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Au Burkina Faso, les voix discordantes envoyées au front ou en prison

Militants de la société civile, politiciens, hommes d’affaires ou militaires… Au moins une vingtaine de personnalités critiques de la junte du capitaine Ibrahim Traoré sont portées disparues.

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Publié le 23 février 2024 à 12h08, modifié le 23 février 2024 à 12h46

Temps de Lecture 4 min.

A gauche, une capture d’écran d’une vidéo de propagande montrant l’ancien ministre Ablassé Ouedraogo, enrôlé de force par la junte. A droite, l’avocat Guy Hervé Kam, cofondateur du Balai citoyen, enlevé par des hommes en civil dans la nuit du 24 au 25 janvier à Ouagadougou.

Ils se savaient dans le viseur des militaires au Burkina Faso et tentaient de se faire discrets. Leurs précautions n’ont pas suffi. Rasmane Zinaba et Bassirou Badjo, deux membres du Balai citoyen, un mouvement réputé pour sa liberté de ton envers les pouvoirs en place, sont désormais prisonniers d’une junte qui multiplie les arrestations des voix discordantes, qu’elles soient issues de la classe politique ou de la société civile.

Le premier, chargé de l’organisation au sein du mouvement, a été enlevé mardi 20 février à son domicile de Ouagadougou par des hommes « en civil et armés », puis emmené « dans un lieu jusque-là inconnu », a indiqué dans un communiqué le Balai citoyen, qui fut en 2014 l’un des fers de lance de l’insurrection populaire ayant mis un terme aux trente années de pouvoir de Blaise Compaoré.

Le lendemain après-midi, Bassirou Badjo, simple militant du mouvement, employé à la Direction générale de la solidarité nationale et de l’assistance humanitaire, a à son tour été « enlevé sur son lieu de travail » par « des individus se présentant comme des agents de la sûreté de l’Etat [les services secrets] », a précisé le Balai citoyen dans un second communiqué.

Tous deux figuraient sur une liste de personnes à enrôler de force dressée par la junte début novembre 2023. Le 6 décembre, le tribunal administratif de Ouagadougou, qu’ils avaient saisi pour statuer sur la légalité de leur réquisition par le régime, leur avait donné gain de cause, estimant que celle-ci, rendue possible par le décret portant mobilisation générale pris sept mois plus tôt par le président de transition, Ibrahim Traoré, était illégale. Le juge avait ordonné que soit suspendu leur recrutement de force dans les rangs des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs censés épauler l’armée dans sa lutte contre les groupes djihadistes qui gangrènent le pays depuis 2015.

Un régime « tyrannique »

Deux mois plus tard, les deux militants ont finalement été « enlevés par un régime tyrannique qui ne respecte même pas les décisions des tribunaux et qui envoie de force au front les voix contestataires pour tenter de les museler », constate un membre du Balai citoyen, préférant conserver l’anonymat pour sa sécurité.

Ce sort a déjà été réservé à Ablassé Ouedraogo et Daouda Diallo, qui figuraient sur la même liste de personnes à enrôler de force. L’ancien ministre des affaires étrangères, âgé de 70 ans, et le lauréat 2022 du prix Martin-Ennals pour les défenseurs des droits humains étaient portés disparus depuis leur enlèvement, en décembre. Dimanche, ces deux personnalités, rares voix à encore oser critiquer publiquement la gestion sécuritaire et répressive du capitaine Traoré, ont été présentées en treillis, kalachnikov à la main, sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.

« C’est une manière pour la junte de les humilier et de dissuader les autres voix discordantes de la critiquer », souligne le cadre d’une organisation internationale de défense des droits humains, réclamant lui aussi l’anonymat par crainte d’un régime qui n’hésite pas à envoyer au front ou dans les geôles de la sûreté de l’Etat tous ceux qu’il considère comme ses opposants.

Au moins une vingtaine de personnalités – militants de la société civile, défenseurs des droits humains, politiciens, hommes d’affaires et militaires – sont aujourd’hui portées disparues, selon les sources du Monde. Leur nombre pourrait toutefois être bien plus élevé. « L’ampleur est telle qu’on n’arrive plus à les compter. Seules les disparitions des personnalités les plus connues sont signalées dans les médias », poursuit la source précédemment citée.

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Une des dernières en date à avoir été largement rapportées est celle de l’avocat Guy Hervé Kam, enlevé par des hommes en civil dans la nuit du 24 au 25 janvier à Ouagadougou. Le cofondateur du Balai citoyen, qui n’hésitait pas à dénoncer le musellement de toute opposition par la junte, a-t-il lui aussi été envoyé au front ? Ou alors est-il prisonnier dans une des cellules des services secrets ? Ses proches sont pour l’heure sans nouvelle.

Trois syndicalistes arrêtés

Quatre jours après son enlèvement, une des organisations syndicales qu’il défend a elle aussi subi les foudres du régime. Le 29 janvier, des hommes en civil et d’autres en uniforme de la police ont tenté d’arrêter Moussa Diallo, le secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), a rapporté le syndicat, dont la force de mobilisation reste redoutée par l’exécutif. L’enlèvement a finalement tourné court grâce à l’intervention de syndicalistes rassemblés autour du domicile de leur chef, mais trois d’entre eux ont été arrêtés et restent depuis portés disparus.

La veille, Moussa Diallo avait dénoncé, dans l’émission télévisée « Dimanche politique », sur Omega Médias, les « enlèvements de citoyens dans les rues et à leur domicile sans qu’on ne suive la procédure » et « les exécutions extrajudiciaires, sommaires, de citoyens suspectés d’être de connivence avec les terroristes ou d’être des terroristes ».

Hasard du calendrier, le Burkina a été auditionné mercredi à Genève par le Comité des disparitions forcées de l’ONU. Il répondait à une demande d’informations complémentaires formulée par l’instance avant l’arrivée au pouvoir de la junte. Après avoir tenté de convaincre le comité que le Burkina restait engagé dans la protection des droits humains et de ses défenseurs, la délégation menée par Edasso Rodrigue Bayala, le ministre de la justice et des droits humains, a admis que comme « dans tous les pays », les services de renseignement burkinabés s’étaient parfois livrés à des actes « qui peuvent tomber sous le coup de la qualification pénale ». « Il y a des cas, nous ne pouvons pas les citer », s’est contenté de reconnaître le ministre.

Contacté, le gouvernement de transition n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. Le Comité des disparitions forcées de l’ONU devrait quant à lui rendre public début mars ses observations finales sur le respect par le Burkina de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ratifiée par le pays en 2009.

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