Depuis plus d’un demi-siècle, la dengue et la malaria étaient vaincues aux États-Unis et en Europe. À la faveur des changements climatiques, ces deux maladies transmises par des moustiques reviennent en force. Les contrer tout en protégeant l’environnement est parfois un tour de force.

« Il y a de bonnes chances pour que la dengue redevienne endémique en Floride dans la prochaine décennie », estime Scott Michael, un biologiste de l’Université de la côte du golfe de Floride qui a publié plusieurs études sur le sujet. « Actuellement, on a des éclosions qui ne sont pas toujours liées à des voyages à l’étranger. Il y a de plus en plus d’éclosions de dengue ici et ailleurs aux États-Unis. »

En France, un premier cas de transmission « autochtone » de la dengue, non liée à un voyageur ayant ramené la maladie, a été enregistré à Paris en 2023. Des éclosions autochtones de dengue ont lieu à Marseille presque chaque année, et une centaine de cas autochtones ont été enregistrés en Italie et en Espagne chaque année dans la dernière décennie.

« Pour le moment, nous pouvons contrôler les éclosions en contrôlant les moustiques dans le voisinage des cas de dengue », explique Marta Zatta, une épidémiologiste du CHU de Créteil, en banlieue parisienne, qui a publié une étude sur l’éclosion autochtone parisienne en novembre dernier.

Il y a 10 fois plus de cas de dengue dans le monde qu’il y a 20 ans, 5 millions plutôt que 500 000, s’alarmait l’automne dernier l’Organisation mondiale de la santé dans un rapport. Le nombre de cas de malaria est beaucoup plus important, 250 millions par année, mais il est stable.

La malaria et la dengue se caractérisent par des fièvres qui non traitées peuvent générer des dommages aux organes. Dans les pays pauvres, le taux de mortalité de la malaria peut atteindre 5 %, contre 0,3 % dans les pays riches. La dengue a un taux de mortalité inférieur à 0,05 %.

Vaccins

« La malaria suscite moins d’inquiétude, même si le nombre de cas est beaucoup plus important, parce qu’on est dans la bonne direction malgré les changements climatiques, dit M. Michael. On a des médicaments contre la malaria et depuis peu des vaccins prometteurs, alors que pour la dengue il n’y a pas de traitement et des vaccins beaucoup moins performants. »

Les moustiques qui transmettent la dengue, appelés « vecteurs » en jargon de santé publique, sont aussi plus favorisés par les changements climatiques que ceux qui transmettent la malaria. « Les vecteurs de la malaria sont déjà établis partout aux États-Unis, mais ceux de la dengue ne sont pour le moment que dans le Sud », dit M. Michael.

PHOTO CRIS BOURONCLE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un membre d’une brigade de santé du Pérou fumige une rue d’un bidonville de Lima contre le virus de la dengue.

La dengue a été introduite en Europe par l’Albanie dans les années 1970, selon Cyril Caminade, un épidémiologiste de l’Université de Liverpool qui a été l’un des premiers à modéliser l’impact des changements climatiques sur ces maladies, il y a une dizaine d’années. « S’il n’y avait pas eu des progrès dans la lutte contre la malaria, on verrait une augmentation, dit M. Caminade. L’augmentation de la fréquence des inondations augmente les occasions pour les moustiques transmettant la malaria de créer des éclosions. »

Milieux humides

Historiquement, la lutte contre la malaria et la dengue, qui frappaient tout le sud de l’Europe et les États-Unis jusqu’à Philadelphie, a été faite avec le drainage des milieux humides. « En Palestine, les premières terres achetées par les sionistes ne coûtaient pas cher parce que la malaria y régnait », dit Nadav Davidovitch, épidémiologiste de l’Université Ben Gourion en Israël. « Les marais ont été drainés au début des années 1920 pour diminuer les populations de moustiques, en collaboration avec les autorités britanniques. La même stratégie avait été utilisée pour diminuer le fardeau de la malaria près du chantier du canal de Panamá. Mais au Panamá, on déversait aussi du pétrole dans les marais pour empêcher les moustiques de se reproduire. Dans les années 1930 un peu partout en Europe et aux États-Unis, les milieux humides ont été drainés de cette façon pour lutter contre la malaria. »

Faudra-t-il revenir à ces stratégies avec les changements climatiques ? « Non, parce que les édifices plus étanches et climatisés ont un effet beaucoup plus important sur les moustiques que le drainage des milieux humides », explique Nathan Grubaugh, un épidémiologiste de l’Université Yale qui travaille sur la malaria et la dengue aux États-Unis. « Les Caraïbes et la Floride ont des climats similaires, mais la dengue et la malaria touchent beaucoup moins la Floride parce que les moustiques ne réussissent pas à rentrer dans les maisons et parce que l’air y est trop froid pour qu’ils soient très actifs. »

PHOTO RICARDO MORAES, ARCHIVES REUTERS

Un agent de santé municipal de Rio de Janeiro, au Brésil, inspecte un ancien entrepôt à la recherche d’eau stagnante qui pourrait servir de site de reproduction potentiel de moustiques Aedes aegypti.

Le drainage des milieux humides n’est de toute façon pas nécessaire pour s’attaquer à la dengue, parce que les moustiques qui la transmettent vivent dans les villes et se reproduisent dans des plans d’eau très petits et peu profonds, selon Annelise Wilder-Smith, une épidémiologiste de l’École de médecine et d’hygiène tropicales de Londres qui a dirigé le consortium DengueTools de l’Union européenne. « La clé du contrôle de la dengue dans les pays riches est d’agir dans les pays pauvres, parce que la plupart des cas proviennent de là », dit Mme Wilder-Smith.

Des moustiques génétiquement modifiés pour être stériles, ou alors infectés par la bactérie Wolbachia qui tue le virus de la dengue et potentiellement le parasite responsable de la malaria, sont d’autres solutions envisagées. « Elles coûtent cher par contre. Elles seraient probablement utilisées seulement pour des environnements clos comme des petites îles », dit M. Michael.

Une certaine tension entre les autorités de santé publique et les autorités environnementales pointe toutefois. « Dans l’archipel des Keys en Floride, le contrôle des moustiques est très important pour lutter contre la dengue, la malaria et d’autres maladies infectieuses, dit M. Michael. Mais il est difficile d’épandre des insecticides dans les zones protégées, qui deviennent des nids à moustiques. »

En savoir plus
  • 200 à 300
    Nombre de cas de dengue, tous liés à un voyage, chaque année au Canada
    SOURCE : SANTÉ CANADA
    400 à 500
    Nombre de cas de malaria, tous liés à un voyage, chaque année au Canada
    SOURCE : SANTÉ CANADA
  • 40 000
    Nombre de morts dues à la dengue dans le monde chaque année
    SOURCE : OMS
    600 000
    Nombre de morts dues à la malaria dans le monde chaque année
    SOURCE : OMS