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Décryptage

Blocages des agriculteurs : les accords de libre-échange européens en trois questions

Les paysans français dénoncent à cor et à cri la concurrence déloyale des produits à bas coûts venus de pays étrangers grâce aux accords de libre-échange conclus par l'Union européenne. Des traités commerciaux qui mettent en difficulté certaines exploitations.

L'impact réel des accords de libre-échange est difficile à quantifier.
L'impact réel des accords de libre-échange est difficile à quantifier. (AFP)

Par Paul Turban

Publié le 29 janv. 2024 à 16:28Mis à jour le 31 janv. 2024 à 17:15

Du poulet ukrainien, du boeuf canadien, des pommes chiliennes… Les agriculteurs ne manquent pas d'exemples de produits venus du bout du monde, avec des normes sanitaires, sociales et environnementales différentes des normes européennes, qui viennent faire concurrence dans les supermarchés à leurs propres produits. Pour eux, les responsables sont tout désignés : les accords de libre-échange conclus par l'Union européenne.

Derrière ce titre générique sont rassemblés en fait une série de partenariats conclus avec diverses parties du monde, avec des modalités et des périmètres différents. Tour d'horizon des accords de libre-échange européens et de leurs effets sur la ferme France.

1. De quoi parle-t-on ?

Un accord de libre-échange est un traité conclu par deux Etats ou deux groupes d'Etats, qui permet une circulation plus facile des biens et services entre les deux parties. Cela passe par une disparition ou un fort abaissement des barrières tarifaires (les droits de douane) et des barrières non-tarifaires (les limitations législatives). Une fois cela dit, il existe donc autant de modèles d'accords de libre-échange que de pays ou groupes de pays avec lesquels l'UE en a signé.

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La Norvège, le Liechtenstein et l'Islande bénéficient ainsi d'un accord de libre-échange complet dans le cadre de leur participation à l'Espace économique européen. Bien que non-membres de l'UE, ils jouissent de la liberté de circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes.

Ensuite, des accords de libre-échange aux géométries variables ont déjà été conclus avec le Canada, l'Amérique centrale, le Chili, la Colombie/le Pérou/l'Equateur, le Japon, le Mexique, Singapour, la Corée du sud, le Royaume-Uni, le Vietnam, la Suisse ou encore les Balkans occidentaux. La Géorgie, la Moldavie ou encore l'Ukraine bénéficient de leurs côtés d'accords de libre-échange « approfondis et complets ». La Turquie fait partie de l'union douanière européenne, ce qui signifie une libre circulation des marchandises couvertes par l'accord, mais l'agriculture en est exclue.

Dans la hiérarchie, on peut ensuite mettre les « accords de partenariat économique », qui sont des accords de libre-échange asymétriques, puisqu'ils ouvrent le marché européen plus largement que ne s'ouvre le marché du partenaire. Ils concernent des pays d'Afrique et des Caraïbes principalement, car ces pays sont beaucoup moins développés que l'Europe et donc plus sensibles à l'ouverture de leur marché.

De nouveaux accords de libre-échange devraient bientôt entrer en vigueur, après leur ratification par les deux parties, avec la Nouvelle-Zélande ou encore le Kenya. D'autres sont en cours de négociation, comme avec le Mercosur , une union de pays d'Amérique du Sud. Récemment, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a fait pression pour la conclusion d'un accord avec l'Inde .

2. Quelle place pour l'agriculture dans ces accords ?

Les produits agricoles sont souvent inclus dans les accords de libre-échange. En revanche, ils bénéficient souvent de mesures qui limitent les échanges de certains produits, voire les excluent tout à fait. Par exemple, dans l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA) , il y a des contingents tarifaires sur certains produits, comme le boeuf ou le porc. Autrement dit, seule une partie fixe des importations de ces viandes bénéficient de la réduction des droits de douane. Le surplus est taxé au prix fort. L'Union européenne peut aussi imposer un prix plancher sur certains produits : c'est le cas pour les tomates, les courgettes ou les pêches originaires de Géorgie par exemple.

3. Quelles conséquences pour les agriculteurs français ?

En réalité, le bilan est contrasté. Les accords de libre-échange sont, de toute évidence, construits de manière que chaque partie y trouve son compte, et tous les secteurs ne sont pas égaux face aux conséquences de l'ouverture d'un marché. C'est le cas dans le secteur agricole. Mais les conséquences réelles sont difficiles à évaluer, puisqu'on peut très bien exporter sans accord de libre-échange.

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Selon un rapport de l'Assemblée nationale de 2023, le secteur des vins et spiritueux et la filière laitière sont « de grands bénéficiaires des accords de libre-échange ». Dans ce document, le ministre du Commerce extérieur d'alors, Olivier Becht, souligne que le CETA a par exemple permis d' augmenter de 30 % les exportations vers le Canada , et que la France exporte trois fois plus de boeuf qu'elle n'importe de boeuf canadien.

« L'existence d'accords commerciaux permettant de supprimer les différenciations de droits de douane est un « facteur surdéterminant » de la compétitivité des vins français », estime même FranceAgriMer dans un rapport de 2021. Cela peut s'expliquer notamment par l'existence de nombreuses appellations et indications protégées (AOP, IGP), dont le respect dans le pays tiers est parfois imposé par le traité de libre-échange .

Dans le cadre de la viande, les effets sont moins évidents. Dans un rapport de 2021, FranceAgriMer soulignait dans le cadre de la viande bovine que « le solde est positif pour les pays tiers », mais que cela représente des faibles volumes. Dans un autre document consacré au porc, l'organisme soulignait que le solde positif des échanges avec les pays tiers permettait de compenser le solde négatif des échanges avec les autres pays européens. Cet excédent commercial est globalement en progression. En revanche, le même institut souligne que les exportations de volailles vers les pays tiers se dégradent fortement.

Enfin, de même source, les fruits et légumes tempérés - ceux qui peuvent être produits en France - ont vu leur solde se dégrader légèrement, même si les exportations sont globalement faibles et le sont restées. Quant aux céréales, la France est largement excédentaire, hormis sur le soja.

Paul Turban

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