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Les ados disparaissent quatre fois plus qu’avant et 60% des fugues sont de la DPJ



Les disparitions d’adolescents partout au Québec ont presque quadruplé au cours des dernières années et plus de la moitié d’entre elles concernent des jeunes issus des centres jeunesse.

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«Je ne suis pas surprise, lance avec aplomb l’auteure et conférencière Nancy Audet, qui a elle-même été prise en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pendant sa jeunesse. Les jeunes se sentent étouffés, ils vivent avec des contentions, des mesures d’isolement, encore beaucoup de répression. Je les comprends d’avoir besoin d’air.»

L'auteure et conférencière Nancy Audet. Photo Courtoisie, Moi et Cie

Selon des statistiques fournies par la Sûreté du Québec (SQ), les disparitions d’adolescents âgés de 13 à 17 ans ont explosé, passant de 696 en 2018 à 2520 l’an dernier.

Si près de 60% des cas concernent les centres jeunesse, le tiers sont des jeunes qui disparaissent de leur maison ou de chez un membre de leur famille. Les régions où les cas sont les plus fréquents sont la Montérégie et l’Abitibi-Témiscamingue.

Photo Agence QMI, JOEL LEMAY

Il est toutefois difficile d’expliquer ce phénomène puisque chaque disparition est différente. La prévention demeure la meilleure solution, selon Mélanie Aubut, directrice générale du Réseau Enfants-Retour. Son organisme offre d’ailleurs des ateliers pour les jeunes du primaire qui visent à promouvoir des comportements de vie sains et qui ont pour but de réduire les risques de fugues à l’adolescence.

  • Écoutez le segment faits divers avec Maxime Deland via QUB :

Nouvelle escouade

À la suite du dépôt du Livre vert sur la police, la SQ a créé, en 2022, une nouvelle escouade chargée des disparitions des personnes de tous âges. Son rôle est de soutenir les enquêteurs de toutes les régions.

Quand il s’agit d’une personne mineure, la police est généralement plus prompte à réagir en raison de la vulnérabilité de la personne. Dès la disparition rapportée, toutes les démarches d’enquête sont déployées pour retrouver le jeune le plus rapidement possible. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’enfants, les parents ou intervenants ont tendance à rapporter les disparitions bien plus vite que lorsqu’il s’agit d’un adulte. Conséquemment, le taux de résolution des disparitions d’enfants est nettement supérieur.

En ce qui a trait aux adolescents, sans grande surprise, les techniques d’enquêtes les plus efficaces sont celles liées à leur cellulaire. Si les réseaux sociaux sont généralement diabolisés pour les jeunes, dans des cas de disparition, ils deviennent de vraies petites mines d’or pour les enquêteurs.

«Les ados ont des téléphones tôt dans leur vie maintenant, alors rapidement, on va tenter de les géolocaliser, explique le lieutenant Carl Boulianne, chargé de l’Équipe intégrée en coordination des disparitions et des enlèvements à la SQ. Parfois, ils vont publier un selfie d’eux devant un resto, ou ils vont divulguer leur emplacement à leurs amis. Grâce aux réseaux sociaux, c’est plus facile d’entrer en contact avec leur entourage.»

  • Écoutez la revue de presse commentée par Alexandre Dubé via QUB :
75% reviennent avant 24h

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui gère les centres jeunesse, constate lui aussi une hausse des fugues dans de nombreuses régions. On précise toutefois que 75% de celles-ci durent moins d’une journée et qu’un petit nombre d’usagers sont responsables de la majorité des fugues.

L’engorgement de certains centres, la pénurie de main-d’œuvre et la complexité accrue des besoins des jeunes expliquent entre autres cette hausse, selon le MSSS. La directrice nationale de la DPJ, Catherine Lemay, a refusé notre demande d’entrevue.

Le Journal a fait parvenir la même demande de statistiques au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui n’a pas été en mesure de fournir de chiffres dans un délai raisonnable et qui nous a plutôt reportés à la Loi de l’accès à l’information.

D’ex-fugueurs témoignent: «Un milieu très carcéral»

D’anciens fugueurs de centres jeunesse se désolent de voir que les conditions ont très peu changé depuis leur passage et disent comprendre mieux que personne le sentiment d’impuissance et d’isolement ressenti par ces enfants.

«C’est un milieu très carcéral, dit Kevin Champoux Duquette, qui a fugué 33 fois entre l’âge de 11 et 17 ans. Les murs sont en béton et ton espace n’est pas plus grand que l’écart entre tes deux bras. Les fenêtres, si tu en as, sont en grillage. Il y a des intercoms dans les chambres et ils mettent de la musique même si tu ne veux pas l’entendre. La nuit, ils viennent nous checker avec leurs flash-lights

Kevin Champoux Duquette, co-fondateur du Collectif Ex-placé DPJ. Photo Pierre-Paul Poulin

Le jeune homme, qui a depuis co-fondé le Collectif Ex-placé DPJ, se souvient du moment où il a vu l’émission Unité 9 à la télévision. Pour lui, c’était quasi identique à ce qu’il avait vécu.

Plus adapté

La directrice de l’organisme, Jessica Côté-Guimond, estime qu’une grande partie des fugues pourrait être évitée si les services offerts dans les centres jeunesse étaient plus adaptés aux besoins des jeunes.

«On prend plusieurs détours pour dire les choses, mais la vérité, c’est que ce sont des prisons pour les mineurs, dit celle qui a aussi co-fondé le collectif. La culture est orientée sur la gestion du risque, la surveillance et le contrôle. On n’écoute pas les jeunes, qui ont tous vécu des traumas avant d’arriver ici.»

Selon elle, certaines des conditions dans lesquelles les jeunes vivent sont des raisons évoquées pour refuser à des gens de devenir famille d’accueil, comme l’absence de fenêtre. L’été dernier, Le Journal rapportait d’ailleurs que le Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation du Mont Saint-Antoine, un centre jeunesse de Montréal, était en totale décrépitude. En plus des tuiles qui tombaient littéralement du plafond, des champignons ont été découverts dans les salles de bain en plus de mulots et d’écureuils qui y ont élu domicile.

«Moi, j’ai fugué parce que je sentais que je n’avais pas le contrôle sur ma vie, dit Mme Côté-Guimond, qui a elle-même été placée par la DPJ dans sa jeunesse. Les jeunes ont besoin d’expérimenter, d’explorer, et c’est encore plus vrai pour ceux qui arrivent avec un bagage comme en centre jeunesse.»

Incapable d’y passer une semaine

Pour l’auteure et conférencière Nancy Audet, qui rencontre des centaines de jeunes par année, il est primordial de s’attaquer à ce fléau et d’aider les jeunes à se sentir mieux en centre.

«Actuellement, je connais personne, même pas un adulte, qui serait capable de passer une semaine dans des conditions comme ça», dit-elle.

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