De jeunes Palestiniens tentent d'obtenir l'autorisation de quitter la bande de Gaza depuis le poste frontière de Rafah avec l'Égypte (photo de septembre 2019). Crédit : DW
De jeunes Palestiniens tentent d'obtenir l'autorisation de quitter la bande de Gaza depuis le poste frontière de Rafah avec l'Égypte (photo de septembre 2019). Crédit : DW

Cent-cinquante Palestiniens travaillant pour l’administration française à Gaza ont été évacués de l’enclave palestinienne par la France ces derniers mois. Mais depuis leur arrivée dans l’Hexagone, ces Gazaouis enchaînent les déceptions. Le plus compliqué à vivre pour eux est l’absence de statut administratif particulier qui aurait pu leur être accordé. Ils doivent, comme les autres exilés, déposer une demande d’asile. Avec le risque de devenir réfugié et de ne jamais pouvoir rentrer dans leur pays.

Lundi 12 février, Paris a annoncé l’évacuation de 42 personnes de la bande de Gaza via le point de passage de Rafah vers l’Égypte : des ressortissants français, des résidents français ou encore des Gazaouis collaborateurs de l’Institut français, avec les membres de leurs familles.

Quelques jours plus tôt, un professeur qui collaborait depuis 20 ans avec l’Institut français de Gaza est décédé de maladie faute de traitement du fait des "conditions sanitaires catastrophiques" sur place, selon des sources diplomatiques citées par l’AFP.

En novembre dernier, Paris avait déjà fait évacuer un autre groupe de l’enclave palestinienne en proie à de violents bombardements de l’armée israélienne après l’attaque du Hamas le 7 octobre.

Au total depuis cette date, plus de 200 personnes, dont 150 Palestiniens, ont été sorties de Gaza par les autorités françaises. Elles ont ensuite été accueillies côté égyptien par l’ambassade de France et le Consulat général de France au Caire. Puis, elles ont été transférées sur le sol français.

Demander l’asile, une mesure à la fois nécessaire et symbolique qui pose question

C’est le cas de Yasmine*, venue avec ses enfants grâce à un visa C (tourisme) de trois mois, délivré par les autorités françaises en Égypte. À son arrivée à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle en novembre, cette femme d’une quarantaine d’années est prise en charge par l’association mandatée par l’État, France Horizons.

Très vite, sa direction l’informe qu’elle va devoir déposer une demande d’asile dans le pays, comme n’importe quel exilé. Une mesure qui interroge. Jusque-là, selon les témoignages, la France délivrait le statut de réfugié généralement aux Palestiniens victimes de persécution en raison de leur orientation sexuelle ou à ceux menacés par le Hamas.


Une école de l'Unrwa bombardée par l'armée israélienne, à Gaza city, le 19 février 2024. Crédit : Reuters
Une école de l'Unrwa bombardée par l'armée israélienne, à Gaza city, le 19 février 2024. Crédit : Reuters


"Sur quel fondement les autorités vont accorder leur protection à ces personnes ? Je ne comprends pas", déclare à InfoMigrants Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers. L'avoué fait là référence aux critères de la convention de Genève qui régit le droit d'asile, et qui précise les critères d'éligibilité à une protection (persécutions pour l'engagement politique, pour l'appartenance religieuse, ethnique, l'orientation sexuelle, etc.).

Évacuée avec Yasmine de Gaza, Rim* n’a pas non plus eu le choix. "On m’a dit que je devais déposer un dossier" à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour être en règle. En effet, le visa tourisme expire au bout de trois mois et ne permet pas de demander un titre de séjour dans la foulée.

"La Palestine est mon pays et je veux y vivre"

La seule solution apportée par la France aux Palestiniens est donc de devenir réfugié ici. Or, "cela signifie que je ne pourrais jamais rentrer chez moi. Mais la Palestine est mon pays et je veux y vivre", insiste Rim.

Yasmine partage le même avis : "Je ne veux pas être réfugiée, j’ai un passeport, un pays, une maison", explique celle qui espère rentrer à Gaza "une fois la guerre finie".

Avoir l’asile peut entraîner des répercussions dans l’avenir. Lorsqu’une personne obtient le statut de réfugié en France, l’administration récupère son passeport et le réfugié n’a plus le droit de retourner dans son pays d’origine. S’il le fait, il perd la protection de la France et a peu de chance d’obtenir à l’avenir un autre visa pour venir sur le sol français, pour des raisons professionnelles par exemple.

A lire aussi
Gazaouis de Turquie : "Nous n’avons plus de papiers ici, et nous ne pouvons pas rentrer à Gaza, où irons-nous ?"

Stéphane Maugendre fustige un procédé "honteux". "Quand on exfiltre ces gens, on va au bout du raisonnement. Le gouvernement a un pouvoir d’appréciation totale donc il pourrait très bien délivrer à ces Gazaouis évacués par ses services un titre de séjour pour raisons humanitaires [valable un an renouvelable, ndlr]. Vraisemblablement, les autorités françaises ne veulent pas leur donner un titre de séjour qui leur permettrait de prolonger leur séjour et éventuellement faire des allers retours en Palestine", estime l’avocat.

Contacté à plusieurs reprises par InfoMigrants, le cabinet du ministère de l’Intérieur Gérald Darmanin a finalement répondu qu’il ne souhaitait pas "communiquer" sur cette affaire.

"On pensait qu’on serait traité comme les Ukrainiens"

La plupart des Palestiniens s’étonnent de ce traitement qui leur est réservé. Evacués par la France, ils espéraient un meilleur accueil dans le pays. "Je suis choquée et triste", affirme Yasmine. D’autant que d’après plusieurs témoignages, on leur a promis un statut spécial en France afin de pouvoir retourner légalement à Gaza à la fin de la guerre.

"On pensait qu’on serait traité comme les Ukrainiens, mais tout le monde se ‘fout’ de nous", peste Rim. En 2022, lors de l’offensive russe en Ukraine, l’Union européenne avait mis en place une mesure particulière pour les Ukrainiens fuyant la guerre : la protection temporaire. Ce titre de séjour, prolongé jusqu’en 2025, permet aux quatre millions d’Ukrainiens vivant en Europe de résider en toute légalité dans les États membres, de travailler, d’accéder aux systèmes de santé et de scolarisation.


Des Gazaouis viennent récupérer des sacs de farine distribués par une ONG, à Gaza city, le 19 février 2023. Crédit : Reuters
Des Gazaouis viennent récupérer des sacs de farine distribués par une ONG, à Gaza city, le 19 février 2023. Crédit : Reuters


Ce statut particulier n’a jamais été octroyé à d’autres nationalités, pourtant également en proie à des conflits comme les Afghans, les Syriens ou récemment les Palestiniens.

Les Gazaouis évacués se plaignent également de leurs conditions de vie en France. Sur les 150 Palestiniens arrivés ces derniers mois, 60 ont intégré le dispositif national d’accueil (DNA), d’après les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Ils sont donc logés dans des centres d’accueil souvent dans des petites communes, éloignés des centres-villes. "Je dois marcher un certain temps pour croiser des gens ou accéder à un commerce", assure Khaled*, joint par InfoMigrants. "Je m’ennuie, je n’ai rien à faire de mes journées".

Niveau financier aussi, les difficultés s’accumulent. Leur salaire est - pour l’instant - toujours versé par la France mais cet argent repose dans une banque palestinienne, inaccessible sur le sol français. Ils vivent donc de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), qui s’élève à quelques centaines d’euros. Trop peu pour subvenir aux besoins de toute la famille, disent-ils. Le Comité national de soutien et d’accueil aux rescapé.e.s du génocide en Palestine (CNaSAR) récolte un peu d’argent pour aider les Palestiniens évacués à s’acheter de la nourriture ou des vêtements.

Un quotidien qui contraste avec la vie à Gaza de cette classe moyenne. "Il y a cinq mois, j’étais salariée et maintenant, je reçois des allocations", résume amèrement Rim.

*Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

 

Et aussi