Littérature

Crise éditoriale chez Fayard : le conflit entre idéaux et intérêts fait fuir des auteurs, comme François Gemenne

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InfoPar Olivier Arendt avec Agences

Dans le monde de l’édition, où les mots façonnent les esprits et influencent les sociétés, les luttes pour la direction éditoriale et l’orientation politique des maisons d’édition ne sont pas rares. Récemment, l’une des plus anciennes maisons d’édition, Fayard, est le théâtre d’une crise ouverte, mettant en lumière les tensions entre vision éditoriale et intérêts commerciaux et politiques des actionnaires.

Depuis l’acquisition officielle de Lagardère par Vivendi à l’automne 2023, les employés de la maison d’édition redoutent un net virage vers la droite, avec la possibilité par exemple, de voir publié un ouvrage du jeune président du Rassemblement national, Jordan Bardella.

"Jordan Bardella exprime son désir de voir son livre publié sous l’estampille prestigieuse de Fayard, ce qu’il considérerait comme un événement magnifique". Au cours de l’été 2022, le président du Rassemblement national (RN), parti d’extrême droite français, avait exprimé ce souhait à un cadre de la maison d’édition, juste après le changement de direction opéré par Isabelle Saporta expliquaient nos collègues du Monde.

Fayard et Hachette Livre en conflit

Filiale de Lagardère, dont le groupe Vivendi du milliardaire Vincent Bolloré a pris le contrôle en novembre, Hachette Livre (maison mère des éditions Fayard) souhaite que la marque puisse être partagée avec les éditions Mazarine, confiées à Lise Boëll.

Lise Boëll n’est autre que l’éditrice historique d’Eric Zemmour et de Philippe de Villiers venant de chez Plon. Fayard et Hachette Livre sont en conflit depuis plusieurs semaines au sujet de la marque Fayard, l’une des plus anciennes dans l’édition en France, dont Isabelle Saporta est PDG depuis juin 2022. Elle y a été auteure depuis 2011, puis éditrice extérieure et directrice littéraire avant d’en prendre la direction.

Isabelle Saporta a été reçue vendredi par Stéphanie Ferran, directrice générale déléguée d’Hachette Livre, pour parapher un accord de licence, alors qu’elle avait proposé des "solutions alternatives", a précisé la source interne. Elle a donc été convoquée à un entretien de licenciement le 20 mars.

La direction de Fayard estime que la ligne politique d’auteurs que les éditions Mazarine comptent faire venir, grâce à sa nouvelle dirigeante Lise Boëll, marquée à droite, va nuire à son image.

Le conflit, qui a éclaté il y a plusieurs semaines, tourne autour du contrôle éditorial de la marque Fayard. Alors que Hachette Livre envisageait d’apposer le nom Fayard sur les livres publiés par Mazarine sans contrôle éditorial, Isabelle Saporta s’y est fermement opposée, proposant des alternatives pour préserver l’intégrité éditoriale de Fayard.

Vincent Bolloré aux manettes à travers le groupe Vivendi qui contrôle Hachette Livre

L’implication de Vincent Bolloré, à travers le groupe Vivendi qui contrôle Hachette Livre, ajoute une dimension politique à cette affaire. La nomination de Lise Boëll à la tête de Mazarine, ainsi que la tentative initiale de l’installer chez Fayard, a suscité des réactions de méfiance au sein de Fayard. Certains voient dans ces manœuvres une tentative de promouvoir une ligne éditoriale idéologiquement orientée, en accord avec les convictions politiques de Bolloré.

Les salariés de Fayard ont également exprimé leur soutien à Isabelle Saporta, soulignant les conséquences concrètes de cette crise sur leur travail quotidien et leurs relations avec les auteurs. Ils réclament la séparation totale des marques Fayard et Mazarine pour préserver l’identité éditoriale de Fayard.

Des auteurs se rebellent, comme François Gemenne

Cette annonce fait suite à la longue liste d’auteurs qui ont décidé de suivre Sophie de Closets, prédécesseure d’Isabelle Saporta partie en 2022. On peut citer des auteurs comme Jacques Attali, Gérard Davet, Fabrice Lhomme, Victor Castanet, mais aussi la romancière la plus lue de France, Virginie Grimaldi.

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Parmi les auteurs belges, c’est le cas du politologue et chercheur François Gemenne, choqué par la façon dont les choses se passent au sein de la maison d’édition, il explique : "Je suis scandalisé du traitement qui est réservé à mon éditrice Isabelle Saporta et du chantage indigne qu’on a exercé sur elle (Il lui aurait été proposé de tripler le montant de son salaire en échange de son silence et acceptation, ndlr). Et je suis scandalisé de l’interférence éditoriale de l’actionnaire (Bolloré, ndlr)".

François Gemenne quitte Fayard

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Si tu ne viens pas à Lagardère, Bolloré ira à toi

Cette crise révèle les enjeux complexes auxquels sont confrontées les maisons d’édition (et d’une façon plus large le secteur médiatique français dans son ensemble), tiraillées entre impératifs commerciaux et préservation de leur intégrité éditoriale.

Et de leur indépendance, face à des groupes de presse de plus en plus puissants et concentrés dans la main de quelques capitaines d’industries aux idées bien assumées. Elle met également en lumière les tensions idéologiques qui peuvent exister au sein de l’industrie de l’édition, où les choix éditoriaux peuvent avoir un impact significatif sur le débat public et la diversité des voix.

En 2022, le Sénat français avait mis en place une commission d’enquête relative à la concentration des médias en France qui avait déjà attiré l’attention sur ces problèmes.

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