« La bombe sociale a explosé » : 4,2 millions de personnes souffrent de mal-logement, alerte la Fondation Abbé-Pierre

Sans abri, habitat indigne, accès aux HLM… Dans son rapport 2023, la Fondation Abbé-Pierre invite les pouvoirs publics à agir face à une « aggravation alarmante » de la crise du mal-logement.

Par Nathan Tacchi

Près de 15 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du mal-logement.
Près de 15 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du mal-logement. © ANDBZ/ABACA

Temps de lecture : 7 min

Lecture audio réservée aux abonnés

La crise du mal-logement « est là ». En préambule du 29e rapport sur « l'état du mal-logement en France » de la Fondation Abbé-Pierre, sa présidente, Marie-Hélène Le Nédic, a brossé le portrait d'une société française « bien malade ». « La crise du logement qui couve aura de dures répercussions sociales. Cet avertissement, dont les signaux paraissaient pourtant clairs, a été ignoré. » De son côté, mardi 30 janvier, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé au cours de son discours de politique générale vouloir créer « un choc d'offre » pour « déverrouiller » le secteur du logement.

Alors que seront célébrés ce jeudi 1er février les 70 ans de l'appel de l'abbé Pierre, la fondation appelle le gouvernement à agir, l'accusant d'« attentisme, voire [de] déni, comme s'il sous-estimait l'ampleur des besoins en logements ». En France, en 2023, 4,2 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d'absence de logement personnel, selon le dense rapport de 333 pages, qui paraît jeudi 1er février.

Le point du soir

Tous les soirs à partir de 18h

Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

2023, l'année d'une « aggravation alarmante de la crise »

« La bombe sociale du logement a explosé », alerte la Fondation Abbé-Pierre, notant que l'année 2023 fut marquée d'une « aggravation alarmante de la crise du logement, qui était pourtant annoncée de toutes parts depuis deux ans ».

En France, près de 15 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du mal-logement. Ce chiffre comprend les 4,2 millions de personnes mal-logées et les plus de 10 millions de personnes fragilisées par rapport au logement (effort financier excessif, précarité énergétique, surpeuplement modéré, etc.).

« La plupart de ces chiffres montrent une dégradation de la situation », pointe le rapport. Parmi les personnes sans logement personnel, regroupant les SDF, les personnes vivant dans des hôtels, dans des habitations de fortune ou chez des tiers, les sans domicile sont 330 000 en 2023, soit trois fois plus qu'en 2001 et deux fois plus qu'en 2012. De surcroît, la Fondation Abbé-Pierre dénombre une hausse « intolérable » du nombre d'enfants à la rue : chaque soir en octobre 2023, on comptait plus de 2 800 demandes non pourvues d'hébergement pour des enfants, contre 1 700 en 2022 et 920 en 2020.

À LIRE AUSSI Près de 2 000 enfants à la rue en France : « La situation est dramatique » « Cette crise prévisible s'impose par son ampleur et la gravité de ses conséquences économiques et sociales qui plongent les plus vulnérables dans une situation encore plus difficile qu'il y a un an », écrit la Fondation Abbé-Pierre. Sont particulièrement concernés par cette crise les femmes, les enfants, les étudiants et les demandeurs de logement social. « Malgré quelques annonces gouvernementales depuis l'automne 2023, le compte n'y est toujours pas. »

Au moins 600 000 logements indignes en France

« L'habitat indigne, un éternel retour », écrit la fondation pour introduire son chapitre phare de cette édition 2023. « Le seul fait qu'un immeuble présente un risque pour la santé ou la sécurité conduit à le qualifier d'indigne », selon la définition de l'Agence nationale pour l'information du logement (Anil).

D'après la Fondation Abbé-Pierre, il existerait au moins 600 000 logements indignes en France, tandis que l'État en recenserait 400 000. Les anciennes villes ouvrières touchées par la désindustrialisation et les centres des villes moyennes seraient particulièrement confrontés à la dégradation des logements.

Mais quelles sont les populations touchées par ces habitats indignes ? Le rapport dresse des profils. En premier, les propriétaires occupants « ancrés », avec des situations souvent anciennes touchant des personnes âgées et des actifs modestes, dont les agriculteurs. En second, les « accédants en échec », avec notamment de jeunes couples ayant sous-estimé le coût de travaux ou les charges à l'entretien. Ensuite viennent les locataires victimes de bailleurs « indélicats », des ménages qui, « faute d'alternative, louent un logement dégradé, voire insalubre ». Enfin, les situations d'incurie dans le logement, avec des populations en souffrance psychique présentant des carences d'hygiène.

Pour les aider, la Fondation Abbé-Pierre préconise notamment un meilleur accompagnement juridique et administratif, qui « n'est pas assez fréquemment mobilisé par les pouvoirs publics ».

La « chute brutale » de l'accès aux HLM

Ainsi, l'organisation interpelle le gouvernement sur les conditions d'accès aux logements, tout particulièrement aux HLM. « Ceux qui disposent de moins de 500 euros par mois voient leur taux de succès baisser de 22 % en 2017 à 12 % en 2022. » Les probabilités d'intégrer ce type de logement n'ont également pas augmenté en cinq ans pour les personnes sans domicile personnel. Cela vient notamment du fait que la production de HLM a chuté sur les dernières années. Pourtant, comme le note la fondation, 2,4 millions de ménages en attendent un logement social, « un chiffre en hausse rapide ces dernières années ».

À LIRE AUSSI Logement à Montpellier : la grande mobilisationFace à ce constat, le Premier ministre a annoncé mardi 30 janvier un prêt de « très long terme de 2 milliards d'euros » pour accélérer la création de logements sociaux. Mais il a surtout signifié sa volonté de réviser la loi SRU dans les communes en zone urbaine pour recalculer le quota de logements sociaux dans les collectivités. « Vous le savez, d'ici à 2025, toutes les communes soumises à la loi SRU doivent posséder au moins un quart de logements sociaux sur leur territoire. Nous proposerons d'ajouter pour une part les logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans ce calcul », a déclaré Gabriel Attal.

« C'est scandaleux d'intégrer dans les quotas de la loi SRU les logements locatifs intermédiaires qui sont destinés plutôt aux classes moyennes, voire aux classes moyennes supérieures », a réagi auprès de l'Agence France-Presse Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, à l'issue du discours du chef du gouvernement. « Il n'y avait déjà pas assez de logements sociaux et là on va donner l'opportunité à des maires qui ne veulent pas accueillir des pauvres sur leur territoire d'accueillir à la place des cadres », a ajouté Manuel Domergue.

Plus d'un ménage sur quatre a eu froid en 2023

Le mal-logement passe aussi par la précarité énergétique. En 2023, tandis que les prix de l'électricité augmenteront jeudi 1er février de 8,6 % pour le tarif de base et de 9,8 % pour le tarif « heures pleines-heures creuses », 26 % des ménages ont eu froid à leur domicile en 2023, contre 14 % en 2020. Le nombre d'interventions pour impayés d'électricité a aussi fait un bond : 767 000 en 2022, contre 553 000 en 2019.

À LIRE AUSSI Électricité : pourquoi la hausse des tarifs sera plus importante pour certains Français ?

« Il y a très peu d'aides aux factures d'énergie renouvelées ou augmentées en 2023. Il n'y a pas eu de chèque énergie exceptionnel, donc c'est un signal d'alerte, la précarité énergétique continue d'augmenter », s'est désolée Maïder Olivier, chargée du plaidoyer à la Fondation Abbé-Pierre, à BFMTV. La Fondation Abbé-Pierre demandait, avant même l'annonce de la hausse des tarifs de l'énergie, un triplement du chèque énergie.

Airbnb dans le viseur de la fondation

L'actuelle crise du mal-logement va de pair avec celle de l'immobilier. La Fondation Abbé-Pierre s'attaque aux plateformes de location type Airbnb, les désignant comme parmi les responsables des crises du logement et de l'immobilier : « Les locations touristiques de courte durée louées sur des plateformes comme Airbnb continuent de se développer en France, profitant de niches fiscales existantes, faisant grimper les prix et limitant l'offre locative de longue durée. » Entre-temps, ce lundi 29 janvier, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi en faveur de l'alourdissement de la fiscalité de la location touristique, notamment en s'attaquant aux niches fiscales.

La crise de l'immobilier « systémique » est « inédite », touchant « toutes les sphères du logement en même temps, avec une force et une rapidité inouïes ». Les raisons de la situation actuelle sont multiples, selon la fondation : la construction au point mort, les acheteurs modestes ne parviennent plus à acheter, les banques prêtent moins, les locataires ne trouvent plus rien à louer à des prix abordables, les logements sociaux sont saturés et la liste des demandeurs s'allonge.

Face à cette crise nationale, Gabriel Attal a d'ores et déjà annoncé vouloir « procéder à des réquisitions de bâtiments vides », dont les bureaux. L'objectif de cette mesure : « 30 000 nouveaux logements d'ici 3 ans ». En Île-de-France, les bureaux vacants représentent en superficie ​​l'équivalent de « 60 arches de la Défense vides autour de Paris », selon Alexandre Labasse, directeur général de l'Atelier parisien d'urbanisme. Cette proposition de loi sera examinée à l'Assemblée nationale à partir du mercredi 31 janvier.

« Mes amis, au secours »

Pour endiguer ce phénomène de mal-logement, la Fondation Abbé-Pierre formule au gouvernement une longue liste d'actions à mener, comme, notamment, la relance du financement du logement social, la revalorisation des APL, l'augmentation des minima sociaux ou encore la généralisation de l'encadrement des loyers.

Soixante-dix ans après l'appel de l'abbé Pierre, « mes amis, au secours », la Fondation Abbé-Pierre attaque la politique du gouvernement qui creuse les inégalités et elle demande des mesures de redistribution « pour réussir à faire reculer le mal-logement, qui reflète non seulement une pénurie de logements mais aussi et surtout leur inégale répartition ».

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (16)

  • Alainlalanne

    9h23 Je confirme, je connais une dame seule survivante d’une famille de 4 personnes qui vit toujours dans un T3, un T2 lui suffirait,

  • Basique74

    Que l’État s’occupe de loger toutes ces personnes qui n’ont que des droits et aucun devoir et des particuliers se orienter vers d’autres investissements car celui-ci est particulièrement stupide actuellement. Il n’est pas question que je reloue un appartement en parfait état, centre-ville classé G on ne sait pas pourquoi qui permettra à mon locataire de plus me payer au 1er janvier 2025, et tu pourras même squatter et laisser l’appartement quasiment détruit sans aucun recours possible pour le propriétaire. Il n’est pas question que je reloue un appartement en parfait état, centre-ville classé G on ne sait pas pourquoi qui permettra à mon locataire de plus me payer au 1er janvier 2025, et tu pourras même squatter et laisser l’appartement quasiment détruit sans aucun recours possible pour le propriétaire. Que l’État s’occupe de loger toutes ces personnes qui n’ont que des droits et aucun devoir et des particuliers se orienter vers d’autres investissements car celui-ci est particulièrement stupide actuellement.

  • Mjoke

    Merci d'avoir publié mon post.
    De la part d'un informateur de renom, il semblerait que ces tentes sont aujourd'hui détenues
    par le directeur de l'institut du monde arabe, monsieur Jack lang, qui en a fait son logement de fonction en plus de sa cuisine ouverte à la Touareg.