ENTRETIEN. Vladimir Poutine réélu : "Sa priorité est l’Ukraine et le régime va continuer à serrer la vis", analyse un spécialiste
Le président russe a célébré dès dimanche soir sa victoire en dressant le portrait d’une Russie "consolidée" qui ne se laissera pas "intimider" par l’Occident. Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe, analyse cette victoire écrasante et ses conséquences.
Vladimir Poutine, au pouvoir depuis près d’un quart de siècle, a récolté 87,28 % des voix sur l’ensemble des suffrages dépouillés en Russie, soit 10 points de plus qu’en 2018. À l’étranger, les partenaires de Moscou ont salué en chœur sa réélection que les Occidentaux ont dénoncée, pour leur part, comme un simulacre de démocratie. Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe, livre une analyse de l’ampleur de cette réélection et de ses conséquences notamment sur la guerre en Ukraine.
Comment cette réélection est vécue et interprétée par les Russes en Russie ?
L’un de mes contacts russes, un journaliste plutôt critique du pouvoir – en particulier sur la guerre en Ukraine – me disait ce matin : "On n’est pas obligé de croire à ces résultats, mais Poutine a effectivement fait 70 % au minimum". La plupart des observateurs s’attendaient à une participation de 70 % et à un score de 80-85 % pour le président sortant. Ce sont ces 5 % supplémentaires qui interrogent. Car tous les sondages, y compris ceux réalisés par le Centre Levada – classé "agent étranger" et donc peu suspect de complaisance à l’égard du Kremlin – montraient ces derniers moins un niveau de soutien à l’action de Poutine supérieur à 80 %.
Quel avenir peut-on prédire aux opposants à Vladimir Poutine ?
Parmi ceux qui ont été autorisés à concourir et qui se situent dans le cadre politique fixé par le Kremlin, le seul à suivre selon moi est Viatcheslav Davankov. Arrivé 3e, il a capté une partie du vote libéral et anti-guerre. En revanche, les communistes sont les grands perdants du vote.
Si l’on regarde les opposants situés à la lisière du système, Iavlinski – qui a 71 ans – n’a guère d’avenir. Ce n’est pas clair pour Nadejdine : il a été empêché de se présenter, mais il n’est pas perçu par le Kremlin comme un radical.
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La vraie question concerne l’opposition dite "hors système". Il est évident qu’elle ne peut conduire d’actions organisées en Russie. Mais peut-elle s’unir et, le cas échéant, autour de quelle personnalité ? On voit que Ioulia Navalnaïa cherche à jouer un rôle et à incarner la résistance au régime. Y parviendra-t-elle ? Ce n’est pas certain. L’exil rend les choses compliquées comme le montre la trajectoire de l’opposante biélorusse Tsikhanovskaïa depuis 2020.
Sa réélection est-elle synonyme de durcissement du régime et d’un tournant de plus en plus totalitaire ?
Les mots ont un sens et je me garderais d’utiliser l’adjectif "totalitaire", que l’historiographie réserve généralement aux années 1937-1939 et à la fin du régime stalinien. En revanche, je ne vois aucune raison pour un quelconque "dégel". La Russie est en guerre, le régime va évidemment continuer à serrer la vis. Une nouvelle séquence s’ouvrira après le conflit, peut-être en 2026, année qui verra la tenue de législatives et qui pourrait être marquée par des changements – de personnes notamment – plus importants qu’en mai prochain.
Les conséquences de la réélection sur le conflit en Ukraine ? Se prépare-t-on à une guerre longue ?
L'"Opération militaire spéciale" lancée par Vladimir Poutine il y a deux ans a échoué. Ce constat est clair depuis mars 2022 au moins. Poutine en a pris acte assez tôt ; de fait, la Russie se prépare à une vraie guerre depuis 18 mois au moins. Elle s’en donne les moyens – financiers, industriels et humains – en veillant cependant à ce que le mode et le niveau de vie de l’immense majorité de la population ne soient pas affectés. Cela tient jusqu’à présent et il n’y a aucune raison que ça change à moyen terme.
Vladimir Poutine va-t-il avancer sur d’autres fronts ?
Sa priorité est l’Ukraine. De l’issue du conflit dépendra la place de la Russie sur le continent et dans le monde. Kharkiv et Odessa – plus que Kiev – constituent des objectifs réels pour Poutine. Or nul ne croit à Moscou qu’ils seront facilement atteints. Quant à aller plus loin, et même si l’on ne doit rien exclure a priori, cela me semble une hypothèse peu probable. Il s’agit plus de construire un narratif politique peut-être d’ailleurs à des fins de politique intérieure.








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