Gabriel Attal a une passion pour les méduses. Pas les sandales de plage, mais l’animal marin. « Petit, j’avais un aquarium avec trois grosses méduses. Hélas, elles sont très compliquées à entretenir. Je trouve leurs mouvements gracieux, avec une impression de naturel, comme si elles se laissaient porter par le courant et, en même temps, on sent que c’est très sophistiqué, rien n’est laissé au hasard, chaque action est calculée. » Toute ressemblance ?

Le nouveau Premier ministre n’a pas encore eu le temps d’aménager son bureau qui domine le jardin de Matignon où pointent les arbres plantés par ses prédécesseurs : Manuel Valls, qui a enterré là son chien, a choisi un chêne. Lui cherche encore le sien... Le bureau qu’il déménage de ministère en ministère, et qui appartenait à son père, n’a toujours pas trouvé sa place. Et le globe de méduse en verre, offert par sa mère, se cache au fond du parc, dans le très secret pavillon de musique qu’elle a contribué à décorer : un petit bijou du XVIIIe siècle où Gabriel Attal est le premier chef du gouvernement à s’être installé, pour plus d’intimité. Là, il partage le quotidien de Volta, irrésistible boule de poils noire, bébé chow-chow qu’il vient nourrir trois fois par jour (en témoigne le paquet de croquettes sans viande qui trône sur son bureau). Sur sa vie personnelle, Gabriel Attal ne dira rien... à l’exact inverse de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, immortalisé quelques jours plus tôt en Une de « Paris Match » avec ses deux enfants, Place Beauvau. « Je fais attention à ne pas m’exprimer sur ces sujets. C’est le meilleur moyen de réclamer un droit à la vie privée », esquive celui qui a ouvertement assumé son homosexualité devant la représentation nationale, lors de son discours de politique générale à l’Assemblée, le 30 janvier.

Au moment de sa nomination, le 8 janvier dernier, on a beaucoup commenté son âge, 34 ans. Ses faux airs d’étudiant, à peine démentis aujourd’hui par l’apparition de quelques cheveux blancs : « C’est comme pour les chiens : en politique, une année en vaut sept ! »Sa silhouette élancée dans des costumes très ajustés (« Quand je les ai achetés, ils l’étaient moins », plaisante-t-il). Gabriel Attal, verre de Coca dans une main, vaporette dans l’autre, est jeune. Sa mère, dont il fêtait l’anniversaire la veille de notre entretien, est même... plus jeune que l’ex-Première ministre. Divorcée, Marie l’a élevé seule, ainsi que ses trois sœurs, Noémie, l’aînée, Fanny, avocate, et Iris, orthophoniste, et un petit frère, Nikolaï, 11 ans. Un « clan de femmes » avec lequel il déjeune le dimanche et échange toute la journée sur une boucle WhatsApp baptisée Cordon sanitaire.

Être né dans un gynécée rend-il plus sensible à la cause des femmes ? « Je me sens totalement féministe », affirme Gabriel Attal. Est-ce parce qu’il s’adapte au courant – comme les méduses – d’un Président qui a érigé en grande cause du quinquennat la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes ? Ou parce que le féminisme colle à l’air du temps ? Quoi qu’il en soit, en cette veille de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, il l’assure : « Pour moi, le féminisme ne correspond ni à l’esprit de revanche, ni à la vindicte qui peuvent conduire certains hommes à se sentir en guerre contre le féminisme et la féminité. Je suis persuadé que la cause des femmes ne se gagnera pas sans les hommes. »

JEUNE, MAIS D’UN FÉMINISME À L’ANCIENNE ?

© Cha Gonzalez

© Cha Gonzalez

À regarder son gouvernement – sans aucune ministre à un poste régalien –, la question se pose. Il s’en défend. « Je considère l’Éducation, confiée à Nicole Belloubet, comme un ministère régalien. Catherine Vautrin est à la tête d’un périmètre fondamental, Travail, Santé, Solidarités, et c’est la première fois qu’on a une femme, Marie Lebec, chargée des Relations avec le Parlement fonction jusque-là considérée comme “un truc de mecs” ! » Et le chef du gouvernement de puiser dans sa légende familiale pour asseoir ses combats et ses convictions. « Ma mère était très jeune quand elle a rencontré mon père, 17-18 ans, elle n’a pas fait d’études pour pouvoir s’occuper de nous. Elle m’a eu à 25 ans, mais mes parents essayaient depuis quatre ou cinq ans. Je suis né grâce à la PMA. Dans le même hôpital qu’Amandine, le premier bébé-éprouvette. Quand ils ont divorcé, elle s’est retrouvée seule, sans travail, avec trois enfants. Je me souviens, petit, de son premier boulot, assistante monteuse : elle avait des horaires de dingue, elle rentrait tard le soir en puant la cigarette, elle qui n’avait jamais fumé, il n’y avait que des mecs qui clopaient en salle de montage. Elle a gravi les échelons, un à un. » Désormais, le jeune Gabriel devenu grand « souhaite identifier les mesures que l’on pourrait prendre pour mieux accompagner les mamans solos, même si je n’aime pas l’expression, qui donne l’impression qu’il n’y a qu’un parent, alors qu’il y en a souvent deux, et mieux impliquer les pères aussi ». Il vient ainsi de confier une mission sur les familles monoparentales à la députée Fanta Berete et au sénateur Xavier Iacovelli pour faire des propositions. Leurs conclusions sont attendues au plus tard en juillet.

La population la plus discriminée en la matière, ce sont les femmes de plus de 50 ans

Le premier ministre, qui revendique sa volonté de changer la vie de ses compatriotes avec « des décisions concrètes pour le quotidien des Français », croit aussi en la force du verbe. Il emploie un vocabulaire rarement utilisé par ses prédécesseurs. « Le rôle des politiques c’est aussi de lever le voile sur un certain nombre de tabous concernant le quotidien des femmes dans le débat public, ou l’action publique, comme l’a déjà fait le Président avec l’infertilité ou l’endométriose. » Conscient des attentes sur ces sujets, il cite ces maux : « La dépression post-partum, par exemple. Les fausses couches, si mal nommées et souvent tues. Ou encore la ménopause, un sujet important dont on parle peu politiquement. Il faut trouver les moyens de mieux accompagner les femmes qui en ont besoin, avec un soutien psychologique qui serait intégralement pris en charge par la Sécurité sociale. Vers 50 ans se conjuguent beaucoup de difficultés et de discriminations. On parle souvent de la difficulté d’accès à l’emploi pour les seniors mais, en réalité, la population la plus discriminée en la matière, ce sont les femmes de plus de 50 ans. » L’énoncé ne vaut pas accomplissement. Et après ?

QU’A-T-IL EN TÊTE POUR AMÉLIORER LE SORT DES FRANÇAISES ?

Il se réjouit des avancées menées en sept ans. Il liste, pêle-mêle, la création du délit d’outrage sexiste, l’accessibilité, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, du numéro dédié 3919, la mise en place du téléphone grave danger, les bracelets anti-rapprochement, la possibilité de porter plainte à l’hôpital, la garantie contre les impayés de pension alimentaire (« Une des mesures dont je suis le plus fier »), l’index d’égalité professionnel femmes-hommes, la loi qui impose des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises, l’augmentation de la durée du congé de paternité, la mise en place, bientôt, d’un « congé de naissance », l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Il reste tant à faire encore. En France, toutes les six minutes, on recense une nouvelle victime de viol. Tous les trois jours, en moyenne, un nouveau féminicide. La route est longue, il le sait. De nouveau il évoque sa famille. « Le fait d’avoir grandi avec des filles permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir. Quand vous avez une sœur qui a eu des difficultés à avoir une promotion, ou une autre qui a peur de se faire agresser en rentrant seule le soir à la maison, ça fait réfléchir. »

 S’en prendre à un enfant, c’est une atteinte à l’humanité au sens absolu

Que pense-t-il du mouvement #MeToo qui secoue aujourd’hui le milieu du cinéma et de l’audiovisuel ? Éprouve-t-il, comme Emmanuel Macron, de la fierté à l’égard de Gérard Depardieu, mis en cause par plusieurs témoignages ? Comment dire que l’on soutient ces femmes sans dédire son patron qui a maladroitement défendu l’acteur ? Gabriel Attal sait composer. « Cinématographiquement, oui, c’est un grand acteur. Mais, évidemment, les propos qui ont été tenus par l’homme me choquent à bien des égards. Je ne critiquerai jamais le fait que la parole des femmes se libère, c’est essentiel et cela a pris bien trop longtemps. Cela met fin à des années d’omerta où l’on n’a pas su accueillir leur parole. » Même constat sur #MeTooGarçons, lancé par l’acteur Aurélien Wiik, abusé très jeune. « Il n’y a rien de plus insupportable, innommable que les violences sexuelles faites aux enfants », affirme-t-il. Avant de remettre en question un pilier du droit français : « C’est pourquoi je suis plus partagé que certains sur l’imprescriptibilité, y compris dans la majorité. Je vois bien les risques encourus. Mais enfin, s’en prendre à un enfant, c’est une atteinte à l’humanité au sens absolu. Je vois dans l’imprescriptibilité la possibilité qu’un agresseur ne puisse jamais dormir sur ses deux oreilles jusqu’à la fin de ses jours. » Des propos qui ne manqueront pas de faire réagir.

Gabriel Attal répond habilement, sans faire de faux pas, soucieux de soigner sa relation avec celui qui l’a nommé. Comment la qualifie-t-il ? « Très singulière, forcément », dit-il, insistant sur la fréquence de leurs échanges. « Beaucoup de décisions se prennent à deux. Et ça, ça change tout. » Une fréquence susceptible de susciter des frictions, alors qu’en haut lieu des conseillers évoquent des rapports parfois peu amènes entre l’Élysée et Matignon ? « Au contraire. S’il m’a choisi, c’est qu’il a confiance en moi et en notre capacité à travailler ensemble. Je constate tous les jours une grande confiance et une estime mutuelle », loue-t-il poliment. Son parler jeune lui emboîte le pas : « Ça se passe bien, quoi. » Pour le moment...

Je sais que je ne passerai pas toute ma vie en politique, je le ressens au fond de moi

Si, dans les couloirs du pouvoir, la bataille pour la succession du patron est déjà lancée, Gabriel Attal jure ne pas penser à son propre avenir. « Je crois être l’un des seuls responsables de la majorité identifié par les Français à ne pas s’être exprimé sur 2027 », balaie-t-il. Le Premier ministre ne ferme toutefois pas la porte. Comment le pourrait-il, du haut de ses 34 ans ? « Je n’en sais rien, et c’est ça que j’aime dans l’engagement politique. On n’est pas maître de tout, il y a une part d’inconnu, c’est assez exaltant. » Comme il nous l’avait déjà confié en septembre 2020, il envisage une autre carrière hors des sentiers du pouvoir. « Je sais que je ne passerai pas toute ma vie en politique, je le ressens au fond de moi. » Mais à 34 ans on a encore toutes ses vies devant soi... et, pour le moment, tout juste concède-t-il aspirer à une « expérience internationale ». Est-ce un hasard s’il relève sa « découverte de l’univers diplomatique », un précieux sésame pour étoffer sa stature internationale ? « J’échange beaucoup avec mes homologues étrangers, c’est passionnant », se réjouit-il. Un hasard, aussi, lorsqu’il évoque sa responsabilité, en tant que Premier ministre, de la sécurité aérienne du pays (« C’est quelque chose de lourd ! »), pointant sa capacité à endosser les charges les plus importantes ?

Pour autant, éprouve-t-il « l’enfer de Matignon » dépeint par ses prédécesseurs ? « Non, vraiment pas », sourit-il. Et d’ajouter, prudemment : « Ce n’est pas un paradis non plus. » Les crises qui remontent invariablement, les boulettes d’Amélie Oudéa-Castéra, son éphémère ministre de l’Éducation nationale, la colère des agriculteurs... les journées sont « épuisantes », concède-t-il. Avec un tunnel de réunions qu’il anime, la plupart du temps, ce qui l’empêche- rait presque de consulter son téléphone portable (le jour de notre rencontre, 2 h 27 de temps d’écran à 16 h 30). À peine s’accorde-t-il une série, le soir, pour décompresser. Ces jours-ci, la saison 4 de « True Detective ».

Dans les allés du « plus grand parc privé de Paris » Volta joue avec une peluche mauve en forme de poulpe offerte, par la ministre Olivia Grégoire. Le Premier ministre s’interroge sur le retour à la réalité, une fois la parenthèse Matignon tournée. Volta sur le trottoir ? À moins qu’un autre parc, une autre rive, un autre terrain de jeu ne s’offre à la petite chienne d’ici trois ans ? « C’est une idée ! » lâche-t-il dans un éclat de rire. Gabriel Attal a été élevé dans l’orthodoxie russe, sa mère l’emmenait dans la jolie cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru, vers la plaine Monceau, célébrer la Pâques orthodoxe. Est-il croyant ? « Je crois à une forme de transcendance qui me fait dire régulièrement que tout n’est pas le fruit du hasard, de la rationalité ou de la biologie. » Élastique, gracieux, urticant... Gabriel Attal vole quelques instants de solitude avant de repartir pour un tour, on le laisse à son jardin secret. 2027 sera peut-être l’année des méduses, qui sait ?