Viols de guerre : les femmes doublement victimes des conflits en cours

Des femmes israéliennes manifestent pour demander la libération des otages retenus à Gaza. ©AFP - GIL COHEN-MAGEN
Des femmes israéliennes manifestent pour demander la libération des otages retenus à Gaza. ©AFP - GIL COHEN-MAGEN
Des femmes israéliennes manifestent pour demander la libération des otages retenus à Gaza. ©AFP - GIL COHEN-MAGEN
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Lors de l'attaque du 7 octobre en Israël, en République démocratique du Congo, en Ukraine, à Gaza... Les viols et les violences sexuelles font partie des tristes réalités de la guerre. Mais quand ils sont systématiques, on se demande : intègrent-ils l'arsenal militaire et guerrier ?

Avec
  • Céline Bardet Juriste et enquêtrice criminelle internationale, fondatrice et directrice de l’ONG "We are Not Weapons of War"

Un rapport des Nations unies daté du 4 mars confirme l'existence de violences sexuelles lors de l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre. Le rapport souligne notamment des viols et des viols en réunion.

Et les spécialistes remarquant que dans plusieurs grands conflits en cours, les violences sexuelles sont régulières. C'est le cas en Ukraine, en République démocratique du Congo, à Gaza... Les violences sexuelles sont intégrées dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Et leur caractère systématique peut indiquer que ces exactions sont en fait une arme de guerre en tant que telle, un outil d'humiliation et d'intimidation, qui d'ailleurs, peut aussi toucher les hommes.

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Le rapport du 4 mars "est un rapport important, puisque c'est le premier rapport international qui parle de la situation Israël-Gaza. Il faut rappeler aussi que ce bureau dirigé par Mme Pramila Patten ne fait pas d'enquête. Elle collecte des informations et elle établit des doutes raisonnables. En fait, elle considère qu'il y a des éléments suffisants pour établir que des crimes sexuels ont été commis le 7 octobre, peut-être à l'encontre des otages aussi. Et elle regarde aussi les allégations qu'il y a eu à l'encontre des Palestiniennes qui auraient pu être commises par l'armée israélienne. Et maintenant, il faut une enquête internationale ou en tout cas une enquête indépendante".

Est-ce que ce rapport déjà permet de quantifier l'ampleur de ces crimes ? "Non, le rapport ne quantifie pas, en fait le rapport ne parle pas ni de l'ampleur, ni de la question de savoir si ces violences sexuelles ont été systématiques, donc liées à l'ampleur, et par qui elles ont été commises. Et ce que demande Mme Pramila Paterne, et ce à quoi nous travaillons, nous en tant qu'ONG indépendante en ce moment, c'est une véritable enquête qui va permettre d'établir ces éléments-là, ampleur, systématisation, hauteur, mode opératoire."

L'autre conflit, actuellement, c'est celui de l'Ukraine, qui se passe en Ukraine. Est-ce que là aussi, des rapports mettent en lumière des crimes et des violences sexuelles importants ? "En effet, en Ukraine, la différence en plus, c'est qu'il y a eu une coopération immédiate de l'Ukraine. Il y a des organisations internationales qui travaillent, la nôtre aussi. Donc, les crimes sexuels ont été mis en avant quasiment immédiatement. On sait qu'il y a eu des viols systématisé, commis par l'armée russe, par certaines milices, on pense évidemment à Wagner, attaché à l'armée russe. Maintenant, c'est pareil, l'ampleur, elle, est encore difficile à établir. Vous savez que la parole met beaucoup de temps. Et puis, dans les deux cas d'ailleurs, on est toujours dans un conflit en cours. Ça complexifie aussi les choses".

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Le tournant de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda

Si les viols ont toujours été des crimes de guerre, le fait qu'ils soient reconnus comme tels a pris du temps. Le grand, le vrai tournant, c'est celui des années 1990 et notamment la guerre en ex-Yougoslavie. "La guerre dans les Balkans, elle a été un tournant, je pense, pour deux raisons. Un, c'était proche de l'Europe. Et puis, au même moment, il y a eu le Rwanda. Et surtout, dans ces deux conflits, les viols ont été systématiques. Moi, je répète toujours, en Bosnie, il y a eu des camps de viols. Les camps de viols, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on mettait des femmes... et qu'on les violait à répétition pour, on disait, purifier la race, donc des femmes bosniaques musulmanes, pour qu'elles mettent au monde des enfants avec "du sang", entre guillemets, serbe. Au Rwanda, le viol a été reconnu comme un élément de génocide, et là, en fait, il y avait une politique de violer les femmes pour les tuer ensuite. Donc c'est là où il y a eu une bascule, et effectivement, il y a eu les deux tribunaux pénaux internationaux qui ont condamné assez fortement le viol comme élément de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide."

L'autre tournant important, il se passe en 2002, puisque depuis cette date, viols et violences sexuelles sont intégrées dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité sur lesquels la Cour pénale internationale peut statuer. "Il faut préciser que le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui a été monté en 1993, et celui pour le Rwanda en 1994, intégraient dans ces statuts les violences sexuelles comme éléments de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocides. Simplement, la Cour pénale internationale, qui a une vocation plus globale, l'intègre de manière très claire. Je rappelle aussi que quand on parle de viol, on parle de plein de choses différentes. Dans la tête des gens, il y a viol, mais par exemple, humilier quelqu'un, je pense à Shani Louk, dernièrement en Israël, qui a été paradé sur un camion à Gaza nue, c'est constitutif de violences sexuelles. Mais aujourd'hui, ce que ça change, c'est que nous avons un cadre juridique et le travail d'un enquêteur ou le travail qu'on fait, c'est de ramasser les faits et de voir dans quelle mesure ils rentrent dans cette qualification juridique."

En l'occurrence, lorsqu'un conflit est en cours, sur quoi se fonde-t-on ? Sur quoi s'appuie-t-on pour mener une telle enquête ? On sait notamment que les témoignages sont particulièrement difficiles à récolter. "Les témoignages sont difficiles à récolter. Mais, on a des situations, et je reprends Israël, mais par exemple aussi le Rwanda, où quand toutes les personnes ont été tuées, on perd le témoignage. Mais il faut qu'on arrête aussi de s'appuyer, de penser qu'on ne peut s'appuyer que sur les témoignages. Il y a plein d'éléments corroboratifs. Trouver des femmes, par exemple, mortes qui sont nues ou avec leur dessous mis dans leur bouche ou dans des positions humiliantes, etc. On sait que ce sont des faisceaux d'indices de violences sexuelles. Il y a les témoignages indirects de gens qui peuvent avoir vu ça. Donc, il y a plein de manières de prouver ces viols et de les établir."

Comment définir la responsabilité du viol en temps de guerre ? Est-ce que la responsabilité revient d'abord et avant toute chose aux soldats isolés qui commettent le crime ou aux commandements qui le permettent ? "C'est très complexe d'y répondre. Il y a la question de la chaîne de commandement. Souvent, dans les conflits, on voit que c'est systématisé. Systématisé, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est répété. Israël, c'est dans trois endroits. Le Rwanda, ça a été sur tout le territoire. L'Ukraine aussi. Donc, il y a forcément une planification. Les personnes qui organisent et planifient ça sont les premiers responsables. Les auteurs directs, c'est-à-dire qui commettent ces violences, bien évidemment aussi. Mais je pense qu'il faut qu'on travaille beaucoup plus, si on veut éradiquer cela, à remonter les causes et l'organisation qui est faite par les personnes à la tête des armées, à la tête des milices, parfois à la tête des États."

On a vu sur les réseaux sociaux à plusieurs reprises des soldats israéliens qui manipulaient des soutiens-gorge de femmes gazaouis. On a vu aussi des extraits de vidéos avec des palestiniens qui étaient laissés longuement dans la durée nue. Est-ce que là encore cela peut être qualifié comme crime de guerre ou comme harcèlement sexuel ? "Tout à fait. En fait, tous ces éléments, dont certains, moi, me concernant, je n'ai pas encore vérifié l'authenticité, mais je les ai vus comme vous. Mais par exemple, les Palestiniens qui ont été laissés dénudés pendant des heures, ça, je pense que c'est tout à fait établi, c'est constitutif d'une violence sexuelle. C'est pour ça que je disais que le viol, il englobe toutes les formes de violences sexuelles liées au conflit. Ce qui se passe aujourd'hui à Gaza doit être aussi enquêté. Mais c'est compliqué parce qu'on ne peut pas accéder à Gaza. Dénuder les gens, l'humiliation, les mutilations. par exemple génitales, y compris génitales, de femmes ou d'ailleurs d'hommes. Je rappelle aussi que les violences sexuelles, si elles concernent en majorité les femmes et les filles, elles sont aussi parfois utilisées à l'encontre des hommes. Il faut bien comprendre que c'est une arme et qui est, moi, je dis souvent, comme une kalachnikov."

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