l'a jetée et quel drame est à l'origine de ce jet. De la même manière, pour une bague de fiançailles que l'on retrouve dans l'eau, il y a toutes ces histoires poétiques et émouvantes de Parisiens qui viennent à l'esprit".

Ce sont aussi, et surtout, les récits de vie de femmes et d’hommes qui ont construit leur quotidien avec la Seine. Qu’il s’agisse des chasseurs néandertaliens ou d’une population parisienne pieuse et superstitieuse, leurs préoccupations sont encore les nôtres : composer avec l’environnement, exploiter la Seine, la surveiller et l’honorer en la protégeant. Nathan Schlanger souligne l'importance de ces objets du quotidien : "Les archéologues ne sont pas des chercheurs de trésor ; ils s'intéressent à la vie quotidienne, à l'ordinaire, à la longue durée des classes populaires, plutôt qu'à un objet extraordinaire, qui ne les aide pas à mieux cerner les sociétés anciennes, les modes de vie des populations et le rapport avec l'environnement."

Pour en savoir plus

L’exposition "Dans la Seine. Objets trouvés de la Préhistoire à nos jours" est à découvrir à partir du 31 janvier à la Crypte archéologique de l’Île de la Cité à Paris.
Informations pratiques

Sylvie Robin est conservatrice en chef du patrimoine, responsable du département des collections archéologiques au musée Carnavalet – Histoire de Paris. Elle est la commissaire scientifique de l'exposition "Dans la Seine. Objets trouvés de la Préhistoire à nos jours".
Elle a également dirigé le catalogue de l'exposition : Dans la Seine. Objets trouvés de la Préhistoire à nos jours, Paris Musées, 2024.

Jean-François Goret est archéologue, responsable de la gestion des collections au sein du pôle archéologie du DHAAP (Département d’Histoire de l’Architecture et de l’Archéologie de Paris), membre de la Commission territoriale de la recherche archéologique (CTRA sud-est) et du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA). Il est spécialiste du mobilier médiéval en matières dures animales (artisanat de l’os, des bois de cervidés et de l’ivoire).

Nathan Schlanger est historien de l'archéologie et des sciences sociales, professeur d'archéologie à l'École nationale des chartes. Il travaille sur l'histoire et les archives de l'archéologie préhistorique depuis le 19e siècle.
Il a notamment publié :

• L'Invention de la technologie. Une histoire intellectuelle avec André Leroi-Gourhan, Presses universitaire de France 2023
• Marcel Mauss. Les techniques du corps, appareil pédagogique de Nathan Schlanger, collection "GF Philo'", Flammarion, 2023

Références sonores

• Archive sur la découverte de statues gauloises aux sources de la Seine, Actualités Centre Est, 1966
• Archive sur le nettoyage de la Seine, Actualités françaises, 1946
• Chanson Sous le pont de l'Alma par Jacqueline Maillan
• Archive sur un appel à la Brigade fluviale, Le Monde insolite, France Culture, 1975
• Chanson La Complainte de la Seine par Marianne Faithfull, paroles de Maurice Magre, musique de Kurt Weill, créée par Lys Gauty en 1934
• Lecture par Juliette Gréco de L'Inconnue de la Seine de Jules Supervielle, France Culture, 1971
• Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020