Le gouvernement français a inscrit l’agriculture dans les secteurs « en tension », afin de faciliter le recrutement de travailleurs extra-européens. Une dynamique européenne visant à combler le manque de main-d’œuvre dans les exploitations.
C’était une promesse du Premier ministre Gabriel Attal pour répondre à la grogne des agriculteurs : l’agriculture rejoint la liste des secteurs professionnels « en tension » qui disposent de facilités pour recruter des travailleurs en situation irrégulière.
« Il y a trop d’agriculteurs, trop d’arboriculteurs, trop de producteurs qui nous expliquent ne pas pouvoir récolter parce qu’ils ne trouvent pas de saisonniers, c’est un sujet de souveraineté et de compétitivité pour nos producteurs », soulignait Marc Fesneau en conférence de presse le 21 février dernier, promettant cette mesure pour le Salon de l’Agriculture.
L’arrêté qui met à jour la liste des métiers en tension a été publié le 2 mars au Journal officiel.
Cette disposition concernera les agriculteurs salariés – éleveurs, maraîchers, horticulteurs, viticulteurs et arboriculteurs – au même titre que les employers de l’hôtellerie-restauration ou du bâtiment.
La difficulté pour trouver de la main-d’œuvre dans les exploitations est une problématique soulevée par les agriculteurs européens depuis plusieurs semaines.
La FNSEA, syndicat agricole majoritaire, demande depuis longtemps la reconnaissance de l’agriculture en tant que secteur en tension, afin de pourvoir les quelque 70 000 postes vacants chaque année en France, en particulier pour la récolte des fruits et légumes. La raison de ce manque ? Des métiers pénibles et mal rémunérés auxquels les Français et les Européens tournent le dos.
Le syndicat pointe également « un contexte de concurrence européenne en matière de coût du travail » qui rend plus difficile le recrutement de personnel en France.
Différentes législations et approches en UE
Cette mesure « permettra d’accélérer la procédure de recrutement », lançait Gabriel Attal le 21 février dernier alors qu’il listait les mesures du gouvernement visant à améliorer la situation des agriculteurs.
Désormais, une personne en situation irrégulière devra justifier d’une présence de trois ans (au lieu de 10 auparavant) sur le territoire français et de 12 fiches de paie (au lieu de 24). Une fois obtenu, le permis de travail est délivré pour un an renouvelable.
Dans le reste des pays membres, les approches diffèrent, la politique migratoire demeurant une compétence nationale. Mais globalement, la tendance est à la régularisation des travailleurs étrangers afin de répondre à la demande croissante de main-d’œuvre.
L’Allemagne a promis d’attirer chaque année 400 000 travailleurs qualifiés, et vient d’approuver un plan permettant aux immigrés sans titre de séjour de s’intégrer plus facilement dans le monde professionnel.
« Pendant le Covid, l’Allemagne a affrété des avions entiers pour récolter du houblon. Il y a une demande très forte et une volonté de combler les manques dans les travaux « dirty, dangerous and demeaning » [« Sale, dangereux et humiliant »] que les Européens ne veulent plus faire », analyse pour Euractiv Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS et au centre d’études Européennes à Sciences Po Paris.
L’Italie, confrontée au vieillissement rapide de sa population, recourt massivement à la population immigrée, avec des titres de séjour spécifiques pour les secteurs en tension. Selon la chercheuse, la législation italienne favorise la régularisation des travailleurs déjà présents sur le territoire national.
De son côté, « l’Espagne a tendance à organiser la venue de main-d’œuvre avec les pays d’origine dans le cadre d’accords bilatéraux, notamment avec les pays du Maghreb », poursuit Virginie Guiraudon.
Selon un rapport du Parlement européen, le nord de l’Europe recrute encore principalement une main-d’œuvre européenne, provenant des pays de l’Est ou du centre de l’UE. Sur les 300 000 travailleurs agricoles saisonniers allemands, une grande partie provient de Pologne et de Roumanie.
Dans le sud de l’Europe, y compris en France, la tendance est au recrutement de main-d’œuvre hors UE. Selon les chiffres de la direction générale des étrangers en France (DGEF), la France a délivré 22 000 autorisations de travail saisonnier à des étrangers hors UE en 2022, contre 1000 en 2012.
Aujourd’hui, 75 % des saisonniers français sont de nationalité marocaine.
Encouragé par l’UE
Un récent rapport de la Commission européenne encourage « une migration de main-d’œuvre ciblée en provenance de pays tiers en vue de réduire les pénuries de main-d’œuvre dans certains domaines de compétences ».
La commission de l’agriculture et au développement rural du Parlement européen avait également rendu une étude dès 2019 appelant à « renforcer l’intégration des travailleurs saisonniers et migrants dans les communautés locales ».
Si la part des travailleurs étrangers dans le secteur agricole de l’UE reste faible (moins de 5 %), les travailleurs saisonniers – et en particulier les travailleurs migrants – « jouent un rôle essentiel en répondant aux pics périodiques de demande de main-d’œuvre », poursuivent les eurodéputés.
Alors qu’un million de saisonniers se rendent dans les exploitations européennes chaque année, les élus de la commission appellent à mieux intégrer ces travailleurs immigrés. « Une solution potentielle au dépeuplement des campagnes » européennes, ajoutent-ils.
Divisions politiques
La récente décision française divise le paysage politique. Si la gauche semble y adhérer avec prudence, cette décision est rejetée en bloc par le Rassemblement national (RN) qui dénonce un « appel d’air » migratoire.
De son côté, la droite Les Républicains (LR) se montre plus partagée. Alors que la plupart des cadres du parti s’opposent au recours à l’immigration de travail, la numéro deux de la liste pour les élections européennes, Céline Imart expliquait récemment sur France Info que cela allait « dans le bon sens » pour les agriculteurs.
Pour la FNSEA la régularisation des travailleurs immigrés permettra enfin de mieux encadrer les contrats saisonniers, et « d’éviter les situations qui placent les travailleurs dans des conditions moralement inacceptables pour notre profession ».
L’exploitation de la main-d’œuvre immigrée en agriculture – jusqu’au travail forcé – est dénoncée dans toute l’Europe depuis de nombreuses années.