Comment le trafic d’animaux menacés se structure-t-il à l’échelle mondiale ? Comment explique-t-on la rentabilité d’un tel business ?
- Charlotte Nithart, présidente de l'association Robin des bois
- Meganne Natali, docteur en droit international, chercheuse et consultante spécialisée sur les questions de préservation de l'environnement
Chine, Indonésie, Canada, Inde, France… Aucun pays n’échappe au business des espèces animales menacées, qui représente entre 15 et 23 milliards de dollars selon le WWF et Interpol. Se tailler la part du lion, voilà le rêve des trafiquants, qui pour parvenir à leurs fins, n’hésitent pas à user des techniques les plus spectaculaires pour se procurer des animaux, morts ou vifs.
En 2017, Vince, le rhinocéros du zoo de Thoiry, situé à l’ouest de Paris, se voyait ainsi abattu de trois balles par un groupe de braconniers. Motif de cette exaction ? Ses cornes, toujours plus chères sur le marché des espèces menacées, qui peuvent être revendues en Asie du Sud-Est plus de 300 000 dollars l’unité.
Troisième trafic le plus lucratif au monde après la drogue et les armes, le trafic d’espèces menacées est aussi bien l'œuvre d’habitants contraints au braconnage par nécessité ou par opportunité que de mafias aux filières très organisées. Générant des profits énormes sans les risques du trafic de drogue, ce business finance de nombreuses organisations criminelles, des gangs indiens aux groupes terroristes de la région des Grands Lacs, en Afrique de l’Est.
Intense traffic
Experts en marketing, les trafiquants savent générer d’habiles rumeurs prêtant aux animaux les plus rares des vertus miracles. Mammifère sauvage le plus victime de trafics, le pangolin, très apprécié sur le marché sud-asiatique, a ainsi vu ses écailles présentées ces dernières années tour à tour comme un remède miracle contre l’impuissance sexuelle, les difficultés menstruelles, le cancer ou encore le covid-19… Négocié entre 90 à 130 euros entier au Pakistan, il peut atteindre 5 000 euros pièce en Chine. Les populations de pangolins javanais ont régressé de 80 % en vingt ans ; quant à celles de Chine, elles sont officiellement commercialement éteintes depuis les années 1990. Charlotte Nithart nous rappelle "on trouve des flux vers l’Europe et les États-Unis, notamment le poisson cardinal de Banggaï qui est très apprécié aux États-Unis, premier marché mondial des poissons ornementaux. Ce business est aussi intéressant, car ces poissons sont vendus entre 20 et 40 euros pièce aux États-Unis alors qu’ils ne rapportent que 0,09 € par poisson aux pêcheurs locaux de l’archipel de Banggaï, en Indonésie. On trouve également le cas des chardonnerets élégants qui concerne aussi bien la France, où l’on trouve des braconniers qui braconnent encore à la glu, que des filières très organisées au Maghreb, et en Sicile, capables de capturer au filet 200 à 300 spécimens par jour pour les mettre en cage. Le prix moyen du spécimen était de 1 euro en 1990. Aujourd’hui, un chardonneret se vend à la pièce entre 150 et 500 euros, suivant la beauté de son chant. On assiste à la fois à un effet de mode et à une sorte de capitalisme de l'extinction qui veut que plus une espèce est rare, plus son prix augmente et plus, elle est demandée".
En Europe, civelles et anguilles font également l’objet d’un intense trafic en direction du marché asiatique, où elles atteignent jusqu’à 28 000 euros le kilo. Par les airs, par les routes ou par les mers, tous les moyens sont bons pour les trafiquants pour tromper les douaniers et engranger les plus grands bénéfices.
Quelles solutions ?
S’engage alors un cercle vicieux pour ces espèces menacées. Plus elles sont rares, plus elles deviennent convoitées, accentuant ainsi leur braconnage et leur probable disparition.
Si la mise en place en 1973 de la CITES, cette convention réglementant le commerce d’espèces animales menacées, a permis de sauver certains éléphants d'Afrique, cette dernière n’est pas exempte de faiblesses. Meganne Natali ajoute "la CITES apparaît à un moment où les conventions internationales ont contribué à construire la notion d’espèces menacées de manière individualisée. Mais elles n’encadraient pas jusque-là les pratiques commerciales. En 1973, il n’y avait qu’un accord international légiférant sur le commerce de plantes et d’organismes sauvages. C’est une vraie belle convention, qui regroupe 184 États-Partis, ce qui est énorme au regard d’autres conventions internationales. Elle est organisée en trois annexes : l’annexe un regroupe les espèces menacées dont la commercialisation est interdite ; l'annexe deux regroupe les espèces classées selon un principe de précaution et l'annexe trois répond à une démarche volontaire de la part des États qui souhaitent inscrire certaines espèces afin qu’elles fassent l’objet d’un commerce réglementé". Perméable aux lobbys, n’interdisant pas la chasse à des fins récréatives, encadrée dite “chasse en boîte” souvent détournée par les trafiquants, la CITES voit surtout son champ restreint à la seule question du commerce quand le trafic d’espèces est un problème systémique. Les faibles sanctions pénales infligées aux trafiquants dans la majeure partie des pays du monde rendent aujourd’hui ce business très attractif. En Europe, les différences de peines entre les États conduisent les trafiquants à infiltrer le marché via les pays les moins regardants sur leurs activités.
Au-delà de la répression, c’est également une véritable politique menée tant en direction des populations locales que des consommateurs qui doit être mise en place. Il y a urgence : en trente et un ans, la population d'éléphants de forêts a chuté de plus de 86 % en Afrique.
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Pour aller plus loin
- Association Robin des bois : Atlas du business des espèces menacées (Arthaud, 2019)
- Meganne Natali : Le droit international face au trafic de biodiversité sauvage (L'Harmattan, 2023)
À écouter
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Références sonores
- Reportage sur les écailles de pangolin, Envoyé Spécial, France 2, 9 juin 2021
- Douanes face au trafic d’espèces, Pieds sur terre, France Culture, 18 janvier 2021
- De l'Afrique au Golfe arabo-persique, sur la route du trafic des animaux sauvages, Reportage France 24 - 22 janvier 2021
- Archive INA Conférence de la CITES qui a refusé de protéger 3 espèces de requins - Doha, Soir 3 journal, 23/03/2010
- Extrait de Les aventures de Bernard et Bianca - SOS société, dessin animé, Disney, 1977
Références musicales
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- Supernova, par Bananarama
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