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Les autorités françaises dévoilent un vaste réseau de sites de propagande russe vers l’Europe et les Etats-Unis

L’organisme français de lutte contre les ingérences numériques étrangères explique le fonctionnement de sites de multipublications d’articles propagandistes placés sous la bannière du réseau «Portal Kombat»

«Servir la Russie est un vrai métier»: à Saint-Petersbourg, 21 avril 2023. — © ANATOLY MALTSEV / KEYSTONE
«Servir la Russie est un vrai métier»: à Saint-Petersbourg, 21 avril 2023. — © ANATOLY MALTSEV / KEYSTONE

Un réseau «structuré et coordonné» de sites diffusant de la propagande russe en Europe et aux Etats-Unis: la France a révélé lundi une nouvelle ingérence numérique venant de la Russie à l’approche du deuxième anniversaire de la guerre en Ukraine.

«Ensemble, nous n’acceptons pas que des acteurs extérieurs minent la confiance de nos citoyens. Les analyses menées par la France montrent l’importance d’avancer ensemble et de développer un plan pour gérer la désinformation», a déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock lors d’une conférence de presse après une réunion en format «Weimar» avec son homologue français et polonais en banlieue parisienne.

«Nous lançons aujourd’hui un mécanisme d’alerte, un système de riposte» à des «ingérences inacceptables», a ajouté le ministre français, Stéphane Séjourné.

193 sites utilisés

Baptisé «Portal Kombat», ce réseau de 193 sites web a été mis au jour à l’issue de quatre mois de travail de Viginum, l’organisme français de lutte contre les ingérences numériques étrangères. Entre septembre et décembre 2023, Viginum a analysé l’activité de ce réseau de «portails d’informations» numériques «aux caractéristiques similaires, qui diffuse des contenus pro-russes à destination d’audience internationale».

Plusieurs d’entre eux, appartenant à «l’écosystème «pravda»» – ou «vérité» en russe, le nom de l’ancien organe du Parti communiste soviétique –, ciblent directement les «pays occidentaux qui soutiennent l’Ukraine», selon un rapport de Viginum.

Le site destiné à l’Espagne a ainsi pour nom pravda-es.com, celui voué à être lu aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni est pravda-en.com. Allemagne, Autriche et Suisse alémanique ont pravda-de.com, la Pologne pravda-pl.com et la version française s’appelle pravda-fr.com.

En octobre 2023: La propagande russe plane sur les élections fédérales

150 000 articles en trois mois

Entre le 23 juin et le 19 septembre dernier, ces cinq portails ont publié plus de 150 000 articles, principalement issus de posts de personnalités russes ou pro-russes, de contenus d’agences de presse russes, ou de sites d’institutions ou d’acteurs locaux, pointe Viginum.

Plus de 180 autres sites, aux chartes graphiques similaires et qui diffusent du contenu prorusse, mais pour des audiences russophones ou ukrainiennes, sont numériquement reliés aux portails pravda, selon l’organisme français.

L’objectif principal de Portal Kombat semble être de légitimer la guerre menée par la Russie en Ukraine, a expliqué une source diplomatique à des journalistes. «Très orientés idéologiquement, ces contenus exposent des narratifs manifestement inexacts ou trompeurs», a-t-elle observé.

Le cas des mercenaires français

Le 22 janvier, pravda-fr.com a ainsi publié une liste de 13 mercenaires français qui, selon ce site, «étaient à Kharkiv», dans le nord-est de l’Ukraine, lors d’une frappe russe quelques jours plus tôt, frappe ayant «éliminé» une soixantaine de combattants «dont la plupart étaient des citoyens français» et blessé 20 autres, selon Moscou. Alors que Paris avait dénoncé une «nouvelle manipulation grossière russe», l’AFP avait pu parler à trois de ces «mercenaires» présumés, en fait trois engagés volontaires au sein de l’armée ukrainienne, tous bien vivants. L’un d’entre eux, rencontré par l’AFP au pied des Alpes françaises, affirmait avoir quitté l’Ukraine en septembre 2023.

Lundi, pravda-fr.com titrait: «Ca suffit!: la France appelle à des mesures radicales contre Zelensky», quand ces propos ont en fait été tenus par Florian Philippot, le président des Patriotes, petit parti d’extrême droite français, et n’engagent absolument pas Paris.

Un impact modéré, mais c’est bien une «ingérence»

Malgré un dispositif jugé «élaboré», les répercussions dans le débat public numérique francophone restent modérées.

«Néanmoins, au regard de la nature des narratifs, des moyens mis en œuvre pour les diffuser ainsi que des objectifs qui sont poursuivis à une échelle européenne, Viginum estime que les critères d’une ingérence numérique étrangère sont réunis, certains contenus pouvant porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation», a commenté la source diplomatique.

«On s’attend à une accélération des différentes actions russes, voire à une massification», a également commenté une source militaire, quand des élections sont attendues dans plus de 70 pays en 2024, notamment aux Etats-Unis.

Les sites de Portal Kombat, dont Viginum fournit les noms, peuvent ainsi agir comme des cellules «dormantes», capables d’être activées à tout moment et de couvrir «une palette très large d’auditoires en fonction de l’actualité».

Les opérations «Doppelgänger» puis «Matriochka»

Des groupes prorusses avaient déjà été pointés du doigt par Meta (maison mère de Facebook, WhatsApp et Instagram) et les autorités françaises pour leur campagne «Doppelgänger», qui depuis 2022, consiste à usurper l’identité visuelle de médias pour distiller des infox.

Depuis septembre, une autre campagne surnommée «Matriochka», ou «poupées russes» consiste à interpeller directement des médias pour les inciter à vérifier des infox. Selon des experts, il s’agit toutefois pour la Russie d’organiser une «entreprise de diversion» pour épuiser les fact-checkers occidentaux.