Mazarine Pingeot, philosophe : "On n'arrive plus à penser le tragique à notre époque"

Mazarine Pingeot - Pascal Ito © Flammarion
Mazarine Pingeot - Pascal Ito © Flammarion
Mazarine Pingeot - Pascal Ito © Flammarion
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Et si notre époque était en manque de manque ? C'est la thèse de la philosophe Mazarine Pingeot, qui rappelle que le manque est ce qui nous pousse à nous réaliser, et qui constate qu'aujourd'hui, nous sommes noyés dans une profusion marchande qui ne laisse aucune place au vide, pourtant constitutif.

Avec

Aujourd'hui, notre invitée est romancière et philosophe. Son dernier essai, Vivre sans, une philosophie du manque, qui paraît dans la collection "Climats" chez Flammarion, pointe à travers l'histoire des idées la manière dont le manque, parce qu'il est insupportable pour l'humain, a sans cesse été cerné, contrôlé, comblé, et donc éjecté de nos vies.
Et c'est vrai : que ce soit du point de vue des systèmes philosophiques, de l'organisation de nos sociétés, ou de nos existences individuelles, rien ne doit jamais manquer. Car manquer, c'est forcément être dépossédé, dénué, c'est forcément faire face à l'angoisse, à l'injustice ou l'insatisfaction stérile.
On dit que la nature a horreur du vide… mais, demande notre invitée : et si le manque était inévitable, et même nécessaire ? Et s'il fallait faire avec, au lieu de le remplir à tout prix ?

Le marché et la mode du "sans"

Mazarine Pingeot fustige l'économie capitaliste qui est parvenue à transformer le manque d'être en manque d'avoir, en nous proposant notamment des produits de consommation qui se revendiquent "sans", que ce soit sans gluten, sans sulfite, sans paraben… Le marché incorpore apparemment le manque, sauf que ce n'est qu'une illusion puisqu'il remplit ce manque avec une profusion de produits.

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"Or le manque ne doit pas forcément être comblé, il peut aussi être symbolisé : c'est pour ça que nous avons le langage, la culture, ce sont des moyens de transformer le manque."

Investir la fertilité du manque

Selon Mazarine Pingeot, aujourd'hui nos réponses sont formatées, car on a perdu l'habitude d'interroger la question. On a donc besoin de philosophie et de pensée critique pour nous confronter au manque ontologique qui est fertile quand on l'investit.

Le seul lieu où il y a eu une pensée critique, à savoir les mouvements de déconstruction, sont aujourd'hui transformés en dogmatismes, c'est-à-dire soit en scepticisme absolu, soit en fondamentalismes, politique ou scientifique.

"La démocratie est par exemple l'incarnation politique du manque puisqu'elle s'institue sur une non-fondation, puisque sa forme est vide et sans cesse à réinventer. Le désir amoureux en est l'incarnation intime, puisqu'on se nourrit du manque et de l'inquiétude en amour."

Extraits sonores

  • Extrait du sketch “Le magasin bio” du Palmashow du 28 mars 2014
  • Archive de Jean-Paul Sartre du 3 novembre 1947, Les temps modernes, Chaîne Parisienne
  • Chanson de fin : Sans toi maman de Sylvia Clément

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