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A Lille, le low cost séduit les galériens du permis de conduire

Las des tarifs et de délais de plus en plus longs, les candidats au permis se pressent dans la banlieue lilloise, où sont proposés des forfaits à 760 euros.

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Publié le 03 mai 2014 à 09h52, modifié le 04 mai 2014 à 08h33

Temps de Lecture 5 min.

A l'entrée de l'auto-école Permispascher.fr, à Lambersart dans la banlieue de Lille.

La chemise est aussi impeccable que le créneau. Le jeune homme qui s'extrait du véhicule d'auto-école semble ne rien laisser au hasard. Surtout pas ses dépenses. Frais émoulu d'une école de commerce, paré pour la « fonction achat », Georges Conseil, 24 ans, vit dans le 19e arrondissement de Paris et apprend à conduire à Lambersart, dans la banlieue de Lille. Hébergement chez un copain, pour deux semaines de conduite intensive. « Ici, ils font un forfait 20 heures de conduite à 760 euros, avec passage illimité de l'examen de conduite. » A Paris, le prix moyen avoisine le double. « Le différentiel est incroyable ! Ils rognent sans doute sur leurs marges pour avoir plus de clients, comme Free. Ils vont avoir du succès. »

Pronostic d'expert déjà avéré, à l'heure où le ministère de l'intérieur envisage une réforme du permis de conduire, dont l'obtention est particulièrement lente – donc coûteuse – en France. Ouverte depuis quatre mois, Permispascher.fr, l'auto-école low cost de Lambersart, recrute à tour de bras les apprentis conducteurs attirés par les imparables slogans de la vitrine (« Passez votre permis au juste prix », « Heure de conduite : 28 euros »), le bouche-à-oreille ou le résultat d'une recherche Google avec les mots-clés « permis de conduire » et « pas cher ».

DÉCO DISCOUNT

Après Lille et Lambersart, le fondateur de ces auto-écoles économiques, Guillaume Wryk, s'implantera en juin à Saint-Quentin (Aisne), puis en région parisienne dès septembre. D'ici là, dans le Nord, ce quadragénaire déterminé achète une voiture et embauche un moniteur chaque mois. Dans ses locaux modernes décorés façon discount, avec tarifs tapissés aux murs pour seul divertissement de l'œil, se pressent des jeunes venus de toute la région, et même d'Ile-de-France.

« Ils dorment chez des proches ou à l'Ibis du coin, a constaté le patron. Je me souviens d'un gars de Gennevilliers dont l'examen avait été décalé de deux jours. Je crois qu'il n'avait plus d'argent pour manger ou dormir. Il passait toute la journée à attendre sur notre canapé, avec des paquets de gâteaux secs. » Sur les forums de discussion en ligne circule l'idée que, le moment venu de passer le permis, les vacances chez la mamie vendéenne ou orléanaise retrouvent un certain charme : cours moins onéreux, temps d'attente moins longs, résultats plus probants en province qu'à Paris, comme le confirmait récemment une enquête de l'association Consommation, logement et cadre de vie.

« Ils se gavent avec les jeunes », « on est prisonniers », « rackettés », « des vaches à lait »… Les mots des jeunes croisés dans cette auto-école aux tarifs plus raisonnables qu'ailleurs sont amers, les anecdotes se recoupent : frais supplémentaires pour tout, même pour s'entraîner au code sur la Toile, même pour passer un examen de conduite censément gratuit, heures de conduite subrepticement raccourcies, cours collectifs imposés, attentes interminables avant le test du code, puis celui de la conduite, frôlant même l'année entière après un premier échec…

Fatoumata Ndiaye, qui a raté une fois l'examen, a déjà dépassé la barre des 3 000 euros. Y songer la déprime. « Dans l'Essonne, j'ai payé 900 euros le forfait de 20 heures, mais les 4 premières heures, on m'a laissée seule en simulateur, et je n'ai jamais eu de bilan, assure cette jeune consultante dans les télécoms. Ensuite, j'ai eu du mal à avoir une place pour l'examen de code. Puis pour obtenir des heures de conduite, qui étaient donc trop espacées. Quand le forfait a été épuisé, on m'a demandé 50 euros de l'heure, et on m'a imposé le cours collectif, à trois par véhicule. Mais changer d'auto-école, c'est compliqué. Comme on a déjà le code, on ne les intéresse pas, ils ne peuvent plus nous vendre leur forfait. »

« IL FAUT LIBÉRALISER »

A l'entrée de la salle d'entraînement au code, Valentin Billochon, 29 ans, chanteur à dreadlocks et en intérim – il fait de la manutention pour survivre –, explique combien il a dû « jongler » pour économiser de quoi passer le permis. Sou par sou, il a réuni 1 300 euros. « Les patrons exigent le permis juste pour être sûrs qu'on sera à l'heure, et pas coincés dans les transports en commun. Des copains qui bossent mais croulent sous les factures, j'en connais deux, trois, qui conduisent sans permis… » Rostan Tagne Wambo, venu des Hauts-de-Seine, s'est retrouvé bien seul après la faillite de l'auto-école où il avait passé son code. Personne ne voulait de lui à moins de 1 000 euros pour la reprise du dossier et de dix heures de conduite supplémentaires, sans pour autant garantir un passage rapide d'examen.

« ll faut libéraliser », s'agace cet employé de compagnie d'assurances, qui a donc fini par prendre une semaine de congé et le train pour Lille. « Les agences se partagent un marché juteux, elles n'ont pas intérêt à s'améliorer. Ici ils pensent autrement, ils organisent un gros turnover de clientèle, donc les heures de conduite sont pleines, les moniteurs dévoués, on travaille ensemble dans le même but. »

Le « volume ». Tel serait en effet, selon son patron, le secret de Permispascher.fr. En 2012, Guillaume Wryk avait d'abord lancé à Lille une société de location de voitures à double commande. Pour 15 à 18 euros de l'heure, les jeunes pouvaient s'entraîner à manier le volant, un conducteur chevronné à leurs côtés. Mais sous la « pression du lobby des auto-écoles », croit-il, la législation s'est durcie à l'automne 2013. L'accompagnateur doit désormais suivre une formation de quatre heures en auto-école. Trop cher : les clients fuient.

RECONVERTIR LES VOITURES

Pour reconvertir ses voitures à double commande, Guillaume Wryk embauche alors une monitrice d'auto-école, sollicite un agrément préfectoral et lance une auto-école dont l'objectif est de demeurer dans le même ordre de prix. L'heure de conduite à 28 euros vaut produit d'appel : « Elle fait le buzz », reconnaît-il. Pour en bénéficier, il faut se décider quinze jours à l'avance, renoncer à toute possibilité d'échange ou d'annulation, payer d'avance et conduire en journée.

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« Sinon, on passe à 36 euros de l'heure, précise-t-il. C'est encore 4 ou 5 euros de moins que chez tous mes confrères de la métropole lilloise, qui est pourtant la ville où les heures de conduite sont les moins chères de France. Je tire encore plus les prix vers le bas. » Ce fils de commerçants, qui ne connaissait rien au milieu avant de s'y lancer, ne s'y est évidemment pas fait beaucoup d'amis. « Rien n'avait bougé depuis trente ou quarante ans. Les auto-écoles dégagent de grosses marges, forcément. Parce que nous, même sur nos heures à 28 euros, on gagne presque 10 euros ! »

La répression des fraudes est venue, sans guère trouver à redire. Les moniteurs ne sont pas payés au rabais. Les voitures sont récentes. L'agence se bat pour décrocher rapidement des créneaux d'examen, où ses candidats ne réussissent pas moins que les autres. En février 2011, lorsqu'il a voulu déposer le nom de domaine Permispascher.fr, inspiré du site Partirpascher.com qu'il utilisait pour ses vacances, Guillaume Wryk a constaté qu'il n'était pas préempté. Voilà qui en dit long, a-t-il pensé.

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