Gravure représentant des Irlandais souffrant de la famine dans les années 1840 ©Getty - Ann Ronan Pictures/Print Collector
Gravure représentant des Irlandais souffrant de la famine dans les années 1840 ©Getty - Ann Ronan Pictures/Print Collector
Gravure représentant des Irlandais souffrant de la famine dans les années 1840 ©Getty - Ann Ronan Pictures/Print Collector
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La grande famine irlandaise a décimé plus d'un dixième de la population au milieu du 19e siècle. La passivité coupable du Royaume-Uni dans cet épisode a laissé une trace importante dans la mémoire des Irlandais, complétée et nuancée par le travail des historiens au fil du temps.

Avec
  • Fabrice Bensimon, professeur d’histoire et de civilisation britanniques à l'université Paris-Sorbonne, membre du Centre d’Histoire du XIXe siècle (Paris 1- Paris 4)
  • Karina Bénazech Wendling, historienne de l'Irlande et du protestantisme, maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine

Les bornes chronologiques sont précises : de 1845-1846 à 1851. Le nombre de victimes est sidérant : plus d’un million de morts. Au milieu du 19e siècle, la famine en Irlande est une catastrophe qui frappe les esprits : les Irlandais et les Irlandaises, qui ne mangent que des pommes de terre, n’ont plus rien à se mettre sous la dent quand la maladie frappe les récoltes. L’analyse est bien sûr trop simpliste pour expliquer l’ampleur de la famine en Irlande. Dès lors, la chronologie s’élargit, car la grande famine demeure, aujourd’hui encore, une mémoire douloureuse.

Cinq années de famine

Quand le mildiou fait son apparition en 1845, cinq années de famine s'annoncent pour l'Irlande. Ces champignons ravagent les récoltes de pommes de terre dont dépendent entièrement les Irlandais les plus pauvres. Un million d'entre eux meurent de la famine ou des maladies qu'elle provoque. Un autre million quitte le pays pour rejoindre l'Amérique du Nord, la Grande-Bretagne, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. D'après Fabrice Bensimon, "l'émigration devient l'horizon pour l'essentiel des familles irlandaises. Cela concerne peut-être 2 millions de personnes en une décennie, ce qui, rapporté à une population qui était de 8 millions d'habitants avant la famine, est tout à fait colossal. La population d'Irlande n'a jamais retrouvé son niveau d'avant la famine." Pour Karina Bénazech Wendling, l'émigration "est vue comme une solution au problème de l'Irlande. C'est encouragé notamment par le clergé, et même le clergé catholique, qui encourage les gens à chercher des solutions ailleurs."

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Le gouvernement britannique jugé responsable

L'hécatombe s'arrête au début des années 1850, laissant des images macabres encore présentes dans la mémoire irlandaise : celle des coffin ships, bateaux mortels sur lesquels les exilés traversaient l'océan Atlantique, celle des workhouses, des "maisons de travail" où les affamés s'épuisaient pour quelques sous. D'après Fabrice Bensimon, "la grande famine en Irlande, c'est un peu la première famine médiatisée. Si vous êtes à Londres ou à Paris, il y a des journaux avec des reportages de journalistes et de dessinateurs sur place qui font des dessins très saisissants de la détresse des Irlandais. (...) C'est un événement qui est connu. Et c'est aussi ça qui souligne le caractère terrible de la politique britannique. Le gouvernement britannique ne peut pas plaider l'ignorance en la matière." L'épisode est synonyme de passivité coupable du Royaume-Uni, qui, selon le discours nationaliste irlandais, a laissé l'île voisine dépérir. Laissant place à plus de nuances depuis cent cinquante ans, la question de la responsabilité britannique fait encore l'objet de débats et de travaux. Karina Bénazech Wendling insiste : "Il y a eu beaucoup de débats historiographiques sur la responsabilité britannique et sur les conflits entre les deux nations. Mais, pour la résolution du conflit nord-irlandais, le travail de déconstruction et de reconstruction d'une mémoire historique, et non pas nationaliste, est important. La complexité de la situation sur le terrain entre protestants et catholiques aiderait à la résolution du conflit."

À écouter

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59 min

Pour en savoir plus

Karina Bénazech Wendling est historienne de l'Irlande et du protestantisme, maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine. Elle a notamment écrit l'article “De la charité religieuse au contrôle séculier de l’État. L’impact des sociétés philanthropiques protestantes en Irlande, 1818-1869”, Histoire de l’Éducation, n°155, 2021/1, Lyon, ENS Éditions, pp. 167-195.

Fabrice Bensimon est professeur d’histoire de la Grande-Bretagne à Sorbonne Université. Il est notamment coauteur de La Grande Famine en Irlande (avec Laurent Colantonio), Presses universitaires de France, 2014.

Références sonores

Archives et extraits de film :

  • Archive sur le mildiou, RTF, 1953
  • Extrait du film Gangs of New York de Martin Scorsese, 2002

Lectures :

  • Lecture d'un extrait de Famine de Liam O'Flaherty (1937), France Culture, 7 novembre 1985
  • Lecture par Thomas Beau d'un article de la Gazette de France, 15 septembre 1846
  • Lecture par Mathieu Coppalle d'une lettre de l'administrateur colonial Charles Trevelyan adressée au Lord Monteagle of Brandon, le 9 octobre 1846
  • Lecture par Jeanne Coppey d'un témoignage de Bridget O'Donnel, une femme victime d'une expulsion, dans The Illustrated London News en 1849
  • Lecture par Tom Umbdenstock d'un texte de Stephen de Vere, propriétaire philanthrope et réformateur social du Limerick, sur la traversée des émigrants irlandais en 1847

Chanson : Fields of Athenry par The Barleycorn, 1979

Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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