L'équipage de l'ONG Refugee Rescue débarque des migrants dans le village de Skala Sikamineas, sur l'île de Lesbos après un sauvetage en mer Égée, en janvier 2020. Crédit : Julie Bourdin
L'équipage de l'ONG Refugee Rescue débarque des migrants dans le village de Skala Sikamineas, sur l'île de Lesbos après un sauvetage en mer Égée, en janvier 2020. Crédit : Julie Bourdin

Un tribunal grec a acquitté mardi un groupe de 16 membres d’ONG accusés d’espionnage et de complicité avec une organisation criminelle. Ces travailleurs humanitaires avaient porté assistance à des migrants en mer Égée près de l’île de Lesbos en 2018.

C'est la fin de six ans de poursuites judiciaires. Mardi 30 janvier, 16 membres de l’ONG Erci (Emergency response center international), accusés d’espionnage et de complicité avec une organisation criminelle, ont été acquittés par un tribunal grec. Les juges ont suivi les réquisitions du procureur qui réclamait la relaxe.

Les 16 humanitaires étaient jugés pour avoir porté secours à des migrants en détresse en mer Égée au large de l’île de Lesbos en 2018. Depuis cette date, ils font face à la justice. D’abord annulé, le procès s’est finalement tenu au tribunal correctionnel de Mytilène l'an dernier, puis est revenu en appel après une décision de la Cour suprême.

"On a été choisis presque au hasard"

Le 30 janvier, la procédure à l’encontre des 16 accusés a finalement pris fin. La cour d’appel de Mytilène a estimé qu’aucun fait relevé dans les témoignages compilés par les autorités ne prouvait les accusations portées à l’encontre des accusés. "Le procureur a clairement déclaré qu’il n’y avait aucune preuve qu’un des accusés ait commis quelque chose d’illégal", a déclaré à l’agence de presse AP Haris Petsikos, l’un des avocats de la défense.

L’acte d’accusation reposait notamment sur des conversations dans l'application de messagerie WhatsApp entre différentes personnes, dont des membres d’Erci mais aussi du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), qui évoquaient l’utilisation de jumelles et de radios pour repérer des canots de migrants en difficultés et procéder aux sauvetages. Des outils qualifiés de moyens d’espionnage par l'État grec.

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"On a été choisis presque au hasard" par les autorités, avait déclaré l’an dernier à InfoMigrants l’un des accusés, Sean Binder, nageur-sauveteur allemand de 30 ans. "Ils nous ont piochés dans un groupe WhatsApp dédié aux recherches et aux sauvetages en mer. Ce groupe avait été créé par le HCR et comptait plus de 400 membres."

Pendant l’audience, les juges se sont interrogés à plusieurs reprises sur la tenue de ce procès, le dossier d’accusation de 85 pages étant souvent décrit comme fragile, inexact et trompeur.

"Ces accusations n’auraient jamais dû être portées", a encore estimé Hatis Petsikos face à la presse réunie devant le tribunal à l’issue du verdict. Les 16 humanitaires ont affirmé qu’ils ne faisaient rien d’autre que venir en aide aux personnes dont la vie était en danger en mer.

"Empêcher les défenseur des droits humains de faire leur travail"

"Nous sommes innocents et avec nous, les milliers de volontaires passés par les îles pour sauver des vies humaines", a affirmé Nassos Karakitsos, ancien directeur opérationnel d’Erci, également visé par la plainte des autorités. Comme lui, trois autres personnes avaient été enfermées en détention provisoire en 2018 pendant près de trois mois et demi. Ils avaient pu être libérés sous caution.

Cette décision du tribunal de Mytilène a été accueillie avec soulagement par les défenseurs des droits. Mais les humanitaires rappellent que cette affaire, révélatrice de la criminalisation des ONG, n’est qu’un cas parmi tant d’autres en Grèce.

"C’est une preuve de plus que le système juridique grec est constamment utilisé pour empêcher les défenseurs des droits humains de faire leur travail", a déploré sur X Vassilis Tsarnas du Greek Helsinki Monitor.

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La branche grecque d’Amnesty international, qui évoquait l’an dernier une justice "grotesque" a déclaré mardi que cette "victoire est un rappel important que la solidarité avec les réfugiés et les migrants doit être applaudie, jamais criminalisée".

Depuis 2018 et la mise en accusation des membres d’Erci, l’ONG n’a plus effectué une seule opération de sauvetage. Toutes ses autres activités (clinique médicale, programmes éducatifs), brisée par la "mauvaise réputation", ont également cessé. 

 

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