Judith Godrèche au Sénat : « Tout le monde savait et tout le monde sait »

Judith Godrèche a livré un puissant témoignage et proposé des solutions concrètes pour protéger les enfants sur les plateaux de tournage.
Judith Godrèche aux Csar 2024.
Judith Godrèche aux César 2024.Stephane Cardinale - Corbis/Corbis via Getty Images

Moins d'une semaine après son discours poignant aux César, Judith Godrèche a été entendue au Sénat. Auditionnée par la délégation des droits des femmes de la haute chambre, l'actrice est revenue sur son expérience des violences sexistes et sexuelles au cinéma et a dénoncé un univers qu'elle qualifie de « famille incestueuse » propice à « l'effacement du sujet », dominé par des « adultes libidineux » ou « passifs, soumis à la toute puissance du patriarcat ».

Depuis plusieurs semaines, elle raconte les agressions sexuelles, l'emprise et les viols dont elle a été victime pendant son enfance et son adolescence, commis par Benoît Jacquot, avec qui elle a eu une relation pendant six ans (entre 1986 et 1992, à partir de ses 14 ans), et Jacques Doillon, pour lequel elle a tourné. Elle a porté plainte contre les deux hommes pour viol sur mineure, une enquête a été ouverte.

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Devant les membres de la délégation, l'actrice a proposé des solutions concrètes pour protéger les enfants sur les tournages et lors des castings. D'abord, l'ouverture d'une commission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes dans le milieu du cinéma. Ensuite, le retrait de Dominique Boutonnat. Le président du CNC sera prochainement jugé devant un tribunal correctionnel pour des agressions sexuelles commises en 2020 sur son filleul - des faits qu'il conteste. Judith Godrèche qualifie le CNC d'endroit où les producteurs se rendent « en rigolant » pour suivre des formations contre les violences sexuelles, dans une institution « où le président est accusé de violences sexuelles ». En outre, elle demande la présence d'un médiateur, personne de confiance absolue pour que jamais les mineurs ne soient laissés seuls sur les tournages. Elle estime qu'il leur faut un « garde du corps et d'âme », personne dédiée à leur sécurité et leur écoute, à laquelle ils peuvent tout dire. Un représentant, somme toute, pour dire à l'équipe du film « elle ne veut pas enlever son pull, vous ne lui ferez pas enlever son pull », quand une toute jeune actrice se sent mal à l'aise et n'ose pas le dire aux figures d'autorité sur le plateau.

Coach d'intimité et contrôles de la DDASS

Car c'est là le nerf de la guerre : les plus fragiles n'ont pas les armes pour s'imposer face « au désir de l'ogre réalisateur qui prend le dessus sur chaque battement de cils ». Elle prend pour exemple sa propre série, Icon of French cinema, dans laquelle elle a voulu « rejouer sa propre histoire » et faire les choses proprement : la jeune actrice qui l'incarne à ses débuts (Alma Struve, 15 ans) était accompagnée d'une coach sur le tournage. Qu'importe sa bienveillance en tant que réalisatrice ou toutes les autres mesures de protection, Judith Godrèche tenait à ce que la jeune comédienne ait « sa personne » de confiance et d'écoute. Elle a d'ailleurs tenu à rappeler que « même une femme peut abuser d'une jeune actrice », en tant que potentielle figure d'autorité sur un plateau.

L'idéal pour empêcher les abus ? Un référent neutre, non-payé par la production, appuyé par des contrôles réguliers de la DDASS sur le terrain, pour s'assurer des bonnes conditions de tournage des enfants. Judith Godrèche met aussi les pieds dans le plat et dénonce le silence complice de la fameuse grande famille du cinéma : « Tout le monde savait et tout le monde sait. » Elle énumère les réalisateurs qui invitent les filles dans leur canapé, les font souffrir pour qu'elles « pleurent pour de vrai ». Des cinéastes qu'elle qualifie sans ambiguïté d' « agresseurs déguisés en réalisateurs » et dont il faut, à tout prix, éloigner les enfants : « Ces gens ne doivent plus avoir accès à l'enfance, assène-t-elle. Quoi qu'il arrive, il ne faut pas laisser ces réalisateurs avec des filles de 14 ans. » Pour garantir un environnement sain aux aspirants comédiens, Judith Godrèche appelle aussi à la présence d'un coach d'intimité, dont les missions seraient semblables à celles occupées, petit à petit, par les coordinatrices d'intimité sur les plateaux : encadrer le tournage des scènes de sexe, de nudité et de rapprochement physique pour que tous les interlocuteurs concernés se sentent à l'aise et que personne n'abuse du script, comme cela est trop souvent le cas.

4500 témoignages

Au début du mois, elle a publié un appel à témoignages sur son compte Instagram : « Dans ma réflexion et pour que je puisse organiser mes pensées et vos contacts (en toute sécurité), chacune et chacun d'entre vous qui a été abusé peut m'écrire à MoiaussiJudith@gmail.com et me dire “moi aussi”. Judith. » Depuis, elle a reçu 4500 témoignages. Dont ceux de ces 200 techniciennes qui ont reçu la photo non consentie du sexe d'un réalisateur français avec lequel elles ont travaillé lors de différents tournages. Dont celui, aussi, de cette jeune femme abusée par « quelqu'un de connu », effrayée par son pouvoir et par le fait qu'il soit « tellement aimé » par le public et la profession.

Au cours de son intervention, Judith Godrèche a salué quelques unes de celles qui ont apporté leur pierre au gigantesque édifice #Metoo dans la culture française, en dénonçant des agresseurs et des criminels : Camille Kouchner, Adele Haenel, Hélène Devynck, Vanessa Springora. Elle a aussi rendu un vaste hommage au juge Edouard Durand, expert sur les questions de la protection de l'enfance et ancien président de la Civiise. L'actrice a résumé son propos en une question rhétorique et implacable : « Il y a cette phrase à la fin des films : “Les animaux qui apparaissent dans ce film n’ont pas été maltraités”. Et si on traitait les enfants aussi bien que l’on traite les animaux sur les tournages ? »