CAMBRIOLAGES« Pour moi, j’allais mourir… » Le traumatisme des victimes de home-jackings

Home-jacking : « Plus je criais, plus il me donnait des coups… » Le traumatisme durable des victimes

CAMBRIOLAGESLes homes-jackings – des cambriolages au cours desquels les victimes sont violentées à leur domicile – sont particulièrement traumatisants. Témoignages
Les home-jackings sont un phénomène rare mais très traumatisant pour les victimes.
Les home-jackings sont un phénomène rare mais très traumatisant pour les victimes. - ISOPIX/SIPA / SIPA
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • En 2022, à Paris et dans sa petite couronne, 337 home-jackings ont été recensés. Cette même année, sur le reste du territoire, 475 affaires similaires ont été signalées aux services de police et de gendarmerie.
  • Cette notion, qui n’est pas dans le Code pénal, désigne les cambriolages violents au cours desquels les occupants du logement sont menacés, agressés, parfois ligotés… Les célébrités ne sont pas les seules à en être la cible.
  • Si le phénomène est très marginal comparé aux cambriolages classiques, il est particulièrement traumatisant pour les victimes.

La vie de Coraline Ball a basculé en « deux ou trois minutes » un après-midi de mars 2022. Ce jour-là, la jeune femme, influenceuse « lifestyle », était en train d’enregistrer une vidéo lorsqu’un homme a sonné à la porte de son appartement parisien. Elle qui se dit plutôt du genre « craintive » le prend pour un voisin et ouvre. « Il m’a demandé si j’avais du papier alu, je suis allée lui en chercher. Et c’est quand je suis arrivée dans la cuisine que j’ai réalisé que j’avais laissé la porte entrouverte », se remémore-t-elle Un mauvais pressentiment l’assaille, elle revient alors sur ses pas et tombe nez à nez avec le « voisin » dans son salon.

« Il a eu un dixième de seconde d’hésitation, je tremblais comme une feuille. Pour moi, j’allais mourir », retrace-t-elle. Près de deux ans ont beau s’être écoulés, elle se souvient de chaque instant. L’homme l’attrape au niveau du coup et l’étrangle. Plus tard, lorsqu’elle en parlera autour d’elle et décrira ce geste, on lui expliquera qu’il a probablement tenté de lui faire une prise du sommeil. Mais Coraline est plus éveillée que jamais et son agresseur se met à la frapper, notamment dans le dos. « Plus je criais, plus il me donnait des coups… »

« Ils savaient ce qu’ils étaient venus chercher »

Un deuxième homme arrive. C’est à ce moment-là que la jeune femme réalise que ses agresseurs ne l’ont pas choisi au hasard. Ils sont à la recherche d’un objet précis : sa montre. Un modèle acheté une dizaine d’années auparavant mais qui a pris énormément de valeur depuis que la marque a arrêté de le produire. Coraline Ball en est persuadée, ils l’ont repérée sur les réseaux sociaux. « Je n’ai jamais parlé de ma montre dans mes vidéos. Mais c’est vrai que je la portais beaucoup, donc ils ont pu la voir. » Elle indique aux cambrioleurs où est rangé l’objet. Ils n’emporteront rien d’autre, hormis son portable, qu’ils jetteront en bas de son immeuble. Pas même son sac à main Vuitton ou quelques bijoux.

Photo prise par Coraline Ball quelques heures après les violences qu'elle a subi lors de son home-jacking.
Photo prise par Coraline Ball quelques heures après les violences qu'elle a subi lors de son home-jacking. - Coraline Ball

Ce qu’a vécu Coraline Ball est depuis quelques années désigné par l’appellation « home-jacking », une notion qui n’apparaît pas dans le Code pénal mais qui permet de mieux appréhender ces cambriolages violents au cours desquels les occupants du logement sont menacés, agressés, parfois ligotés… Ces derniers mois, de nombreuses personnalités en ont fait les frais. L’animateur Bruno Guillon, la chanteuse Vitaa, de nombreux footballeurs. Parmi les derniers en date, le chef cuisinier Jean-François Piège. Alors qu’elle se trouvait seule dans l’appartement, la nounou de ses enfants a été ligotée pendant que les trois malfaiteurs fouillaient chaque pièce.

Un phénomène en très légère augmentation en 2023

« Même si ce phénomène est extrêmement traumatisant pour les victimes, il est marginal », précise Sonia Fibleuil, la porte-parole de la police nationale. En 2022, à Paris et dans la petite couronne, 337 home-jackings ont été recensés. Cette même année, sur le reste du territoire, 475 affaires similaires ont été signalées aux services de police et de gendarmerie. Les chiffres de 2023 ne sont pas encore connus mais selon la porte-parole, ils devraient être en très légère augmentation. Ils restent toutefois loin, très loin derrière les cambriolages classiques : plus de 211.000 en 2022.

Si ce phénomène fait figure d’exception, il est pris très au sérieux. Parce que les mêmes équipes frappent souvent plusieurs fois, ces affaires sont traitées par l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLO)*. Au fil de leurs dossiers, les enquêteurs ont identifié deux types de home-jacking. Les premiers sont plutôt commis par des auteurs jeunes, la vingtaine, parfois mineurs. La présence des occupants et les actes de violence qui en découlent ne sont pas forcément recherchés. « Ce sont plutôt des cambriolages mal préparés, précise Sonia Fibleuil. L’équipe repère une maison et passe à l’acte sans s’apercevoir qu’elle est occupée. Ils perdent alors la maîtrise de la situation. » A l’inverse, certains groupes très organisés choisisent d’agir lorsque les propriétaires sont présents, pour, par exemple, obtenir le code d’un coffre.

Et si les affaires visant des célébrités sont les plus médiatisées, elles sont loin d’être les seuls ciblées. Certes, les réseaux sociaux peuvent permettre un repérage – de l’emploi du temps ou des biens possédés par la victime –, mais la plupart des enquêtes mettent en lumière une surveillance assez classique. Des personnes âgées ou vivant seule sont régulièrement ciblée. « Il faut vraiment se contenter de mettre son nom et pas sa civilité sur sa boîte aux lettres », conseille la porte-parole. Par exemple, mieux vaut ne pas mettre « Mme Ginette Marchand » qui peut induire qu'une femme seule, vraisemblablement âgée, vit dans cette maison mais se contenter de « Marchand », plus neutre.

« C’est pas Alcatraz mais presque »

Même lorsque le cambriolage n’est pas accompagné de violences, les victimes qui se trouvaient sur les lieux lorsque leur appartement a été « visité » sont parfois profondément marquées. Chloé Sanchez en sait quelque chose. Depuis 2017, la jeune femme « se barricade » à chaque fois qu’elle est seule chez elle. Elle a également fait installer des alarmes et caméras à l’intérieur et l’extérieur de sa maison, dans la région bordelaise. Surtout, elle s’est acheté un malinois « pour assurer [sa] protection ». « C’est pas Alcatraz, mais presque ! », sourit-elle. L’affaire remonte pourtant a presque sept ans. Ce matin-là, Chloé était sous la douche lorsqu’elle s’étonne d’un miaulement peu habituel de son chat. « Je suis arrivée devant la porte et je me suis rendu compte qu’elle était entrouverte. »

Sur l’instant, elle peine à réaliser, appelle son mari pour savoir si c’est lui qui a mal fermé. Le doute n’est plus permis lorsqu’elle se rend compte que son portefeuille a disparu de son sac. Surtout, sa voisine a vu un homme partir en courant de chez elle. La police scientifique confirmera que sa serrure a été crochetée. « Je ne l’ai pas vu, il ne m’a pas fait de mal physiquement, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui aurait pu se passer. » Si aujourd’hui, le souvenir est moins présent, elle a mis « plusieurs années » à se sentir de nouveau en sécurité. « Par exemple, pendant des années, j’attendais que mon mari rentre du travail pour prendre une douche », confie-t-elle.

Un taux d’élucidation de 40 %

Coraline Ball aussi a adopté de nouveaux réflexes depuis le home-jacking. Elle a fait installer un double système d’alarme, n’ouvre plus si elle n’attend personne, fait livrer ses colis en point relais. « Et encore, souvent, ce n’est pas moi qui vais les chercher car j’ai peur qu’on me suive », insiste-t-elle. L’année qui a suivi le home-jacking a été particulièrement éprouvante. Elle a fait une fausse couche dans les mois qui ont suivi sans savoir si c’était lié. Aujourd’hui, si elle va mieux, elle reste profondément marquée. « La colère que j’ai ressentie pendant des mois a fini par passer, mais je suis encore très craintive. Dès qu’il y a du monde autour de moi, je ne me sens pas bien. »

Les deux femmes ont porté plainte mais dans un cas comme dans l’autre, les cambrioleurs courent toujours. Les enquêtes pour des home-jackings ont pourtant des meilleurs taux d’élucidation que les cambriolages : près de 40 %, contre 8 à 10 %. « Ce sont souvent des enquêtes plus longues, avec des moyens plus importants », précise la porte-parole de la police. Coraline Ball a fini par se résigner, se disant que ses agresseurs avaient eu ce qu’ils souhaitaient. Chloé Sanchez, elle, espère toujours, sans trop y croire.

* A l’exception des faits commis à Paris et dans la petite couronne, qui dépendent de la préfecture de police de Paris.

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