Michel Barnier : l’extrême droite veut encore et toujours sortir de l’Union européenne

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Q&R Une interview pour fournir une perspective pertinente, éditée pour plus de clarté et non entièrement vérifiée.

Michel Barnier a représenté contre monts et marées les intérêts des 27 capitales européennes au Royaume-Uni, figure stoïque au sourire rare mais que les petites phrases - « the clock is ticking ! » (« l’heure tourne ») - ont fini par rendre connu tant à Bruxelles qu’outre-Manche. [SERGIO PEREZ/EPA-EFE]

Ne nous méprenons pas : l’extrême droite européenne, sous un voile d’acceptabilité, reste prête à détricoter l’Union européenne pour en faire un « simple syndicat international », a affirmé Michel Barnier lors d’un entretien avec Euractiv France mardi (20 février).

Les « Frexits », « Nexits » et autres « Grexits » ne sont peut-être plus au cœur des discours nationalistes européens, mais tous continueraient de partager la même volonté de sortir du bloc européen, à l’instar du Brexit il y a presque neuf ans de cela, selon M. Barnier.

« Ils savent que les Européens ne les suivraient pas, mais […] au fond d’eux-mêmes, ils n’ont pas changé de convictions : ce sont toujours des [partis] qui veulent transformer l’Union européenne en un simple syndicat international », souligne-t-il.

M. Barnier n’est pas né de la dernière pluie. Deux fois commissaire européen, quatre fois ministre, 15 ans député de Savoie, ancien sénateur et même candidat à la primaire de la droite en 2022, il a clos son aventure européenne en devenant négociateur en chef, en charge du Brexit, entre 2016 et 2021, rattaché à la Commission européenne.

Il a été nommé à la tête de cette « Taskforce 50 » le même jour où Theresa May, alors Première ministre britannique, a déclenché l’article 50 des traités européens, formalisant le retrait du pays de l’Union.

Un divorce qui ne s’est pas fait du jour au lendemain : il aura fallu plus de quatre ans, jusqu’au 24 décembre 2020, pour aboutir à un accord de retrait (« Withdrawal Agreement ») et un nouvel accord de libre-échange, dit « Accord de commerce et de coopération » (ACC).

Et Michel Barnier de représenter contre monts et marées, et quatre ans durant, les intérêts des 27 capitales européennes au Royaume-Uni, figure stoïque au sourire rare mais que les petites phrases – « the clock is ticking ! » (« l’heure tourne ») – ont fini par rendre connu tant à Bruxelles qu’outre-Manche, où il fut même qualifié « d’homme le plus dangereux d’Europe ».

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Servir de leçon

La négociation de l’ACC était « originale », explique aujourd’hui l’ancien négociateur : « Pour la première fois dans un accord de commerce, l’Union européenne a reconstruit les barrières au lieu de les abaisser ».

Quatre ans après la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE, le 31 janvier 2020, M. Barnier estime que les conséquences politiques et économiques du Brexit étaient « prévisibles ». Les barrières réglementaires ont été érigées de nouveau ; les contrôles aux frontières se sont multipliés, ralentissant le rythme des échanges commerciaux ; la pénurie de main-d’œuvre s’est accentuée ; et la croissance économique est atone.

« Toutes les difficultés britanniques ne sont pas liées au Brexit. En revanche, toutes leurs difficultés sont plus graves à cause du Brexit », a-t-il affirmé.

Quant à « Global Britain », slogan du camp anti-UE persuadé qu’une sortie sèche créerait pour le Royaume-Uni des opportunités économiques et financières sans précédent – avec, dans le viseur, un accord de libre-échange avec les Etats-Unis qui finalement ne verra jamais le jour –, elle n’est rien de plus qu’une « grande illusion », explique Michel Barnier.

Mais malgré cette réalité économique morose, l’extrême droite européenne garde toujours le projet de sortir de l’UE en tête, lance-t-il. « Est-ce que le Brexit a servi de leçon pour eux ? Je n’en suis pas sûr ».

Dès la publication des résultats du référendum en juin 2016, Mme Le Pen s’était félicitée que les Britanniques soient « sortis de la servitude ».

« Elle pense toujours cela », estime l’ancien ministre, même si elle ne le dit pas par « opportunisme électoral », fort de son expérience de proposer un référendum pour sortir la France de l’UE en 2017, qui avait fait paniquer ses électeurs.

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Naïveté européenne

Le divorce entre le Royaume-Uni et l’UE – dont les modalités, précisées dans l’article 50 des traités européens, ont été rédigées par le Lord britannique Kerr of Kinlochard, alors secrétaire général de la Convention européenne, ironie du sort – a aussi des conséquences réelles sur le continent européen.

À l’aune des élections européennes, il serait grand temps que l’UE tire les leçons du Brexit et s’attaque au cœur de ce qui a rendu le référendum de 2016 possible, afin que cela ne se reproduise plus jamais, insiste M. Barnier.

La lutte contre l’immigration illégale avec le Pacte Asile & Migration, le renforcement de l’agence Frontex, l’intégration du principe de réciprocité dans les accords de libre-échange, ou encore la mise en œuvre d’une politique européenne de défense « crédible », sont autant d’exemples de ce que l’UE met en œuvre pour mettre fin à sa propre « naïveté ».

Le temps de la décision européenne est en outre beaucoup trop long, souligne l’ancien commissaire : « [L]es gens sont confrontés tous les jours aux conséquences de 30 ans de bureaucratie excessive, de l’absence de politique industrielle, de naïveté européenne ».

M. Barnier, aujourd’hui conseiller spécial sur les affaires étrangères chez Les Républicains (LR) et responsable de la relation avec le Parti populaire européen (PPE), groupe parlementaire de droite au Parlement européen, s’est donc fixé comme objectif de continuer à soutenir de telles réformes, tout en « veillant à ce que ma famille politique reste une famille européenne ».

Et il fait taire toute rumeur qui voudrait que LR soit prêt à faire des alliances avec l’extrême droite à Bruxelles à la suite du scrutin européen. « Aucune complaisance, aucune faiblesse » face aux « thèses antieuropéennes » des extrêmes : « Jamais, jamais, jamais ».

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Pas de « cherry-picking »

C’est aussi « sans complaisance » que l’Union européenne doit aborder la révision de l’ACC, prévue en 2025.

« Je ne vois pas comment elle pourrait être autre chose que technique », martèle son ancien négociateur.

Il ne doit pas y avoir de remise en question des fondements du traité : seulement peut-on imaginer quelques améliorations pour « vérifie[r] la concordance ou la cohérence des règles », souligne M. Barnier. Il alerte d’ailleurs contre tout risque de « cherry-picking », principe qui voudrait que le Royaume-Uni bénéficie de certains aspects du marché unique mais pas d’autres, créant un déséquilibre avec les autres pays membres.

Mais le renforcement des relations bilatérales sur certains domaines très précis peut aussi être au rendez-vous de cette renégociation.

Ainsi en va-t-il des enjeux de défense : l’UE doit être « prête » à collaborer plus étroitement avec le Royaume-Uni sur des problématiques aussi diverses que la cybersécurité, le renforcement des capacités de défense européennes face à l’agression russe de l’Ukraine, les échanges d’informations entre services de renseignements, et la lutte contre le terrorisme.

Depuis plusieurs années déjà, Londres renforce son engagement auprès de l’Alliance Atlantique (OTAN). Les Britanniques sont aussi les premiers à avoir signé un accord bilatéral de sécurité avec l’Ukraine en janvier 2024 – l’Allemagne et la France lui ont emboîté le pas la semaine dernière.

La Déclaration politique – un document signé entre les deux puissances en octobre 2019 pour jeter les bases d’une relation future – prévoyait déjà un partenariat avancé en matière de sécurité et de défense, y compris pour une « coopération dans le domaine de la recherche et de l’industrie [militaires] ».

Une révision des accords sur la pêche et sur l’accès au marché européen de l’électricité s’impose aussi, dont la mise en œuvre s’est révélée plus complexe que prévu, révélait un rapport de la Commission européenne en mars 2023.

Michel Barnier fera-t-il son retour sur la scène européenne pour mener à bien ces renégociations ? « J’ai de la mémoire et je ne suis pas nostalgique », explique-t-il : « Je suis toujours disponible pour être utile ».

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