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Agriculture

PAC, libre-échange : en Europe, la droite vote contre les paysans

Jordan Bardella dans une ferme à Queyrac le 20 janvier 2024.

Depuis le début du mouvement des agriculteurs, droite et extrême droite ne cessent de leur clamer leur soutien. Pourtant, au Parlement européen, ils ont voté en faveur de la PAC sans s’opposer aux accords de libre-échange.

Bottes immaculées aux pieds, Jordan Bardella déambulait le 20 janvier entre les blondes d’Aquitaine d’une ferme du Médoc : « L’écologie se fait systématiquement au détriment de nos agriculteurs », clamait-il alors au micro de TF1. Le dimanche suivant, ce fut à sa mentor, Marine Le Pen, de patauger dans la boue. Les deux cadors de l’extrême droite l’affirment : l’Europe et les écologistes sont responsables des maux des paysans.

Pour David Cormand, c’est « le bal des faux culs » : « Jordan Bardella surfe sur ce mouvement social mais en réalité, il n’en a que faire. » Preuve en est, pour l’élu, sa non-implication dans les commissions portant sur l’agriculture, le libre-échange et l’environnement. « S’il veut vraiment s’opposer aux réformes écologistes, qu’il vienne peser en siégeant réellement. Pour l’heure, il brille par son absence. »

Cette stratégie de dénonciation de l’écologie « punitive » résonne aussi à droite, dans la bouche d’Éric Ciotti : « Une telle situation révèle le poids démesuré pris par la culture mortifère de la décroissance, portée par les prétendus écologistes de l’extrême gauche », écrivait-il le 21 janvier, à Emmanuel Macron. Avant que, cinq jours plus tard, Gabriel Attal n’en ajoute une couche dans les contreforts des Pyrénées, en s’en prenant aux « discours culpabilisateurs qui désignent [les agriculteurs] comme ennemis ».

« Hypocrite et sacrément osé »

L’État tente d’instrumentaliser cette crise pour mieux taper sur l’écologie, réagit Sandy Olivar Calvo, de Greenpeace : « C’est hypocrite et sacrément osé. Rappelons toutefois qu’elle est le fruit de politiques néolibérales et de l’industrialisation à marche forcée menées par ceux aux commandes. Or qui est à l’Élysée depuis sept ans ? »

De Gabriel Attal à Jordan Bardella, se pose alors une question : véritable empathie ou manigance électoraliste ? Pour le découvrir, Reporterre a analysé certains scrutins ayant touché le quotidien des paysans. Deux dossiers semblent offrir, plus que tous les autres, l’opportunité de faire tomber les masques : celui de la politique agricole commune, dite PAC, et celui des accords de libre-échange, signés par l’Union européenne avec des pays d’autres continents.

Une PAC soutenue de Macron à Bardella

Le 23 novembre 2021, le Parlement européen donnait son feu vert à la nouvelle PAC 2023-2027. Aux yeux de Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne, cette version revisitée du navire amirale de la politique agricole de l’Europe est profondément injuste : « Les primes étant versées à l’hectare, ce texte contribue à la concentration des terres par de grandes entreprises… et donc à la disparition des petites fermes. » Un constat partagé par l’Insoumise, Aurélie Trouvé : « Chaque année, la France perd dix mille exploitations. On arrive au bout du bout de l’agriculture familiale. »

Les paysans œuvrant à la transformation écologique de leur ferme se voient abandonnés, au profit de ceux investissant dans des robots. « Sans oublier que cette PAC se refuse à lutter contre les fluctuations des cours de bourse sur les denrées alimentaires, abonde l’écologiste Marie Toussaint. Et pourtant, bon nombre d’eurodéputés français, qui aujourd’hui se gargarisent de soutenir les agriculteurs, ont défendu cette réforme dans les urnes. »

© Stéphane Jungers / Reporterre

Ce jour d’automne 2021, insoumis, socialistes et écologistes ont voté à l’unanimité contre l’adoption de la nouvelle PAC. À l’inverse, les députés du Rassemblement national, des Républicains et de Renaissance ont tous exprimé leur accord, excepté un frondeur ayant choisi l’abstention. Deux ans et demi plus tard, le conservateur François-Xavier Bellamy déclare pourtant que la crise des agriculteurs n’est pas un accident : « C’est le résultat d’un déni de réalité que nous n’avons cessé de combattre à leurs côtés depuis cinq ans, au Parlement européen. »

Autre preuve, s’il en fallait, de ce retournement de veste : un amendement débattu en octobre 2020, visant à plafonner les aides de la PAC à 60 000 € par an. « L’objectif était d’assurer une meilleure distribution des subventions, pour ne pas abandonner sur le bas-côté les petites fermes, précise David Cormand. Et qui s’y est opposé ? » L’ensemble de la droite, de l’extrême droite et 21 députés du camp présidentiel sur 23. « Rejeter ces propositions, c’est accentuer l’industrialisation de l’agriculture. Les géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution ne peuvent que s’en réjouir. »

Libre-échange : la droite fonce, l’extrême droite ignore

Pour vendre à l’étranger des avions, des voitures ou différents services, l’Europe a besoin d’une monnaie d’échange. Et bien souvent, il s’agit des produits agricoles. L’Union signe alors des traités de libre-échange avec d’autres pays, autorisant ainsi l’importation sans frais douanier de contingents de viande, de fromage ou encore de légumes. N’étant pas soumis aux normes environnementales européennes, ces aliments affichent des prix records dans les rayons des supermarchés. Une concurrence déloyale, aussi à l’origine de la colère des paysans français.

Dans une lettre adressée aux agriculteurs, le 29 janvier, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella assurait s’être « opposé, de manière constante, aux accords de libre-échange, qu’ils soient avec la Nouvelle-Zélande, le Mercosur ou le Chili. » De son côté, le 1ᵉʳ février, le Premier ministre, Gabriel Attal clamait vouloir que les Français soient « souverains pour cultiver, souverains pour récolter, souverains pour s’alimenter ». Pourtant, une fois de plus, les précédents scrutins semblent octroyer aux deux partis une toute autre position vis-à-vis de ces traités.

Le 24 janvier, deux accords ont été votés par la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen. L’un entre l’Union et le Chili, l’autre entre l’Union et le Kenya. Les socialistes, les libéraux, les conservateurs et l’extrême droite ont tous tranché en faveur des textes. « Au beau milieu de la révolte des paysans, insiste Sandy Olivar Calvo. Ils auront beau tenter de se défausser en disant que ce sont leur groupe et non eux personnel, c’est pareil. » Parmi les quatre seuls français présents, la macroniste Marie-Pierre Vedrenne a d’ailleurs choisi le bulletin « POUR ». Le député du RN Thierry Mariani s’est lui abstenu et Raphaël Glucksmann n’a pas voté. Seul l’élu insoumis, Emmanuel Morel s’y est opposé.

Explication de vote : la gauche a voté pour la renégociation des accords de libre-échange en vue de s’y opposer ; la droite a voté contre cette renégociation pour les faire perdurer. © Stéphane Jungers / Reporterre

Trois ans plus tôt, au Parlement européen, les écologistes avaient par ailleurs porté un amendement visant à « renégocier intégralement la politique commerciale de l’Union afin de veiller au plein respect de l’accord de Paris et des normes de l’OIT », régissant les droits fondamentaux au travail. « En d’autres termes, il s’agissait de mettre un coup d’arrêt aux multiples signatures d’accords de libéralisation du commerce, affectant les droits humains et l’environnement », précise l’eurodéputé David Cormand.

Soutenu à l’unanimité par les insoumis, les socialistes et les écologistes français, l’amendement fut néanmoins rejeté par la République en marche et les Républicains. Quant au Rassemblement national, celui-ci ne s’est pas mouillé. « La question du libre-échange divise terriblement l’extrême droite, et les eurodéputés parviennent rarement à s’accorder… alors le plus souvent, ils s’abstiennent, analyse Marie Toussaint. On voit bien là leur double-discours. Celui devant les agriculteurs, et celui devant les urnes. »

« Depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, les accords [...] s’additionnent »

Désormais, face à la colère de la filière, tous s’entendent sur un point : rejeter le traité de libre-échange actuellement en négociations entre l’Union européenne et le Mercosur. En héros, Gabriel Attal promet avec fermeté de ne pas l’accepter : « Tant mieux, approuve Sandy Olivar Calvo. En revanche, il faut aussi que la France soit proactive dans les débats. Depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, les accords avec la Canada, l’Équateur, la Nouvelle-Zélande… s’additionnent sans qu’il n’y oppose la moindre résistance. »

Une chose est sûre, aux yeux de Marie Toussaint : agriculteurs et écologistes n’ont rien d’ennemis. « Gabriel Attal aura beau agiter le chiffon rouge de l’écologie pour éviter d’avoir à soulever les véritables lacunes du modèle agricole dans lequel on s’embourbe, nous ne tomberons pas dans son piège. »

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