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Traite des êtres humains : l’ampleur du phénomène, ses formes, son évolution et les moyens de lutte

La traite des êtres humains figure parmi les crimes les plus graves et connaît une évolution inquiétante. Le nombre des poursuites ne cesse d’augmenter depuis 2017, même si la pandémie de Covid-19 a provisoirement freiné l’évolution du phénomène. Pas moins de 153 personnes, dont 40% de femmes, ont fait l'objet de poursuites entre 2021 et 2022. Les formes de ce crime, l’arsenal juridique prévu pour le contrer, les meilleurs moyens de lutte et le rôle de sensibilisation que les journalistes sont appelés à jouer ont été au cœur d’un atelier de formation initié en partenariat avec l’ONU.

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La traite des êtres humains est un fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur, revêtant des formes multiples, comme l’exploitation sexuelle, le travail forcé ou la mendicité. Selon les dernières statistiques, le Maroc n’échappe pas à cette tendance préoccupante avec une augmentation constante du nombre de poursuites depuis 2017. Face à ce phénomène complexe qui porte atteinte aux droits fondamentaux, une riposte globale s’impose. C’est dans cette optique qu’une formation a été organisée, les 8 et 9 février à Marrakech, pour permettre aux journalistes, acteurs incontournables de la sensibilisation, de mieux cerner cette problématique, à l’initiative de la Commission nationale chargée de la coordination des mesures ayant pour but la lutte et la prévention de la traite des êtres humains (CNCLT), en partenariat avec le bureau du Maroc de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

>>Lire aussi : Traite des êtres humains : la commission nationale appelle à signaler les cas suspects

Des chiffres qui interpellent sur l’ampleur du phénomène de traite des êtres humains

Selon les dernières statistiques, 153 personnes ont été poursuivies pour traite d’êtres humains entre 2017 et 2022, dont 40% de femmes. Les victimes sont principalement des femmes et des enfants. Bien que le durcissement de l’arsenal juridique et la sensibilisation du public aient permis de mieux de limiter l’ampleur de ce fléau, les défis à relever restent nombreux. Le magistrat Mohammed Chabib, chef de la section de la protection de la famille et des catégories spéciales au ministère public, a fait le point sur les dernières statistiques concernant la traite des êtres humains lors de cet atelier de formation. Il a indiqué que sur les 153 personnes poursuivies entre 2017 et 2022, on dénombre 142 adultes et 11 mineurs. On dénombre aussi 92 hommes et 61 femmes parmi les mis en cause. La majorité des victimes sont des femmes et des enfants. M. Chabib a également souligné la forte proportion de femmes (40%) parmi les suspects. En effet, de nombreux cas de traite à des fins d’exploitation sexuelle impliquent des femmes, notamment dans le recrutement des victimes.

Selon le responsable judiciaire, ce phénomène criminel est en constante augmentation, malgré un tassement en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19. Les deux dernières années ont connu une hausse marquée du nombre de poursuites pour traite d’êtres humains. Cette tendance s’explique par une propension accrue des victimes à porter plainte, ainsi que par la vigilance renforcée des autorités dans la lutte contre ce fléau. Cependant, cette augmentation des statistiques de la traite des êtres humains ne signifie pas nécessairement une hausse du nombre de cas, mais peut tout simplement indiquer une amélioration de la détection des victimes par les autorités, nuance Siham Al Figuigui, la directrice du Bureau de l'UNODC au Maroc. «Il est probable que l'on ne détecte encore que la partie émergée de l'iceberg et que de nombreuses victimes et coupables restent dans l'ombre. Les statistiques d'évolution sont donc à interpréter avec prudence», souligne-t-elle.

L'essentiel, insiste-elle, réside dans la prise de conscience collective de cette problématique. «Si les observateurs s'approprient la notion de traite des êtres humains et en maîtrisent les aspects techniques, nous aurons accompli une part importante du travail. Nous disposerons alors d'acteurs alertes, avec un regard objectif et les outils nécessaires pour analyser ce phénomène, détecter les victimes et avoir les bons réflexes», plaide la responsable onusienne.

Une mobilisation renforcée des autorités

Conscient de l’acuité de ce fléau, le Maroc a significativement durci son arsenal juridique avec l’adoption de la loi 27.14 en 2016. Celle-ci comporte des dispositions pour prévenir la traite, assister les victimes et réprimer sévèrement les trafiquants. Le parquet général poursuit le renforcement des capacités du réseau de procureurs spécialisés dans la lutte contre la traite des êtres humains. Un numéro vert pour le signalement des cas potentiels a également été mis en place. En 2022, 34 signalements transmis par le comité national de lutte contre la traite des êtres humains ont donné lieu à l’ouverture d’enquêtes. Les défis restent néanmoins nombreux, dans un contexte de porosité des frontières et de situations de grande vulnérabilité exploitées par les réseaux criminels. Seule une approche globale, impliquant tous les acteurs de la société, permettra de venir à bout de ce fléau.

Une exploitation à dominante sexuelle

Par ailleurs, selon les intervenants lors de cet atelier, l’exploitation sexuelle arrive largement en tête des formes d’exploitation constatées au Maroc, à l’instar des tendances mondiales. Viennent ensuite le travail forcé, l’exploitation pour la mendicité et les situations de servitude pour dettes ou d’esclavage domestique. Les cas de prélèvement d’organes, d’expérimentation médicale ou de participation forcée à des conflits armés demeurent extrêmement rares.

La loi 27.14 adoptée en 2016 en la matière a permis de mieux appréhender ce phénomène criminel complexe, en le définissant précisément et en prévoyant des circonstances aggravantes. Toutefois, la distinction avec le trafic illicite de migrants reste floue auprès de l’opinion publique. Or il s’agit de deux infractions distinctes : la traite implique une exploitation continue de la victime, tandis que le trafic de migrants prend fin une fois la frontière franchie.

Le rôle crucial des médias dans la sensibilisation

Les intervenants lors de l’atelier ont beaucoup insisté sur le rôle primordial des médias dans la sensibilisation de l’opinion publique aux dangers de la traite des êtres humains. À travers des reportages, des émissions et des campagnes de communication, les journalistes peuvent contribuer à libérer la parole des victimes et dissuader les réseaux criminels. Le suivi médiatique des procès et le relais des condamnations prononcées participent également à la mise en lumière de ce phénomène opaque et à la dissuasion des trafiquants. La vigilance s’impose néanmoins dans le choix des termes, afin de ne pas assimiler traite d’êtres humains et trafic de migrants.

Le devoir d’informer sans stigmatiser

Abdessamad Moutei, directeur-adjoint de l’Institut supérieur de l’information et de la communication, a souligné dans ce sens l’importance de cet atelier en indiquant que l’ouverture de la justice aux médias participe à l’enracinement des principes démocratiques et au renforcement du rôle des institutions étatiques. Les journalistes, estime-t-il, ont le devoir, dans le cadre de leur responsabilité sociale, de s’emparer de sujets de société majeurs comme la traite des êtres humains et le trafic de migrants. Ils peuvent nourrir le débat public et contribuer à la sensibilisation grâce à leur traitement médiatique. Toutefois, rappelle-t-il, il convient d’éviter les amalgames ou la stigmatisation, et de toujours traiter ces phénomènes dans leur complexité, en donnant la parole à toutes les parties prenantes. L’éradication de ces fléaux nécessite une mobilisation conjointe de la justice, des services sociaux et des médias.

Ainsi, à l’issue de l’atelier, plusieurs recommandations ont été formulées pour impliquer davantage les médias dans le développement de la conscience collective sur les dangers de la traite et l’importance de signaler les cas potentiels de victimes. La lutte passe par le courage d’informer sans stigmatiser. Grâce à des reportages fouillés et des analyses nuancées, les médias peuvent éveiller les consciences sans céder aux facilités sensationnalistes. Leur mobilisation aux côtés de la justice et des ONG sera déterminante pour venir à bout de ce fléau.

Les journalistes, acteurs majeurs dans la lutte contre la traite des êtres humains

La formation organisée, les 8 et 9 février à Marrakech avait pour objectif de permettre aux journalistes, acteurs incontournables de la sensibilisation, de mieux cerner le phénomène de la traite des êtres humains. Elle s'inscrit dans le cadre des efforts déployés sous la supervision de la CNCLT, en application du Plan d’action stratégique national de mise en œuvre pour 2023-2026, afin d'assurer un meilleur engagement des médias en tant qu'acteurs clés dans le domaine de la prévention et de la sensibilisation aux dangers du crime de la traite des êtres humains. La formation a bénéficié à des représentants des médias, en partenariat avec l'association «Ilamiyi Adala» (Association des Journalistes Judicaires), en tant qu’instance rassemblant des professionnels des médias qui travaillent, depuis la création de l'association en 2014, sur les volets juridique et des droits humains.

Des experts nationaux et internationaux sont intervenus pour renforcer les capacités des professionnels des médias dans le traitement des sujets ayant trait à la traite des êtres humains et au trafic de migrants. Clarification des définitions, distinction entre ces deux phénomènes, présentation du cadre légal marocain et réflexion sur le rôle des médias dans la sensibilisation de l’opinion, autant d’enjeux liés à cette formation. «L’objectif est de permettre aux journalistes d’appréhender ces questions complexes de manière éclairée, avec la terminologie adaptée, tout en évitant les amalgames ou les raccourcis. En effet, il s’agit d’un sujet important, étant donné que la traite d’êtres humains, notamment à des fins d’exploitation sexuelle, est un phénomène criminel qui ne cesse de prendre de l’ampleur au Maroc», a indiqué, à cette occasion, Sofana Ben Yahya, la coordinatrice de la Commission nationale de coordination des mesures de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains.
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