Accueil

Agora Tribunes libres
"Aucun racisme systémique ne sévit dans les services des urgences au profit des personnes blanches"
Fin décembre, plusieurs chercheurs ont publié une étude sur les discriminations aux urgences.
Jc Milhet / HANS LUCAS via AFP

"Aucun racisme systémique ne sévit dans les services des urgences au profit des personnes blanches"

Tribune

Par

Publié le

Récemment, plusieurs médias ont commenté une étude sur les urgences évoquant des discriminations dans la prise en charge des malades. Dans une tribune, Vincent Lautard, infirmier, juriste en droit de la santé et consultant dans le secteur sanitaire et social, montre pourtant que ce n'est pas ce qu'indique l'étude en question.

Fin décembre, plusieurs chercheurs ont publié une étude sur les discriminations aux urgences dans l’EuropeanJournal of Emergency Medecine. Au total, 1 563 médecins urgentistes, internes et infirmiers travaillant dans des établissements de santé en France, en Belgique, en Suisse et à Monaco, ont été interrogés sur leur décision de prise en charge d’un patient, via un cas clinique et l’image d’une personne présentant des douleurs thoraciques.

A LIRE AUSSI : Paris : l'hôpital public réduit à un appel au don pour s'acheter... un scanner

Les résultats de cette étude ont été largement commentés dans les médias et les réseaux sociaux. Certains médias et militants politiques ont expliqué que, selon cette étude, dans les services d’urgences, les personnes blanches étaient plus prises au sérieux et plus privilégiées que les personnes « racisées » (non blanches). Sauf que les résultats de cette étude ne montrent pas vraiment cela.

Expérience par IA

Les professionnels de santé répondant à cette étude ont reçu via un questionnaire le même cas clinique décrivant un patient de 50 ans, qui se présente aux urgences avec des douleurs à la poitrine. Le cas clinique décrivait également les antécédents du patient et les résultats de ces paramètres vitaux. Avec ce cas clinique était jointe une image créée par une IA (intelligence artificielle) qui représentait une personne de 50 ans, portant une chemise blanche fermée, avec la main droite sur la poitrine. Son visage exprimait de la douleur. Cette image pouvait représenter un homme ou une femme à l’apparence ethnique blanche, noire, nord-africaine, ou asiatique. Huit images ont été créées. Comme l’indique l’enquête, les professionnels de santé « n'étaient pas au courant de l'objectif de l'étude et ont seulement été informés qu'elle se concentrait sur l'évaluation de la priorité visuelle ». Chaque professionnel a évalué un seul cas clinique. Via le questionnaire, les professionnels devaient définir « le niveau de priorité du patient dans la zone de triage des urgences en attribuant un numéro allant de 1 (urgence vitale nécessitant des soins immédiats) à 5 (urgence relative pouvant attendre au moins 2 heures pour des soins). »

« Certains militants politiques ou médias cherchent en permanence, à opposer les personnes blanches aux personnes non blanches. »

Les niveaux 1 et 2 nécessitaient une prise en charge en urgence vitale, et les niveaux 3 à 5, étaient associés à une prise en charge en urgence non vitale. Les professionnels devaient aussi évaluer la douleur du patient sur une échelle de 0 à 10. 0 représentant une absence de douleur et 10, une douleur maximale. Les résultats de l’étude ont montré une différence de prise en charge entre les hommes et les femmes, ainsi qu’entre les personnes noires et les personnes à l’apparence ethnique non noire. Si l’on regarde l’ensemble de l’étude, les personnes ayant été prises en charge prioritairement étaient les hommes à l’apparence nord-africaine (70,3 % ont été classés en urgence vitale 1 ou 2, contre 63,3 % pour les hommes blancs, 62 % pour les hommes asiatiques et 52,7 % pour les hommes noirs) et celles qui ont été classées comme les moins prioritaires ont été les femmes noires (42,1 % ont été classées en urgence vitale 1 ou 2).

Et si l’on prend en compte l’ensemble des cas cliniques (hommes et femmes), ce sont les personnes d’apparence nord-africaine qui ont été classifiées comme étant le plus en urgences vitales (13 % en niveau 1, 61 % en prenant en compte le niveau 1 et 2), puis les personnes d’apparence blanche (11,1 % en niveau 1 et 58 % en prenant en compte le niveau 1 et 2) et d’apparence asiatique (11,2 % en niveau 1 et 55 % en prenant en compte le niveau 1 et 2) et pour terminer les personnes d’apparence noire (10,6 % en niveau 1 et 47 % en prenant en compte le niveau 1 et 2). Concernant l’intensité de la douleur, celle-ci était évaluée en moyenne à 5,5 pour les personnes à l’apparence ethnique blanche et noire, et à 5,9 pour les personnes à l’apparence ethnique nord-africaine et asiatique.

Chaos identitaire

Cette étude montre donc que ce sont les personnes à l’apparence maghrébine qui ont été prises en charge prioritairement aux urgences, pourtant on pouvait lire dans de nombreux médias (dans Libération par exemple) que l’étude montrait que c’étaient les blancs qui étaient prioritaires par rapport aux personnes « racisées ». Il est important de préciser que les personnes maghrébines sont considérées comme « racisées ». On voit bien ici, que certains militants politiques ou médias cherchent en permanence, dans n’importe quel domaine, à opposer les personnes blanches aux personnes non blanches. Ils font leur business dans la recherche du conflit identitaire en expliquant à qui veut l’entendre, que toutes les personnes racisées sont fragiles et opprimées et que toutes les personnes blanches ne sont que des tyrans en puissance.

« Cette étude est intéressante mais elle ne montre en aucun cas qu’un racisme systémique sévit dans les services des urgences. »

Dans les « limites » de l’étude, les chercheurs ont mis en avant que « malgré la standardisation des requêtes utilisées pour générer les images (via l’IA), l’apparence des huit caractères (indice de masse corporelle, position, grimace et regard) n’était pas la même, ce qui pouvait influencer l’évaluation de la priorité et surtout le niveau de douleur. » On est ici clairement dans une étude qui se base sur des images de patients virtuels aux aspects différents, ce qui peut avoir un impact non négligeable sur les réponses aux questionnaires par les professionnels de santé.

A LIRE AUSSI : "Discriminations systémiques", "ségrégation ethnique" : pourquoi le dernier rapport du Défenseur des droits marque un tournant

De plus comme indiqué dans l’étude, l'Afrique du Nord, l'Asie centrale et l'Europe centrale présentent un risque cardiovasculaire plus élevé par rapport à l'Afrique subsaharienne. Cela a pu avoir un impact chez les répondants en fonction de leur expérience. Il est aussi important d’indiquer que les chercheurs n’ont pas voulu poser de questions sur l'origine ethnique des répondants (par crainte que trop de professionnels refusent de répondre à l’enquête). Cet élément aurait été intéressant à connaître pour analyser les possibles problématiques de discriminations plus en profondeur.

Cette étude est intéressante mais elle ne montre en aucun cas qu’un racisme systémique sévit dans les services des urgences au profit des personnes blanches. Ceux qui à gauche comme à droite cherchent en permanence à tout racialiser pour valider leur idéologie, ne font qu’opposer les Français les uns contre les autres. Tout cela ne pourra aboutir qu’à un chaos identitaire ou le communautarisme exacerbé primera sur le vivre ensemble.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne