Être agriculteur, une liberté « très cher payée »

Pas de 35 heures, de week-ends ou de vacances… En travaillant sept jours sur sept, avec des journées à rallonge et un rythme épuisant, nombre d’agriculteurs ne gagnent même pas l’équivalent d’un Smic, voire flirtent avec le seuil de pauvreté.

Nombre d’agriculteurs ne gagnent même pas l’équivalent d’un Smic.
Nombre d’agriculteurs ne gagnent même pas l’équivalent d’un Smic. (Illustration Lionel Le Saux/Le Télégramme)

    Selon l’Insee, près d’un ménage agricole sur cinq vit sous le seuil de pauvreté (1 737 € pour un couple sans enfant en 2021). Voici les témoignages de trois exploitants qui peinent à joindre les deux bouts.

  • 1 « Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir », affirme Elizabeth Miorin, 51 ans

  • Élevée à la campagne en Argentine entre vaches et chevaux, Elizabeth Miorin n’envisageait pas de travailler entre quatre murs. Devenue agricultrice bio à Villaudric (Haute-Garonne), « une liberté très cher payée », cette maraîchère de 51 ans cherche une voie alternative ou complémentaire à son activité qui lui rapporte moins de 700 € par mois. « Ça fait 14 ans que je galère, je travaille comme un tracteur, des heures à genoux dans le froid ou la chaleur extrême. L’été, il fait parfois 50 °C dans la serre. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir », témoigne-t-elle.

    C’est beaucoup de sacrifices pour pas grand-chose

    « Je n’ai pas vu mes enfants grandir, on ne prenait même pas de week-ends car je faisais les marchés. C’est beaucoup de sacrifices pour pas grand-chose », poursuit l’agricultrice qui n’a pas de loyer à payer et vit, notamment, grâce au salaire de son mari, manutentionnaire et entraîneur de rugby.

    Ses légumes, cultivés dans une serre de 2 000 m² et un champ de 4 000 m², elle les vend exclusivement sur un marché toulousain. « Les cinq premières années, je ne gagnais quasiment rien », se souvient-elle. Ses dettes remboursées, elle veut lever le pied sur le maraîchage : « Je travaille sur un projet de gîtes à la ferme et je me forme en parallèle pour travailler avec les chevaux et faire de l’équithérapie ».

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  • 2 « On pousse les gens à surinvestir », insiste Beñet Etcheto, 41 ans

  • Dans l’agriculture, « on pousse les gens à surinvestir, à produire toujours davantage. C’est un cercle vicieux dans lequel j’essaie de ne pas tomber ». Installé à Saint-Just-Ibarre, dans les montagnes basques, Beñet Etcheto, 41 ans, a repris, en 2005, l’exploitation d’un grand-oncle. Il y élève plus de 200 brebis laitières et une vingtaine de Blondes d’Aquitaine.

    Il vend son lait au prix d’1,37 € le litre à une coopérative qui produit du fromage AOP Ossau-Iraty. « Je gagnerais bien plus en produisant moi-même mon fromage, mais avec la surcharge de travail que j’ai, c’est impossible », explique-t-il. Ce père de deux enfants, qui fait des journées de plus de 10 heures, vend également une dizaine de veaux par an.

    En remboursant annuellement quelque 19 000 € de crédit pour des investissements sur sa « petite exploitation », il lui reste à peine l’équivalent d’un Smic pour vivre, en plus du salaire d’enseignante de sa compagne. « On a subi l’inflation de plein fouet. On vit avec pas grand-chose, on essaie d’être au maximum autonome au niveau de l’alimentation. On a notre lait, notre viande, notre jardin, on n’achète quasiment rien », explique-t-il.

  • 3 « Une année de plus comme ça et j’arrête », lance Angélina Turani, 34 ans

  • « Ça fait trois ans que je fais une très mauvaise saison. Une année de plus comme ça et j’arrête », tranche Angélina Turani, 34 ans, apicultrice à Brouqueyran (Gironde) depuis neuf ans. Avec près de 400 ruches et des journées de travail pouvant s’étendre de 4 h à 22 h, il ne lui reste qu'« entre 7 000 € et 10 000 € par an pour vivre ». Soit entre 580 € et 830 € mensuels.

    Sans le salaire de son compagnon, employé dans un abattoir, la jeune mère de famille ne s’en sortirait pas. « Qui accepte ça ? Le problème, c’est que c’est un métier passion, qui se transmet de génération en génération, ce n’est que pour ça qu’on continue », estime celle qui a suivi les traces de son père.

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    Elle vend son or jaune à un négociant, qui fixe lui-même le prix : entre 4 € et 8 € le kg. Vendu ensuite au consommateur à environ 20 € le kg. « Pour m’en sortir, il faudrait que je puisse vendre mon miel à 12 € le kg ». « L’autre jour, mon père m’a dit : “Je n’aurais jamais dû t’installer, tu aurais dû rester ouvrière”. C’est triste, ça me donne envie de pleurer », confie Angélina Turani.

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