"J'ai subi un état de sidération qui m'a anesthésié" : à Meaux, les victimes d'inceste témoignent

Jeudi 14 mars 2024, le tribunal de Meaux organisait une journée de réflexion sur les mineurs victimes de violences sexuelles. La journée a débuté avec des témoignages poignants.

Sébastien Boueilh et Norma sont venus raconter leur histoire à Meaux, lors d'une journée dédiée aux violences sexuelles envers les mineurs.
Sébastien Boueilh et Norma sont venus raconter leur histoire à Meaux, lors d'une journée dédiée aux violences sexuelles envers les mineurs. ©Laura Bourven
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La salle de spectacle du Luxembourg est comble, ce jeudi 14 mars 2024. Le tribunal de Meaux a décidé d’organiser une grande journée de formation et de réflexion sur les mineurs victimes de violences sexuelles et d’inceste. Dans la salle : des magistrats, avocats, des enseignants… En bref, de multiples professions qui peuvent être en contact régulier avec les enfants. 

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« Un enfant toutes les trois minutes »

En préambule de cette journée, le tribunal de Meaux a fait un point sur la situation dans son ressort, dans le nord de la Seine-et-Marne. En 2023, le parquet a enregistré 630 procédures concernant des violences sexuelles sur des mineurs pour 483 mis en cause et 729 victimes. « Cette journée a pour but de réfléchir ensemble pour faire mieux. Il faut mettre au cœur du débat le déni. Les magistrats du siège sont pleinement mobilisés sur ces situations », explique Catherine Mathieu, présidente du tribunal qui affirme qu’un travail est entamé à Meaux pour améliorer l’accompagnement des victimes.

En France, ce sont 165 000 enfants par an qui sont victimes de violences sexuelles. « C’est un enfant toutes les trois minutes dans le pays. Un adulte sur 10 a subi des violences sexuelles dans son enfance », lance avec gravité Charlotte Caubel, secrétaire d’État à l’Enfance entre 2022 et 2024 et ancienne magistrate à Meaux qui a notamment piloté la création de la section des mineurs, présente à l’ouverture de cette journée.

Elle dénonce également les images pornographiques, auxquelles sont confrontés les enfants, de plus en plus jeunes. 

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Des agresseurs bien intégrés dans la société

Parmi eux, Sébastien Boueilh, fondateur de l’association Colosse aux pieds d’argile, et Norma, humoriste, qui aborde son histoire avec humour dans son spectacle, par ailleurs en représentation à Meaux pour conclure cette journée. Pendant une heure, ils ont témoigné de leur vécu avec émotion.

« J’ai été agressée de mes 3 ans à mes 13 ans par mon grand-père », entame Norma. Pour Sébastien Boueilh, son agresseur était également un membre de la famille : le mari de sa cousine, un homme en qui ses parents avaient entièrement confiance. « Je devais rentrer du rugby avec lui. Il me violait dans la forêt avant de me ramener et de boire un café avec mes parents. Ça a commencé quand j’avais 11 ans. » 

Dans ces deux cas, les agresseurs étaient des hommes bien intégrés. « Moi, c’était papi Henri, il était investi dans l’amicale des pêcheurs, et conseiller municipal. Un homme bien sous tout rapport. Très souvent ce sont des gens dont on ne se méfie pas », poursuit Norma.

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Des années sans parler

Sébastien Boueilh attendra ses 34 ans avant de parler. « J’ai subi un état de sidération qui m’a anesthésié ». 

De son côté, Norma a réussi à se défaire plus jeune de cette situation. « J’ai parlé à mes 13 ans. Avec l’adolescence, les hormones, il y avait des sensations nouvelles. J’ai commencé à ressentir de l’envie pour mon grand-père. J’ai compris que ce n’était pas possible, ça n’avait pas de sens. » Celle qui est devenue par la suite humoriste a décidé d’en faire part à sa grand-mère.

« J’ai explosé, j’ai dit que c’était bizarre, que papi me mettait des mains aux fesses. Ma grand-mère m’a mis une claque. » Elle raconte l’emprise de « Papi Henri » sur sa femme, et tout son entourage. « Il m’a terrifié. Il disait que si je parlais, il tuerait ma mère et mangerait ses yeux. » 

C’est 10 ans plus tard, à 23 ans, que Norma prend conscience de son mal-être et de l’impact des violences qu’elle a subies sur son quotidien. « J’ai des tocs, je me lave trois fois par jour, avec du gel douche quand ça va, sinon c’est de la javel. » Un jour, alors qu’elle passait l’aspirateur pour la troisième fois de la journée, Norma veut s’ôter la vie, se rend à la gare près de chez elle, mais fait demi-tour.

« Je suis allée dans un centre médico-psychologique et j’ai entamé une thérapie. » Deux ans après, elle passe la porte de la gendarmerie. 

Ce mécanisme d’auto-destruction, Sébastien Boueilh, le connait bien aussi. « Je jonglais entre l’alcool, le sexe, l’argent. Je suis interdit de casino encore aujourd’hui », raconte-t-il. Puis un jour, il se rend aussi à la gendarmerie. Le jeune homme sait qu’il n’est pas la seule victime. C’est important que les gens soient formés pour capter les signaux forts et faibles. Moi, je me battais beaucoup. Personne ne s’est posé la question du pourquoi je me rendais minable. 

Sébastien Boueilh

Norma a souffert d’infections urinaires toute son enfance. « On a remis en question ma mère et son hygiène. Jamais on n’a été plus loin. Si on m’avait demandé si quelqu’un me faisait du mal, j’aurai tout déballé. » 

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Une difficile reconstruction

Pour ces deux victimes, le procès arrive après un long parcours. Et les agresseurs minimisent. « Le mari de ma cousine justifie ce passage à l’acte parce que mon père lui aurait dit que j’étais bien membré. Il a utilisé ça pour avoir le droit de me toucher », poursuit Sébastien Boueilh. Son agresseur a été condamné à 10 ans de prison, il est sorti au bout de quatre ans et demi, pour travailler dans un camping.

Le grand-père de Norma a été jugé en correctionnel et n’a été condamné qu’à du sursis. « Mon parcours judiciaire est très léger, mais j’ai eu la chance d’aller jusqu’au bout d’un procès et d’être reconnue victime ». 

L’humoriste dénonce aujourd’hui les faits d’inceste dans son spectacle, un seul en scène intime et puissant, Norma[le]. « Je ne voulais pas parler d’inceste, mais de ma vie. Et j’ai l’air complètement folle. Il fallait expliquer pourquoi. Je veux montrer qu’on ne meurt pas d’en parler. » Elle continue également sa thérapie. « Je ne l’arrêterai jamais ».

Sébastien Boueilh se bat aussi pour les jeunes victimes depuis 2013 avec son association Colosse aux pieds d’argile. « J’ai eu l’envie de la créer dès la sortie du procès. Pour le monde sportif d’abord, et puis ça s’est élargi. » Son objectif : sensibiliser aux signes et libérer la parole des enfants. « Quand j’interviens dans une école, je peux avoir jusqu’à 12 témoignages par classe. »

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