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Les manuscrits d’André Breton dans Gallica

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Un siècle après sa parution, le manuscrit du Manifeste du surréalisme est désormais librement accessible sur Gallica, ainsi que d’autres manuscrits majeurs d’André Breton.

 

Manuscrit du Manifeste du surréalisme, p. 11 bis

Jusqu’à une date récente, les collections de la Bibliothèque nationale de France étaient assez pauvres en manuscrits surréalistes ; les conservatoires privilégiés des archives du mouvement, et des autres avant-gardes poétiques du début du XXe siècle, étaient plutôt la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, dont Breton et Aragon avaient en partie constitué les collections, et la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou. Mais depuis 2015 une suite d’acquisitions exceptionnelles a permis de compenser en partie ce déficit, en faisant entrer dans les collections du département des Manuscrits un ensemble exceptionnel  de manuscrits d’André Breton, jusque-là en mains privées, et dont plusieurs avaient été classés trésors nationaux (un bien culturel classé trésor national par le ministère de la Culture est interdit de sortie du territoire, et l’État se donne un délai de trois ans pour l’acquérir, avec ses ressources propres ou en faisant appel au mécénat).
Depuis janvier 2024, ces manuscrits sont librement accessibles dans Gallica, ce qui est exceptionnel puisque l’œuvre d’André Breton (1896-1966) ne tombera dans le domaine public qu’en 2037. Cette mise à disposition anticipée est le résultat d’un partenariat entre la BnF et le site L’Atelier André Breton, et de l’accord généreux de la fille du poète, Aube Elléouët-Breton.
 

André Breton, dessin au fusain de Robert Delaunay, 1922. BnF, Estampes et photographie

Chronologiquement, cet ensemble s’ouvre par les sept cahiers de Poisson soluble (NAF 29035), dans lesquels Breton, au printemps 1924, renoue avec l’écriture automatique, qu’il avait pratiquée cinq ans plus tôt avec Philippe Soupault, donnant naissance aux Champs magnétiques. Les cahiers sont accompagnés de la mise au net autographe du texte (NAF 29036) pour l’éditeur Kra.


 

Poisson soluble, manuscrit, couvertures des deuxième et sixième cahiers

Poisson soluble, manuscrit, premier cahier, f. 1

Poisson soluble, manuscrit, cinquième cahier, f. 6 (collage)

Le parc, à cette heure, étendait ses mains blondes au-dessus de la fontaine magique. Un château sans signification roulait à la surface de la terre. Près de Dieu le cahier de ce château était ouvert sur un dessin d’ombres, de plumes, d’iris. 

Premières lignes de Poisson soluble

Ce retour aux sources incite Breton à faire précéder les poèmes d’une préface récapitulant la jeune histoire de l’aventure surréaliste et réaffirmant ses principes. Cette préface prend bientôt une ampleur imprévue et se transforme en Manifeste du surréalisme (NAF 29034), un des textes les plus influents du XXe siècle dans les domaines littéraire et artistique.

Manifeste du surréalisme, manuscrit, f. 11 (détail)

Dès l’instant où il sera soumis à un examen méthodique, où, par des moyens à déterminer, on parviendra à nous rendre compte du rêve dans son intégrité […], où sa courbe se développera avec une régularité et une ampleur sans pareilles, on peut espérer que les mystères qui n’en sont pas feront place au grand Mystère. Je crois à la révolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si on peut ainsi dire. 

Manifeste du surréalisme

Deux ans plus tard, un soir d’octobre 1926, Breton fait la connaissance, dans une rue de Paris, d’une jeune femme, Léona Delcourt, qui se fait appeler Nadja. Une relation fulgurante, faite de désir et de fascination, naît aussitôt, qui durera neuf jours. Après cette séquence, Breton et Nadja se voient et s’écrivent pendant quelques mois ; mais en févier 1927 la jeune femme est internée en hôpital psychiatrique et ne sortira plus de la nuit de la démence.
De ces événements qui l’ont profondément ébranlé, Breton, séjournant au manoir d’Ango, près de Dieppe, en août de la même année, tire un texte en prose inclassable, à la fois narratif et réflexif, relatant, sans ordre discernable, les neufs jours d’octobre, des souvenirs personnels plus anciens, et des épisodes de l’aventure surréaliste, sur la toile de fond d’un Paris réenchanté.

Le manoir d'Ango, héliogravure Dujardin, 1893. Bibliothèque municipale de Rouen

Le manuscrit de Nadja (NAF 28930), aux pages saturées d’écriture, témoigne de la naissance fiévreuse de ce texte majeur, publié en 1928. Un petit carnet préparatoire (NAF 29000), dont on ignorait l’existence jusqu’à son apparition en vente publique en 2019, le complète.
 

Nadja, manuscrit, dernière page du texte (f. 25), avec la célèbre phrase "La beauté sera CONVULSIVE ou  ne sera pas."

Dessin de Nadja inséré dans le manuscrit (f. III)

Elle me dit son nom, celui qu’elle s’est choisi : « Nadja, parce qu’en russe cela est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement. » 

Rédigé en 1929, le Second manifeste du surréalisme (NAF 29037), dont sont conservés le manuscrit et les épreuves, ne prétend pas se substituer au premier manifeste, mais tire les conséquences des évolutions et des crises traversées par le mouvement depuis cinq ans ; il acte avec fracas la rupture avec certains compagnons de la première heure (qui répliqueront à Breton avec une semblable violence), et assume une inflexion politique vers le marxisme.

Georges Ribemont-Dessaignes, Jacques Prévert et al., Un cadavre, tract en réponse au Second manifeste du surréalisme, 1930

Enfin, en 1932, Les Vases communicants, enquête à la première personne sur le rêve et la révolution, ajoute à l’influence de Marx, Engels et Lénine celle de Freud ; le manuscrit en trois cahiers (NAF 28832) conservé est une mise au net autographe offerte à Valentine Hugo.

Paris, tes réserves monstrueuses de beauté, de jeunesse et de vigueur, — comme je voudrais savoir extraire de ta nuit de quelques heures ce qu’elle contient de plus que la nuit polaire ! Comme je voudrais qu’une méditation profonde sur les puissances inconscientes, éternelles que tu recèles soit au pouvoir de tout homme, pour qu’il se garde de reculer et de subir ! La résignation n’est pas écrite sur la pierre mouvante du sommeil. 

Les Vases communicants
 

Pour aller plus loin :

L'invention du surréalisme, des Champs magnétiques à Nadja, sous la direction d'Isabelle Diu, Bérénice Stoll et Olivier Wagner ; avec la collaboration scientifique de Jacqueline Chénieux-Gendron. Paris, BnF, 2020

 

 

 

 

 

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