En plein cœur d’une des villes les plus connectées au monde,
Internet ne fonctionne plus. Dans ce chaos, un groupe de New-Yorkais s’affaire
à mettre sur pied un réseau local.

Ce scénario est celui d’un exercice mené le 5 avril à
Manhattan par le centre Eyebeam, un organisme à but non lucratif spécialisé
dans l’art et les technologies. Il reproduit à petite échelle la coupure
d’électricité qu’ont subie les New-Yorkais après le passage de l’ouragan Sandy,
en 2012. L’idée est de savoir si, en cas de catastrophe, il est possible de
créer rapidement des réseaux de communication avec des appareils mobiles et de
l’électricité fournie en petite quantité par des batteries.Tous des noeuds

Je suis un nœud du réseau. Un câble Ethernet court au-dessus
de mes épaules vers un routeur sans fil que je tiens dans ma main gauche et qui
est alimenté par la batterie logée dans la poche de ma veste.

D’autres routeurs, à quelques centaines de mètres de là, se
relient au mien. Bientôt, je me retrouve au centre d’un réseau de sept ou huit
nœuds connectés par mon smartphone. Ce réseau maillé, ou encore réseau mesh [en anglais, mesh network],
est mon unique lien avec les autres. Des messages commencent à arriver sur mon
téléphone grâce à l’application ChatSecure, créée par le Guardian Project, un
groupe de développeurs qui conçoit des logiciels de communication privée.
Cette appli permet à des appareils mis en réseau, mais pas nécessairement
connectés à Internet, de communiquer selon un modèle peer to peer [où chaque utilisateur est aussi un serveur].Patience et longueur de temps

Constituer un réseau maillé est une affaire lente et
minutieuse. Rien que pour télécharger ChatSecure, il a fallu utiliser la
technique de communication en champ proche [en anglais, near
field communication, NFC] pour établir une connexion radio entre des
smartphones situés à proximité les uns des autres. Hans-Christoph Steiner, du
Guardian Project
, m’a fourni l’appli. En l’absence de plateformes de
téléchargement d’applications comme Google Play et l’App Store, nous avons dû
nous procurer les autres applis nécessaires en utilisant le marché d’applications F-Droid, qui fait de tous nos téléphones portables des serveurs
sur lesquels nous pouvons nous connecter et télécharger ce dont nous avons
besoin.

Un technicien qui participe à l’exercice arpente de haut en
bas la 21e Rue Ouest avec son ordinateur portable, surveillant
la force du signal entre les routeurs et ajustant nos positions pour optimiser
le réseau. Alors que le réseau maillé s’agrandit et que les gens commencent à
envoyer des messages et des images, le routeur que je tiens à la main
commence à chauffer. Mais c’est tellement agréable d’échanger des données sans l’aide de
Comcast, Verizon ou Google.

Les routeurs wi-fi que nous utilisons et le logiciel qui relie nos appareils font partie de Commotion, une boîte à outils qui permet
de monter des réseaux et qui a été développée par l’Open Technology Institute
(OTI)
, à Washington. Cet exercice n’est pas la première utilisation de ces systèmes dans la topologie mesh.

Comme un ouraganLorsque l’ouragan Sandy a frappé le quartier de Red Hook, dans
Brooklyn, et que l’électricité a été coupée, l’OIT avait déjà un réseau maillé
expérimental en place. La Federal Emergency Management Agency y a raccordé son
satellite à haute bande passante en liaison montante et a aussitôt pu fournir
une connexion aux habitants et à la Croix rouge.

“Juste après la tempête, les gens sont venus à la Red Hook
Initiative
parce qu’ils savaient qu’ils pourraient aller sur Internet et
joindre leurs familles”, témoigne Georgia Bullen, de l’OTI. Pendant les trois
semaines qu’a duré la coupure d’électricité, l’institut a étendu le réseau en
lui ajoutant d’autres routeurs.

Georgia Bullen, de l’OTI – Red Hook Initiative WiFi & Tidepools

Garder les lignes ouvertes

Le réseau maillé de Manhattan
n’est pas aussi stable que celui de Brooklyn - les gratte-ciel interfèrent avec
les signaux wi-fi et perturbent la connectivité. Mais l’expérience rend
compte des difficultés que nous pourrions rencontrer si nous essayions de
mettre sur pied un réseau maillé en situation de crise.

Elle montre également qu’il est possible de
communiquer avec des technologies numériques en se passant des gouvernements et
des géants des télécommunications. Ce qui pourrait être utile si un régime
décidait de couper les connexions Internet pour dissiper un mouvement de
contestation, comme ce fut le cas en 2011 en Egypte. “Pourquoi devrions-nous
passer par le système de communication centralisé, onéreux ?”, s’interroge
Ryan Gerety de l’OTI
. “Peut-être devrions-nous revenir au stade où Internet
était beaucoup plus local.”