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Affaire du « violeur de Tinder » : Salim B. condamné à dix-huit ans de prison et une interdiction définitive de territoire

Pendant deux semaines, l’ex-photographe de 38 ans, poursuivi pour 17 viols et agressions sexuelles, avait nié toute relation non consentie, se présentant seulement comme un salaud « égoïste et abject ». La cour criminelle de Paris n'a pas cru à cette "thèse", et l'a condamné vendredi soir à 18 ans de prison.

Publié le 28 mars 2024 Mis à jour le 29 mars 2024 à 21:25

Veste beige et chevelure bleue décolorée, Rita (1) est la dernière des 17 victimes présumées de Salim B. à venir déposer, mercredi 27 mars, devant la cour criminelle de Paris, qui juge depuis deux semaines cet ex-photographe de 38 ans pour viols et agressions sexuelles.

Née au Chili, la comédienne et chanteuse est présente depuis le début de l’audience sur les bancs des parties civiles. À 36 ans aujourd’hui (28 au moment des faits), elle est la plus âgée des jeunes femmes qui ont porté plainte contre Salim B, la dernière aussi à avoir subi, à la mi-octobre 2016, ce que l’avocat général Philippe Courroye a qualifié de « mode opératoire très rodé, sournois, compulsif », d’« hameçonnage organisé », juste avant que l’intéressé ne soit (enfin) placé en garde à vue, puis en détention provisoire, après la quatrième plainte déposée contre lui.

Le rendez-vous bascule après deux shots de vodka

Tendue, au bord des larmes, Rita explique à la barre avoir « attendu ce procès pendant huit ans. C’est un moment très important pour moi ». Son récit coche presque toutes les cases de ceux déjà délivrés par ses sœurs d’infortune, elles aussi tombées dans le piège de ce « Don Juan » des applis de rencontres, qui ne se contentait pas de « séduire ».

Comme beaucoup d’autres, Rita a été contactée sur Tinder, s’est vue proposer une séance photo gratuite. Comme pour toutes les autres, le rendez-vous commence « normalement », Salim B. est « jeune et sympa », pas de raison de refuser les verres d’alcool qu’il propose immédiatement. Un shot de vodka, puis deux, et tout bascule.

« Après la deuxième session de photo, il m’a embrassée. Je lui ai dit que je ne voulais pas de ça. Il m’a dit : ‘Mais essaye !’ Il a mis sa main dans ma culotte, m’a pénétré avec ses doigts. Je l’ai repoussé. Il m’a fait asseoir sur une chaise, m’a écarté les jambes, et a commencé à me faire un cunnilingus. J’ai trouvé ça ridicule. »

Pour se sortir du piège, Rita se réfugie d’abord dans les toilettes. Puis, devant son hôte qui se masturbe devant elle, propose de simuler un orgasme pour le faire jouir. « Si je m’étais défendue violemment, ça ne l’aurait pas forcément arrêté. Les violeurs, ça peut les exciter qu’on se débatte… J’espérais pouvoir partir une fois qu’il aurait éjaculé. »

« Les autorités savaient qu’il était dangereux »

Sauf que Rita, qui « d’habitude tient bien l’alcool », n’est plus dans son état normal. « Je me sentais comme en dehors de mon corps. J’avais déjà essayé des drogues dans ma vie, mais jamais je n’avais ressenti ça. C’est comme si j’étais sur pilote automatique », image la jeune femme, qui vit aujourd’hui à Barcelone.

Heureusement, comme prévu, une amie vient la récupérer au domicile du photographe. « Je lui avais proposé de l’accompagner, car je pensais que c’était une situation de danger potentiel. Elle semblait rassurée, m’avait juste demandé de venir la chercher après », a témoigné cette amie, en visioconférence.

Arrivée sur place, elle constate que Rita tient à peine debout. « Elle disait des choses incohérentes, n’arrivait pas à porter ses affaires, est même tombée en se cognant la tête sur le sol… » « Avez-vous quelque chose à ajouter ? », lui demande mécaniquement le président Thierry Fusina, à la fin de son témoignage. « Oui, je ne voudrais pas monopoliser la parole, mais je voudrais dire que je suis en colère contre la police et le gouvernement. Quand ma copine a été agressée, les autorités savaient que ce monsieur était quelqu’un de dangereux. Plus tard, il a été remis en liberté et d’autres femmes ont été agressées. Les autorités ont leur part de responsabilité là-dedans. »

Mis en examen à la suite de plusieurs plaintes pour des faits commis après sa libération en 2019, Salim B. pourrait devoir faire face à un nouveau procès. Peu de chances que d’ici là, le prévenu ait modifié sa « version ». Invité à s’exprimer après chaque témoignage de ses accusatrices, l’ancien photographe a systématiquement nié tout viol et toute soumission chimique, assurant que chaque relation avait été « consentie ».

Derrière ses fines lunettes, des extraits annotés de son dossier posés devant lui dans le box, l’accusé s’est évertué à transformer chacune de ses prises de parole en une sorte de plaidoirie avant l’heure – « des logorrhées verbales » peu goûtées par le président de la cour, et qui n’ont pas facilité le travail de ses défenseurs, Mes Irina Kratz et Ambroise Vienet-Legué.

« Elles se sont persuadées que je suis un violeur »

La « thèse » de l’avocat Salim B., devenu son très maladroit conseil ? Toutes ces plaignantes n’auraient pas supporté d’avoir couché avec quelqu’un présenté sur les réseaux sociaux comme « le violeur de Tinder », ni d’avoir été rejetées comme des malpropres, une fois son plaisir assouvi, et auraient « reconstruit » leur expérience a posteriori pour la présenter comme un viol. « Certaines mentent clairement, et d’autres mentent en pensant dire la vérité, car elles se sont persuadées que je suis un violeur et qu’elles ont une noble cause à défendre », analyse l’accusé, autopromu fin psychologue.

Refusant ces habits du violeur, Salim B. enfile volontiers ceux du salaud, insensible et même « abject ». « On m’a décrit comme un monstre machiavélique, qui préparait sa drogue avant (pour la soumission chimique de ses victimes – NDLR), qui conservait les photos des filles pour leur mettre la pression… Non, la vérité, c’était que j’étais un homme parfaitement égoïste, qui ne pensait qu’à lui-même, et pas au mal qu’il pouvait faire. »

Invités à dresser le portrait mental de Salim B., plusieurs experts ont souligné son caractère « peu commun ». « En dix-sept ans d’expertise psy, je n’ai jamais vu quelqu’un se définir lui-même, d’emblée, comme un manipulateur », a ainsi relevé la psychologue Elisabeth Cédille. La veille, un autre expert avait évoqué son caractère « égocentré, narcissique, sa haute estime de lui-même, son peu de considération pour autrui », sa volonté de « domination », voire « d’emprise » sur les femmes. « Manipulation, oui en partie, reconnaît l’accusé. Ça vient de mon adolescence, où j’ai dû me débrouiller seul. Mais domination, non. Dans 70 % de mes rapports sexuels, il n’y avait pas de domination. Emprise ? Non, je ne veux humilier personne. »

Pour les experts, le risque de récidive est grand

Pour Elisabeth Cédille, sa recherche effrénée de conquêtes féminines, pour mieux les rejeter ensuite, répondrait à une volonté de se venger de l’abandon maternel subi dans son enfance. « Salim B. a mis son intelligence au service de son donjuanisme. Mais il est incapable de donner de l’amour ou d’en recevoir. Il fait preuve d’un comportement addictif, qui ne vise qu’à remplir un puits sans fond. L’objectif, c’est de séduire l’autre, pour pouvoir le rejeter ensuite. »

Un comportement qui pourrait se reproduire demain ? Pour l’expert psychiatre Vincent Mahé, le risque est grand. « On a un grand nombre de victimes présumées, des récidives alors qu’il était sous contrôle judiciaire, une absence de reconnaissance des faits… C’est un profil très défavorable », estime le médecin.

Afin de « mettre hors d’état de nuire, un temps durant, un criminel dangereux », un « insatiable chasseur égocentrique » qui a « détruit 17 vies », l’avocat général avait réclamé, jeudi 28 mars, « 19 ans de prison » à l’encontre de Salim B, ainsi qu’une interdiction définitive du territoire. Ce vendredi soir, peu après 21 heures, il a été presque entièrement entendu par les cinq magistrats composant la cour criminelle de Paris. Salim B. a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle, assortie de l’interdiction de territoire réclamée par l’accusation.

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