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#JeSuisUneSalopeAussi: les Iraniennes lancent un hashtag contre le harcèlement des mollahs

Dans un hôpital de la très religieuse ville de Qom, une femme, son enfant malade dans les bras, a été prise à partie par un mollah, au motif que son voile était sur ses épaules. La vidéosurveillance de la scène publiée le 9 mars a suscité un tollé en Iran, des femmes accusant le mollah, téléphone en main, d'avoir voulu dénoncer la mère via une application du régime islamique. Ses utilisateurs ont qualifié la femme de “salope”... et déclenché une réaction massive sur les réseaux sociaux.

Vidéo apparue le 9 mars sur les réseaux sociaux en Iran, montrant une jeune mère accusant un mollah d'avoir pris des photos d'elle et de son enfant malade sans lui en demander la permission. Le mollah est accusé  d'avoir utilisé une application fournie par le gouvernement.
Vidéo apparue le 9 mars sur les réseaux sociaux en Iran, montrant une jeune mère accusant un mollah d'avoir pris des photos d'elle et de son enfant malade sans lui en demander la permission. Le mollah est accusé d'avoir utilisé une application fournie par le gouvernement. © Sima Sabet
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Un premier extrait de la vidéosurveillance de l’hopital montre la mère accroupie dans un coin, le voile sur les épaules et ses cheveux visibles, tandis qu'un mollah se tient à proximité et utilise son téléphone. 

Dans un deuxième extrait, on voit la mère en colère, qui s’en prend au mollah qu’elle accuse d'avoir pris des photos d'elle et de son enfant malade sans sa permission. "Donnez-moi votre téléphone, laissez-moi voir la photo et effacez-la", dit-elle. Plusieurs autres femmes, certaines portant le hijab et d'autres non, lui viennent en aide. L’une d’elle saisit le téléphone des mains du mollah et le vérifie.

Capture d'écran de la vidéo de l'hôpital de Qom diffusée le 9 mars 2024. La mère est accroupie, les cheveux découverts, tandis qu'un mollah utilise son téléphone à proximité.
Capture d'écran de la vidéo de l'hôpital de Qom diffusée le 9 mars 2024. La mère est accroupie, les cheveux découverts, tandis qu'un mollah utilise son téléphone à proximité. © Observers

Un an et demi après le début des manifestations du mouvement "Femme Vie Liberté” en septembre 2022, les Iraniennes ont réagi à ces images avec virulence. Les vidéos de la scène ont été vues des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux.

Beaucoup de commentaires suggèrent que le mollah utilisait une application fournie par le gouvernement sur son téléphone, connue sous le nom de "Nazer" ("observateur” ou “informateur" en persan). Elle est fournie à des informateurs approuvés par le pouvoir iranien, invités à signaler aux autorités les violations du port du voile dont ils seraient témoins. Les femmes qui sont signalées reçoivent des "notifications de dévoilement" envoyées par SMS et, dans certains cas, des sanctions, comme la confiscation de leur véhicule.

Dans ce message publié le 9 mars 2024 sur Telegram, des Iraniennes partagent des extraits de la vidéosurveillance d’un hôpital de Qom dans laquelle on voit la mère accuser le mollah d'avoir pris des photos d'elle avec son enfant malade. Le mollah est qualifié "sale porc" car il est soupçonné d’avoir utilisé une application fournie par le gouvernement pour dénoncer la jeune femme pour n’avoir pas porté de hijab.

 

Pour les pro-régime, un "comportement dévergondé"

Le 10 mars, le procureur général de Qom, Hasan Gahrib, également mollah, a annoncé soutenir fermement le mollah dans la vidéo. "Nous poursuivons les perturbateurs de l'ordre public et les personnes impliquées dans la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux et les médias d'opposition persans à l'étranger" a-t-il déclaré. Le procureur adjoint de la ville, Rohollah Moslemkhani, a lui déclaré, le 12 mars, à des médias locaux que quatre personnes avaient été arrêtées dans le cadre de la diffusion de la vidéo.

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Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs pro-régime ont rejeté la responsabilité sur la mère. Certains l'accusent d’avoir eu un "comportement dévergondé". Ils utilisent l’insulte persane "saliteh", qui peut se traduire par “salope”, au motif qu'elle a laissé tomber son foulard sur ses épaules alors qu'elle s'occupait de son enfant.

Après la publication de la vidéo par un média d'opposition, certains comptes pro-régime sur les réseaux sociaux ont qualifié la mère de "salope" : "Ce qui ressort clairement de cette vidéo, c'est le comportement de salope de cette femme” dit l’un de ces comptes.
Après la publication de la vidéo par un média d'opposition, certains comptes pro-régime sur les réseaux sociaux ont qualifié la mère de "salope" : "Ce qui ressort clairement de cette vidéo, c'est le comportement de salope de cette femme” dit l’un de ces comptes. © Observers

Que faisait le mollah avec son téléphone ?

Après la mort de Mahsa Amini suite à sa détention par la police des mœurs iranienne en septembre 2022, et les manifestations massives qui ont suivi, la République islamique a changé de stratégie. Les patrouilles de rue de la police des mœurs ont été interrompues et le régime a exhorté les citoyens iraniens à dénoncer les femmes sans hijab en public.

Le régime a créé des sites web, des lignes téléphoniques et une application pour smartphones permettant aux citoyens de signaler facilement à la police les femmes sans voile . Les citoyens qui téléchargent l'application Nazer doivent s'inscrire, être approuvés et suivre une brève formation. Leurs rapports sont ensuite utilisés pour infliger des amendes voire, dans certains cas, pour arrêter les femmes signalées.

Ce message posté le 10 mars 2024 mentionne la possibilité que le mollah de l'hôpital de Qom utilisait une application fournie aux agents confirmés du régime "Nazer". Cette application permet à ses utilisateurs de signaler aux autorités les femmes qui ne respectent pas les règles du hijab.

Les partisans du mouvement "Femme Vie Liberté” ont réagi en créant le hashtag #JeSuisUneSalopeAussi pour exprimer leur soutien à la mère. “La révolution 'Femme Vie Liberté' est vivante", écrit une femme sur X. "On ne peut pas l'arrêter et elle a un impact sur nos vies et notre culture à chaque fois que l'occasion se présente. Parfois, nous résistons en enlevant nos foulards, parfois en utilisant des mots : #JeSuisUneSalopeAussi".

Une autre utilisatrice écrit : "#NousSommesDesSalopes, et pour renverser les mollahs pervers, nous deviendrons encore plus salopes".

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"Si c'est une salope, nous sommes toutes des salopes"

Asieh Amini est une militante iranienne des droits de la femme basée en Norvège. Elle explique la situation en Iran.

La République islamique tente de monter les gens les uns contre les autres en chargeant ses partisans de prendre des mesures contre les personnes qui ne pensent pas comme elle.

Les gens se sont mis en colère à la vue de cette vidéo, dans laquelle un mollah devient un informateur. Le fait d'attaquer cette femme à Qom, puis de la traiter de "salope", a donné naissance à un mouvement et à un hashtag qui dit, en somme, que nous sommes toutes des salopes si le fait de défendre ses droits et de riposter fait d'elle une salope à vos yeux.

Insulter et humilier les femmes avec des mots comme "salope" revient à utiliser une arme pour prendre le contrôle de leur corps, de leur comportement et de leur vie. Dire "OK, je suis aussi une salope" est un moyen pour les femmes de désarmer ceux qui disent cela.

Les autorités n’ont pas arrêté le mollah. Elles ont arrêté les personnes qui ont posté cette vidéo.

La réaction des gens à des questions liées au port du voile, aux femmes en général, s'est intensifiée depuis le mouvement "Femme Vie Liberté". La République islamique a beau priver les manifestants de leur pouvoir dans les rues en les tuant, en les violant, en les arrêtant et en les exécutant, cela ne signifie pas que la contestation a cessé. Ces campagnes en ligne ou ce type de réactions contre ce mollah sont d'autres formes de protestation.

Depuis le mouvement de 2022, le paradigme de l'égalité des sexes en Iran a changé. Selon un sondage publié la semaine dernière à Téhéran, moins de 2 % des habitants de Téhéran soutiennent l'oppression des personnes par l'État sur des questions telles que le hijab.

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